Les journées de promotions, comme le Singles Day, le Cyber Monday ou le Black Friday mettent sous pression les consommateurs, l'environnement et les commerçants. Voici pourquoi elles continuent de prospérer malgré leurs effets discutables.
Maximilian Jacobi / ch media
Que vous sniffiez une ligne de cocaïne ou que vous fassiez les soldes, cela ne fait aucune différence. Du moins, selon Christian Elger, neuroscientifique allemand. Il a comparé l’effet des rabais à celui de la drogue et ses recherches montrent que les achats à prix réduit déclenchent dans le cerveau une libération de dopamine, l’hormone du bonheur.
Cette euphorie explique pourquoi les consommateurs s’adonnent en masse au shopping pendant des événements, comme le Black Friday, et pourquoi ces journées de soldes perdurent malgré leurs conséquences discutables:
«Les signaux de rabais fonctionnent comme la cocaïne»
Christian Elger
Un jeu à somme nulle
Cela explique, sur le plan neuronal, pourquoi les consommatrices et consommateurs vont à nouveau se ruer sur les bonnes affaires lors du Black Friday, le 29 novembre. Il est tout aussi intéressant de comprendre pourquoi des journées de consommation, comme le Black Friday et le Cyber Monday se sont imposées pour durer, et ce, bien que leur utilité soit discutable à bien des égards.
- Pour les clients: Christian Elger a découvert que les rabais court-circuitent notre rationalité. Avant d'acheter une bonne affaire, nous réfléchissons rarement à la nécessité réelle du produit.
- Pour l'environnement: Car ces journées favorisent le gaspillage des ressources.
- Et même pour les détaillants: Car les consommateurs attendent ces journées pour acheter, par exemple, leurs cadeaux de Noël, ce qui peut réduire les revenus des commerçants en dehors de ces périodes de rabais.
«C’est un jeu dont personne ne peut sortir», affirme le psychologue économique Christian Fichter. Il ajoute:
«Le commerce de détail ne s’opposerait probablement pas à l’interdiction de journées comme le Black Friday»
Il explique cette situation à l'aide du dilemme du prisonnier, un concept issu de la théorie des jeux:
Deux complices sont condamnés à cinq ans de prison. Les gardiens les isolent et leur font une offre: ils peuvent réduire leur peine en dénonçant l'autre. Si l'un parle, sa peine est réduite à trois ans, mais celle de son complice passe à dix ans. Si les deux se taisent, ils purgeront cinq ans. S'ils se dénoncent mutuellement, leur peine est augmentée à sept ans. Mais comme ils ne peuvent pas communiquer, ils choisissent souvent de se trahir pour éviter le pire scénario.
Manor a créé le monstre
Ce principe s'applique également aux batailles de rabais. Il serait avantageux pour une entreprise de vendre un produit, comme une télévision, à son prix normal. Mais elle ne sait pas ce que prévoit la concurrence. Et il vaut mieux vendre à prix réduit que de rester avec des stocks invendus.
Le directeur de Manor, Roland Armbruster, a confirmé que les commerçants sont pris au piège de ces promotions.
«Ne pas proposer de rabais n’est plus possible aujourd’hui»
Ironiquement, c'est Manor qui a introduit le Black Friday en Suisse en 2015. On pourrait dire que l’enseigne a créé un monstre.
Autrefois, les soldes devaient être approuvées
Mais ce monstre n’est pas resté seul. «Nous sommes piégés dans de plus en plus d'actions promotionnelles dont il est difficile de sortir», affirme Bernhard Egger, directeur de l’Association des commerçants .Swiss. Et ce, même si ces campagnes ne servent souvent qu'à stimuler la consommation. Aux promotions traditionnelles des fêtes comme Noël ou Pâques s’ajoutent désormais de nouveaux événements:
- Le Black Friday, venu des Etats-Unis, a été introduit, car de nombreux Américains utilisaient le vendredi après Thanksgiving pour faire leurs achats de Noël. L’origine de son nom est incertaine. Parmi les explications populaires: les commerçants entrent dans le vert (ou noir) de leurs comptes; leurs mains deviennent noires à force de compter l'argent; ou encore, les foules noires de consommateurs envahissent les rues.
- Le Cyber Monday, également américain, a été créé par le commerce en ligne en réponse au Black Friday. Il tombe toujours le lundi qui suit le Black Friday.
- Le Singles Day, venu de Chine, se tient le 11 novembre (11/11, les quatre «1» symbolisant les célibataires). Créé dans les années 1990 comme une journée où les étudiants célibataires s’offraient des cadeaux, il est aujourd’hui exploité par des plateformes comme Shein ou Temu pour en faire une journée de promotions massives, exportée jusqu’en Suisse.
En Suisse, si ces journées n’ont pas émergé plus tôt, c’est en raison de lois restrictives. Ce n’est qu’en 1994 que le Conseil fédéral a modifié la loi contre la concurrence déloyale, en libéralisant le système des soldes. Avant cela, les soldes devaient être approuvés par les autorités.
Chaque année, la plateforme Blackfridaydeals.ch estime les revenus générés par le Black Friday en Suisse. Après une hausse à 490 millions de francs suisses l'année dernière, elle prévoit cette année un léger recul de 20 millions. «La concurrence se calme», observe Julian Zrotz, directeur de Blackfridaydeals.ch. Cela s'explique en partie par les nombreuses faillites de détaillants comme M-Electronics, Sportx, Steg, Esprit ou Microspot.
Pour les critiques des soldes massifs, cela reste la seule lueur d’espoir: que des journées comme le Black Friday s’essoufflent peu à peu. En 2020, un conseiller national avait demandé, dans une motion, que la Confédération mette fin à ces pratiques. Sa requête a été rejetée.
Traduit de l'allemand par Tim Boekholt
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