Que vous sniffiez une ligne de cocaïne ou que vous fassiez les soldes, cela ne fait aucune différence. Du moins, selon Christian Elger, neuroscientifique allemand. Il a comparé l’effet des rabais à celui de la drogue et ses recherches montrent que les achats à prix réduit déclenchent dans le cerveau une libération de dopamine, l’hormone du bonheur.
Cette euphorie explique pourquoi les consommateurs s’adonnent en masse au shopping pendant des événements, comme le Black Friday, et pourquoi ces journées de soldes perdurent malgré leurs conséquences discutables:
Cela explique, sur le plan neuronal, pourquoi les consommatrices et consommateurs vont à nouveau se ruer sur les bonnes affaires lors du Black Friday, le 29 novembre. Il est tout aussi intéressant de comprendre pourquoi des journées de consommation, comme le Black Friday et le Cyber Monday se sont imposées pour durer, et ce, bien que leur utilité soit discutable à bien des égards.
«C’est un jeu dont personne ne peut sortir», affirme le psychologue économique Christian Fichter. Il ajoute:
Il explique cette situation à l'aide du dilemme du prisonnier, un concept issu de la théorie des jeux:
Ce principe s'applique également aux batailles de rabais. Il serait avantageux pour une entreprise de vendre un produit, comme une télévision, à son prix normal. Mais elle ne sait pas ce que prévoit la concurrence. Et il vaut mieux vendre à prix réduit que de rester avec des stocks invendus.
Le directeur de Manor, Roland Armbruster, a confirmé que les commerçants sont pris au piège de ces promotions.
Ironiquement, c'est Manor qui a introduit le Black Friday en Suisse en 2015. On pourrait dire que l’enseigne a créé un monstre.
Mais ce monstre n’est pas resté seul. «Nous sommes piégés dans de plus en plus d'actions promotionnelles dont il est difficile de sortir», affirme Bernhard Egger, directeur de l’Association des commerçants .Swiss. Et ce, même si ces campagnes ne servent souvent qu'à stimuler la consommation. Aux promotions traditionnelles des fêtes comme Noël ou Pâques s’ajoutent désormais de nouveaux événements:
En Suisse, si ces journées n’ont pas émergé plus tôt, c’est en raison de lois restrictives. Ce n’est qu’en 1994 que le Conseil fédéral a modifié la loi contre la concurrence déloyale, en libéralisant le système des soldes. Avant cela, les soldes devaient être approuvés par les autorités.
Chaque année, la plateforme Blackfridaydeals.ch estime les revenus générés par le Black Friday en Suisse. Après une hausse à 490 millions de francs suisses l'année dernière, elle prévoit cette année un léger recul de 20 millions. «La concurrence se calme», observe Julian Zrotz, directeur de Blackfridaydeals.ch. Cela s'explique en partie par les nombreuses faillites de détaillants comme M-Electronics, Sportx, Steg, Esprit ou Microspot.
Pour les critiques des soldes massifs, cela reste la seule lueur d’espoir: que des journées comme le Black Friday s’essoufflent peu à peu. En 2020, un conseiller national avait demandé, dans une motion, que la Confédération mette fin à ces pratiques. Sa requête a été rejetée.
Traduit de l'allemand par Tim Boekholt