Suisse
Politique

Pourquoi le Conseil fédéral ne fait rien contre les fuites

Le Conseil fédéral galère avec le même problème depuis 136 ans

KEYPIX - Bundesraetin Viola Amherd, links, und Korpskommandant Thomas Suessli, Chef der Armee, erscheinen an einer Medienkonferenz, am Mittwoch, 26. Februar 2025, in Bern. (KEYSTONE/Peter Schneider)
Lors de l'annonce de la démission du chef de l'armée suisse Thomas Süssli, le public était déjà au courant.Image: keystone
La confiance au sein du gouvernement est ébranlée. Un élu veut lutter contre les fuites dans les médias. Une histoire qui se répète.
01.03.2025, 18:5401.03.2025, 18:54
Francesco Benini / ch media
Plus de «Suisse»

Dans le théâtre classique, un drame se joue en cinq actes. Visiblement, les autorités fédérales aiment jouer la comédie.

  • Acte I: un membre de l'administration fait fuiter une information confidentielle dans les médias.
  • Acte II: les membres du Conseil fédéral s'indignent. La confiance au sein du gouvernement est rompue, rendue désormais impossible à cause de fuites dans la presse.
  • Acte III: le Ministère public de la Confédération ouvre une procédure pénale contre inconnu pour violation du secret de fonction au sein de l'administration fédérale.
  • Acte IV: le gouvernement et le monde politique réfléchissent à des mesures visant à endiguer les indiscrétions à l'avenir.
  • L'acte V: l’histoire se termine sur un anti-climax. Aucun coupable n’est identifié, et la procédure judiciaire est classée sans suite. Le Conseil fédéral, de son côté, renonce à renforcer la lutte contre les fuites d’informations.

Dans ce drame tragicomique, c'est la ministre de la Défense Viola Amherd qui tient actuellement le rôle principal. Avant l'annonce officielle, la NZZ et la télévision suisse étaient au courant que le chef de l'armée et le directeur du service de renseignement allaient quitter leurs fonctions. La conseillère fédérale était furieuse, estimant désormais impossible une collaboration sérieuse au sein du Conseil fédéral

Des trahisons politiques

Pourquoi les employés fédéraux divulguent-ils des informations confidentielles? On distingue quatre objectifs possibles, qui peuvent parfois se combiner.

  1. Une indiscrétion peut préparer le terrain pour une nouvelle stratégie politique.
  2. Elle peut, au contraire, révéler et susciter l'opposition à un changement dans un département.
  3. On tente de donner une mauvaise image d'un autre département et du conseiller fédéral qui en a la charge.
  4. Le média qui reçoit l'information sensible en fait bon usage, et par gratitude, parle de façon favorable de la personne qui l'a transmise et de son département.

Durant la pandémie, un flot d'indiscrétions a fuité du Conseil fédéral. La commission parlementaire qui a enquêté sur les «Corona Leaks» a évoqué une vraie une crise de confiance. Certains conseillers fédéraux auraient même renoncé à présenter des propositions au gouvernement, craignant de les voir publiées le lendemain dans un journal.

Walter Thurnherr avait alors qualifié les indiscrétions de «criminelles», arguant que celles-ci témoignaient d'une faiblesse de caractère. Le chancelier de l'époque s'était engagé à ce que le Conseil fédéral prenne davantage de mesures contre la divulgation de messages confidentiels. Dans une motion, le conseiller aux Etats Benedikt Würth avait réclamé la même chose. La Commission de gestion avait alors proposé toute une série de mesures contre la transmission d'informations confidentielles.

Bundeskanzler Walter Thurnherr erklaert an einer Medienkonferenz seinen Ruecktritt als Bundeskanzler, am Mittwoch, 16. August 2023 in Bern. (KEYSTONE/Anthony Anex)
L'ex-chancelier Walter Thurnherr s'était attaqué avec véhémence aux fuites dans la presse.Image: keystone

Mais le Conseil fédéral a balayé ces suggestions. La raison: une applicabilité hasardeuse des mesures. Seul l'accès aux documents confidentiels a été quelque peu limité au sein de l'administration.

Ce ne sont pas les documents les plus confidentiels qui posent en réalité problème, car ils n'apparaissent pas sur une plateforme en ligne. Un huissier fédéral les transporte d'un office à l'autre sous forme papier. A Berne, si on voit un huissier se déplacer avec un sac Migros, les employés de l'administration le savent: il transporte des papiers secrets pour quelqu'un. Dans ce cas, les indiscrétions sont très rares.

