Dans le théâtre classique, un drame se joue en cinq actes. Visiblement, les autorités fédérales aiment jouer la comédie.
Dans ce drame tragicomique, c'est la ministre de la Défense Viola Amherd qui tient actuellement le rôle principal. Avant l'annonce officielle, la NZZ et la télévision suisse étaient au courant que le chef de l'armée et le directeur du service de renseignement allaient quitter leurs fonctions. La conseillère fédérale était furieuse, estimant désormais impossible une collaboration sérieuse au sein du Conseil fédéral
Pourquoi les employés fédéraux divulguent-ils des informations confidentielles? On distingue quatre objectifs possibles, qui peuvent parfois se combiner.
Durant la pandémie, un flot d'indiscrétions a fuité du Conseil fédéral. La commission parlementaire qui a enquêté sur les «Corona Leaks» a évoqué une vraie une crise de confiance. Certains conseillers fédéraux auraient même renoncé à présenter des propositions au gouvernement, craignant de les voir publiées le lendemain dans un journal.
Walter Thurnherr avait alors qualifié les indiscrétions de «criminelles», arguant que celles-ci témoignaient d'une faiblesse de caractère. Le chancelier de l'époque s'était engagé à ce que le Conseil fédéral prenne davantage de mesures contre la divulgation de messages confidentiels. Dans une motion, le conseiller aux Etats Benedikt Würth avait réclamé la même chose. La Commission de gestion avait alors proposé toute une série de mesures contre la transmission d'informations confidentielles.
Mais le Conseil fédéral a balayé ces suggestions. La raison: une applicabilité hasardeuse des mesures. Seul l'accès aux documents confidentiels a été quelque peu limité au sein de l'administration.
Ce ne sont pas les documents les plus confidentiels qui posent en réalité problème, car ils n'apparaissent pas sur une plateforme en ligne. Un huissier fédéral les transporte d'un office à l'autre sous forme papier. A Berne, si on voit un huissier se déplacer avec un sac Migros, les employés de l'administration le savent: il transporte des papiers secrets pour quelqu'un. Dans ce cas, les indiscrétions sont très rares.
Il est en revanche possible de consulter certains documents confidentiels sur deux bases de données de la Confédération. L'une de ces plateformes contient des informations relatives aux affaires du Conseil fédéral. Jusqu'à présent, le gouvernement était d'avis qu'un accès trop restrictif rendait plus difficile le travail du gouvernement et de l'administration. Le Conseil fédéral précise bien dans son code de conduite pour le personnel fédéral que les indiscrétions ne seront pas tolérées. On peut toutefois se demander si cet avertissement les décourage vraiment.
C'est le système politique suisse qui favorise autant les nombreuses indiscrétions. Tous les grands partis participent à l'exécutif, multipliant ainsi le nombre de personnes au courant des affaires du gouvernement. La concurrence entre certains partis s'est également accrue récemment, car les proportions de leurs électeurs tendent à se rejoindre. Des changements dans la composition du Conseil fédéral, basée sur la force des partis, pourraient bientôt s'avérer possibles. Tout cela renforce la motivation de nuire aux adversaires politiques, en diffusant des fuites susceptibles de nuire à leurs représentants.
Pendant ce temps, les autorités chargées des enquêtes sur des révélations de journalistes se retrouvent confrontées au principe de la protection de leurs sources. La Suisse y tient, les médias ne doivent pas être soumis à des pressions afin qu'ils les révèlent. Le Ministère public de la Confédération ne trouve ainsi presque jamais l'origine de fuites au sein de l'administration fédérale.
C'est ce qu'a également remarqué le conseiller aux Etats socialiste Daniel Jositsch. Le Zurichois préside la commission des affaires juridiques qui souhaite organiser prochainement des auditions au sujet de la protection des sources des journalistes. Et d'expliquer ainsi le projet:
La commission juridique parviendra-t-elle à assouplir le principe de la protection des sources? Les médias s'opposeraient à une telle situation. On peut également douter du fait que les élus se retrouvent face à des fuites aussi graves que l'agitation qui en découle, de façon épisodique, ne le laisse parfois supposer.
En 1888 déjà, le Conseil fédéral se plaignait que «diverses communications intempestives concernant les délibérations du Conseil fédéral ont paru dans des feuilles publiques». Le gouvernement suggérait alors de priver les journalistes fautifs «de la réception des communications officielles» pour un temps, et même de leur interdire «l'accès à la maison du Conseil fédéral».
Rien de tel ne s'est produit. La comédie a été rejouée à maintes reprises, les journalistes ont continué de diffuser des fuites, et les conseillers fédéraux, régulièrement constaté que la confiance entre les membres du gouvernement avait été ébranlée.
Traduit de l'allemand par Joel Espi