Alice* n'a jamais eu le moindre doute, elle voulait être maman. «La maternité a toujours été une évidence pour moi», raconte-t-elle. «C'est quelque chose que j'ai toujours voulu, qui a toujours été en moi, sans que j'aie besoin d'y réfléchir». Ce rêve, la trentenaire romande a fini par l'accomplir - elle est aujourd'hui mère d'une petite fille d'un an.
Les choses n'ont pourtant pas été faciles, car Alice est ce qu'on appelle une maman solo. Soit une femme qui décide de concevoir un enfant seule. Ce qui est compliqué, voire impossible en Suisse, le don de sperme n'y étant autorisé que pour les couples mariés. Pour réaliser leur désir de maternité, de nombreuses Suissesses décident donc de se rendre à l'étranger, où cette pratique est légale. C'est ce qu'a fait Alice, au terme d'un parcours long et éprouvant.
Tout commence avec une congélation d'ovocytes. N'ayant pas de partenaire sur le long terme, la Romande décide de franchir le pas à l'âge de 35 ans. «Cette démarche a rendu les choses beaucoup plus concrètes», raconte-t-elle.
L'espoir de rencontrer un partenaire commence également à faiblir. Son activité sur les plateformes de rencontre, peu concluante, la fatigue. «A mon âge, les hommes ont peut-être déjà une famille», argumente-t-elle. «Ce qui pesait aussi dans la réflexion, car c'est compliqué d'être une belle-mère quand on a soi-même le désir d'avoir un enfant».
Alice décide donc de se lancer. Une amie d'une amie lui fournit le contact d'une clinique en Espagne, lui assurant que son expérience s'était bien passée. «Je n'ai pas fait beaucoup de recherches, parce qu'il y a énormément de structures différentes», souligne-t-elle.
Plusieurs options sont en effet possibles. Pourtant, par rapport à d'autres destinations très prisées, telles que le Danemark, l'Espagne offre plusieurs avantages: le pays est facile d'accès et, surtout, le don de sperme y est anonyme. «Pour moi, c'était hors de question de choisir un donneur, je ne voulais pas avoir ce poids», assure Alice.
Puisqu'elle avait déjà fait congeler ses ovocytes, la jeune romande opte pour une fécondation in vitro (FIV) au lieu d'une insémination. «Cela a facilité l'opération, mais il m'a fallu faire transporter mes ovules en Espagne», explique-t-elle. S'agissant de matériel humain, elle a dû faire appel à un transporteur spécialisé. Coût de l'opération: environ 3000 euros.
Le reste a été logistiquement assez simple. Après un premier échange via Skype avec la clinique, tout se fait par mail. Alice ne se rend en Espagne qu'à l'occasion de la FIV.
Alice rentre à la maison le jour même. Car, à l'exception de ce passage, tout le suivi se passe en Suisse. «La gynécologue espagnole me disait ce que je devais faire, quels médicaments je devais prendre, quels examens je devais passer et quand je devais voir mon gynécologue».
Il a donc fallu trouver un praticien prêt à accepter cette logistique particulière. Mais la démarche ne pose aucun problème sur le plan légal: si le don de sperme est interdit aux femmes seules en Suisse, le suivi gynécologique est tout à fait possible. «Bien évidemment, rien n'est remboursé par l'assurance maladie», ajoute la trentenaire. Et de souligner que «la partie la plus chère a clairement été la congélation des ovocytes en Suisse». Cela lui a coûté quelque 8000 francs, contre environ 1500 euros pour la FIV.
«Le gynécologue qui m'a suivie était très ouvert sur la question et m'a beaucoup soutenue», indique Alice. «Car tout le processus a été extrêmement difficile à vivre. Pas tant sur le plan médical, mais au niveau psychologique», ajoute-t-elle.
D'autant plus que sa famille n'était pas au courant, du moins au début. «Je pensais que mes parents allaient réagir négativement, ce qui aurait ajouté un stress supplémentaire», se remémore-t-elle. La jeune femme finit par leur annoncer la nouvelle au troisième mois et, malgré ses craintes, «ils ont tout de suite compris».
Alice décrit cette période comme un va-et-vient constant entre la joie d'accomplir ce qu'elle voulait et l'échec de le faire seule. «Je me demandais si ce n'était pas la plus grosse erreur de ma vie, ou bien la plus belle chose au monde», dit-elle.
Elle se pose également «énormément de questions». Sera-t-elle en mesure de s'en sortir, financièrement, logistiquement, physiquement ou émotionnellement? «J'ai passé en revue tous les problèmes qui pouvaient se présenter, pensé aux pires scénarios», complète-t-elle.
Les choses commencent à aller mieux pendant la grossesse, qui se passe plutôt bien, tout comme l'accouchement. Pour Alice, c'est un «véritable soulagement». «Certaines femmes ont peur de ce moment, tandis que moi, je n'attendais que ça», assure-t-elle. «Quand j'ai entendu son cri, j'ai immédiatement su que tout ira bien. On m'a dit qu'elle était en bonne santé, et la responsabilité et le poids de la décision se sont envolés».
L'arrivée de l'enfant calme ses préoccupations. «J'ai eu tellement de réflexions, d'angoisses et de peurs que, maintenant qu'elle est là, je me pose beaucoup moins de questions», indique-t-elle. Alice estime avoir également eu beaucoup de chance, car l'enfant est «très facile» et a rarement été malade.
Aujourd'hui, Alice affirme ne plus avoir le temps pour les questions existentielles, l'enfant faisant «tout revenir à la base». «Pour l'heure, elle a juste besoin d'amour», indique la trentenaire. Avant d'ajouter: «Les questionnements d'identité, je pense qu'elle les aura, mais cela viendra plus tard, et je ferai avec».
«La perspective de lui parler de ses origines ne me stresse pas pour le moment. Elle est encore petite, et ce n'est pas un sujet tabou», poursuit Alice. Bien que «tout dans la société renvoie constamment au fait qu'un enfant doit être fait à deux», elle assure ne ressentir aucune frustration à ce niveau.
En attendant ce moment, Alice affirme vouloir vivre sa vie tranquillement, au-dessous des radars. Au travail, peu de monde sait qu'elle est maman solo. «Mes collègues sous-entendent que j'ai un copain, ce qui me paraît normal. De toute façon, on ne se raconte pas nos vies, et personne ne pose de questions», poursuit-elle. Quand elle parle de ses week-ends à la pause café, elle dit «on», ou «nous».
«Cela ne veut pas dire que je ne leur fais pas confiance, mais je n'ai pas envie qu'on tire des conclusions hâtives, sans rien savoir», nuance-t-elle.
Alice assure ne pas se considérer comme une militante, mais estime en même temps que l'interdiction du don de sperme aux femmes seules est «scandaleuse». Notamment au vu du fait que ce service est «ouvert pour d’autres types de couples, et que la famille au sens stricte a bien évolué». «Je ne comprends pas la justification et je trouve que ce n'est pas normal. Si on est prête à le faire seule, il y a tout le reste qui doit jouer. Sinon c'est impossible».
*Alice est un prénom d'emprunt