Tout comme l'inspecteur Columbo, c'est lorsqu'ils sont sur le départ que les politiciens se décident parfois à donner leur avis en toute franchise. Depuis qu'elle a annoncé sa démission, la conseillère fédérale Viola Amherd est en tout cas dans cette position. Dans une interview donnée au quotidien vaudois 24 heures, elle s'est laissé aller à des confidences peu communes pour sa fonction:
La Valaisanne note que ce phénomène, présent «depuis longtemps dans d'autres pays», semble nous rattraper. Un vrai danger dans les institutions et la démocratie directe helvétique, estime-t-elle.
Alors, avons-nous affaire à un bon gros «ouin-ouin» de la part de la centriste la plus puissante du pays ou le climat politique suisse est-il vraiment devenu pourri? On est allé demander à ceux qui connaissent bien les rouages du système.
Pour Simone de Montmollin, qui siège au Conseil national depuis 2019, l'avènement des réseaux sociaux a impacté notre manière de communiquer et l'ambiance a changé. «C'est un des effets de la révolution numérique: la communication dématérialisée devient extrêmement décomplexée. Il est plus facile de dénigrer les propos et les gens», que ce soit entre simples quidams comme dans des discussions entre politiciens.
Un avis par ailleurs partagé par le conseiller aux Etats Mauro Poggia, qui estime «que le débat d'idées est en perte de vitesse». «La nuance est assimilée, non plus à la sagesse, mais au manque de courage ou de détermination», considère-t-il.
En parallèle, Simone de Montmollin pointe du doigt un changement dans la capacité à tolérer les différences de point de vue. «Quand on parle trop franchement, désormais, certaines personnes risquent de se sentir heurtées, voire victimisées». Une évolution qui contribue, petit à petit, à refuser le débat démocratique, favoriser la polarisation et renforcer des idées intransigeantes.
La Genevoise regrette cette dérive et une certaine forme d'hypocrisie. «Ce qu'on affirme sur les réseaux sociaux, il faut pouvoir en débattre, l'afficher dans la vraie vie», que cela soit «en commission, au Parlement ou ailleurs», estime-t-elle. Car il reste sain de «pouvoir s'empoigner verbalement, mais avec respect, se confronter aux idées des autres, sans pour autant se sentir attaqué dans sa personne chaque fois que l’on n'est pas d’accord avec vous».
C'est un des Romands qui siège depuis le plus longtemps à Berne: Roger Nordmann est membre du Conseil national depuis 2004. Il considère qu'il faut avoir le cuir épais pour survivre en politique, tout en restant prêt au compromis quand celui-ci se présente.
Roger Nordmann donne un exemple: «En 2022, je me suis emporté avec le conseiller national UDC Christian Imark.» Il explique: «Sur le plateau de l'émission Arena de la SRF, il a lâché que je gagnerais de l’argent avec chaque panneau solaire installé en Suisse, ce qui était faux, et je l’avais copieusement engueulé». Sa sortie avait fait des remous dans la presse alémanique. Le fait que le ton puisse monter tant sur un plateau télé qu'en privé, le Vaudois ne le nie en aucun cas: «En politique, autour d'une bière, on se dit des vacheries, parfois».
Il a toutefois réussi à se mettre d'accord avec ce même Christian Imark sur un autre dossier. «Nous avons récemment travaillé ensemble pour le sauvetage de l'aciérie de Gerlafingen. Moi pour raisons syndicales et écologiques, lui pour sauver de l'emploi dans son canton, Soleure. Il n'empêche, nous avions un problème commun avec nos intérêts propres, et nous l'avons résolu sur cette base partagée.»
Le Vaudois estime par ailleurs que les déclarations de Viola Amherd sont plus de l'ordre de la manœuvre politique que du commentaire innocent. «Quand on dit que son département est mal géré et que les scandales s'y accumulent, on a bon dos de pointer du doigt les critiques sous couvert de "méchanceté"», considère-t-il, citant les bourdes autour du F-35 ou encore des acquisitions d'armes.
Pour le socialiste, c'est simple: «savoir supporter les critiques, c'est le jeu de la démocratie».