«Bonjour, vous avez une pièce d'identité?» Cette phrase, vous l'avez sûrement déjà entendue un jour en allant acheter du vin. Il devrait désormais être possible de swiper sur son téléphone pour prouver son âge. Comment? La Confédération teste en ce moment l'e-ID, une application permettant de présenter sa pièce d'identité numérique.
Mais attendez, le peuple n'avait-il pas déjà dit non à ce projet? Oui, en mars 2021, alors en pleine pandémie. Mais à l'époque, le procédé était développé par une société privée. Un des arguments du comité citoyen, orienté à gauche, était alors d'éviter de voir nos données personnelles détenues par des entreprises privées.
Prenant acte de cet argument et du refus du peuple, le Conseil fédéral a accepté un nouveau projet, validé par le Parlement. Désormais, c'est l'Etat qui se charge de développer l'e-ID. Outre la vérification de l'identité, elle pourra être utilisée pour commander un extrait de casier judiciaire ou d'autres documents officiels, comme un permis de conduire. Elle permettra de ne montrer que les informations souhaitées — son âge, mais pas son nom. Elle devrait être utilisable dès 2026.
Quelques jours après l'échec dans les urnes de 2021, le conseiller national Gerhard Andrey (Verts/FR) a orchestré la motion à la base du projet, déposée par les six principaux partis du Parlement. «Le projet est largement soutenu par la Berne fédérale, l'industrie, les milieux scientifiques et la société civile», assure l'écologiste, entrepreneur dans la tech.
Il y voit un potentiel énorme, pour l’administration, mais également les entreprises. «J’étais un des adversaires de la dernière version», reconnaît pourtant le Vert, qui estime que la votation populaire a montré qu'il fallait une solution étatique. Il y voit un véritable «service public, crucial pour une numérisation fiable». Le cofondateur de l’agence numérique Liip argumente:
Il est, pour le coup, parfaitement sur la ligne de son parti, qui annonçait, en 2017 déjà, que l'identité électronique était une tâche qui devait «rester dans les mains de la puissance publique».
Lundi, un nouveau comité référendaire a toutefois annoncé avoir récolté les 60 000 signatures pour s'opposer à ce projet. Par un effet métronome «naturel» vers l'autre côté du spectre politique, ce sont cette fois-ci des partis et groupes orientés à droite qui s'opposent à la nouvelle mouture.
Composé des Jeunes UDC, de l'UDF, de Mass-Voll et des Amis de la Constitution, ce comité estime que la décision de mars 2021 n'est pas liée à l'aspect «privé» du procédé, mais à la récolte de données elle-même. Ils dénoncent une possible «restriction de manière disproportionnée de la liberté des citoyens, à l’instar des mesures Covid».
Le parti pirate a également intégré le comité, mettant l'accent sur de risque de cyber-attaques et indiquant que le «système de login déjà existant» pour les extraits de casier judiciaire suffit. Dans l'émission Forum de la RTS, le conseiller national Jean-Luc Addor (UDC/VS) évoquait le «risque de traçabilité des citoyens» et le danger d'une utilisation future généralisée de cet outil, pour l'heure prévu pour être facultatif, via la «technique du salami».
«Je me suis engagé pour que l’application soit décentralisée, fiable et sécurisée, tout est présent uniquement sur le téléphone», rétorque Gerhard Andrey, qui note qu’il est aussi possible de détourner ou scanner une carte d’identité physique. «Aucun système n’est jamais sûr à 100%, y compris l’analogique», note le Vert, qui rappelle que la version traditionnelle restera «garantie par la loi».
Qu'en est-il des autres partis? Du côté de la droite libérale, l'argument de la numérisation de la société l'emporte sur une possible défiance envers l'Etat. «L'e-ID est un pas essentiel pour la numérisation des processus publics», estime Pauline Blanc, vice-présidente des Jeunes libéraux-radicaux (JLR), qui évoque le fameux argument des «fonctions régaliennes de l'Etat».
Si les JLR n'ont techniquement pas encore pris position, Pauline Blanc indique que «selon toute vraisemblance, nous nous rallierons à la position du Parlement». Les Vert'libéraux ne se sont également pas prononcés sur la question, selon les mots de sa vice-présidente Céline Weber, interrogée à ce sujet par la RTS, qui indique à titre privé:
Mais l'e-ID ne pourra pas être utilisé pour tout. Il n'est pour l'heure pas prévu, par exemple, pour voter en ligne. Dans le canton de Genève, par exemple, où des projets-pilotes de vote en ligne sont légion depuis une vingtaine d'années, rien n'est prévu pour l'instant, nous confirme la Chancellerie du canton.
Ainsi, en juin 2026, le vote électronique devrait à nouveau être testé à Genève, pour les Suisses de l'étranger, les personnes handicapées et jusqu'à 30% des résidents du canton. Il devrait même être utilisé pour les élections fédérales de 2027, selon les mêmes «quotas». Mais l'e-ID n'y est pas intégré:
«Les électeurs reçoivent leur matériel de vote par la poste et votent à l'aide de codes contenus qu'ils sont les seuls à posséder», rappelle la chancellerie. «Ces codes sont spécifiques à chaque opération électorale et le système de vote électronique n'a pas accès aux données personnelles de l'électeur.» Et dans le futur?