Il est en revanche possible de consulter certains documents confidentiels sur deux bases de données de la Confédération. L'une de ces plateformes contient des informations relatives aux affaires du Conseil fédéral. Jusqu'à présent, le gouvernement était d'avis qu'un accès trop restrictif rendait plus difficile le travail du gouvernement et de l'administration. Le Conseil fédéral précise bien dans son code de conduite pour le personnel fédéral que les indiscrétions ne seront pas tolérées. On peut toutefois se demander si cet avertissement les décourage vraiment.

Presque impossible de trouver l'origine des fuites

C'est le système politique suisse qui favorise autant les nombreuses indiscrétions. Tous les grands partis participent à l'exécutif, multipliant ainsi le nombre de personnes au courant des affaires du gouvernement. La concurrence entre certains partis s'est également accrue récemment, car les proportions de leurs électeurs tendent à se rejoindre. Des changements dans la composition du Conseil fédéral, basée sur la force des partis, pourraient bientôt s'avérer possibles. Tout cela renforce la motivation de nuire aux adversaires politiques, en diffusant des fuites susceptibles de nuire à leurs représentants.

Pendant ce temps, les autorités chargées des enquêtes sur des révélations de journalistes se retrouvent confrontées au principe de la protection de leurs sources. La Suisse y tient, les médias ne doivent pas être soumis à des pressions afin qu'ils les révèlent. Le Ministère public de la Confédération ne trouve ainsi presque jamais l'origine de fuites au sein de l'administration fédérale.

C'est ce qu'a également remarqué le conseiller aux Etats socialiste Daniel Jositsch. Le Zurichois préside la commission des affaires juridiques qui souhaite organiser prochainement des auditions au sujet de la protection des sources des journalistes. Et d'expliquer ainsi le projet:

«Des révélations ont lieu constamment, et en raison de la protection des sources, les procédures pénales pour violation du secret de fonction n'aboutissent presque jamais. Nous voulons analyser cette situation insatisfaisante au sein de la commission juridique.»
Daniel Jositsch
KEYPIX - Staenderat Daniel Jositsch, SP-ZH, Praesident der Kommission fuer Rechtsfragen, RK-S, spricht an einer Medienkonferenz uber die Aufhebung der Immunitaet von SVP-Ratsmitglieder, am Dienstag, 2 ...
Le conseiller aux Etats Daniel Jositsch.Image: keystone

La commission juridique parviendra-t-elle à assouplir le principe de la protection des sources? Les médias s'opposeraient à une telle situation. On peut également douter du fait que les élus se retrouvent face à des fuites aussi graves que l'agitation qui en découle, de façon épisodique, ne le laisse parfois supposer.

En 1888 déjà, le Conseil fédéral se plaignait que «diverses communications intempestives concernant les délibérations du Conseil fédéral ont paru dans des feuilles publiques». Le gouvernement suggérait alors de priver les journalistes fautifs «de la réception des communications officielles» pour un temps, et même de leur interdire «l'accès à la maison du Conseil fédéral».

Rien de tel ne s'est produit. La comédie a été rejouée à maintes reprises, les journalistes ont continué de diffuser des fuites, et les conseillers fédéraux, régulièrement constaté que la confiance entre les membres du gouvernement avait été ébranlée.

Traduit de l'allemand par Joel Espi

Voici à quel point Airbnb s'est implanté dans les villes
1 / 11
Voici à quel point Airbnb s'est implanté dans les villes
Voici à quel point Airbnb s'est implanté dans les villes
source: watson
partager sur Facebookpartager sur X
Ces avions ont frôlés la catastrophe
Video: watson
Ceci pourrait également vous intéresser:
1 Commentaire
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
1
Un loup a été abattu en Valais
Un loup ayant tué sept animaux de rente en situation protégée en l'espace d'un mois a été abattu ce lundi matin dans la région de Conches.
Un loup a été abattu dans la région de Conches, lundi matin. Le chef du Département valaisan de l’économie et de la formation (DEF), Christophe Darbellay, avait ordonné jeudi dernier le tir l'un de ces animaux installés dans la région. Le grand prédateur avait tué sept animaux de rente en situation protégée en l'espace d'un mois.
L’article