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Travail du sexe: une personne pratiquant ce métier témoigne

Avril Nyx est travaillereuse du sexe en Suisse romande.
Avril Nyx est travailleureuse du sexe en Suisse romande.Image: Alizée Quinche

«Je ne crois pas que le sexe est ce qui intéresse le plus mes clients»

Plusieurs voix s'élèvent pour durcir les règles autour du travail du sexe en Suisse. Une situation qui inquiète les professionnels du secteur, qui ne se sentent pas représentés et inclus dans ce débat. Une personne pratiquant ce métier en Romandie a accepté de partager son expérience.
28.06.2025, 07:0328.06.2025, 08:24
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Le vent est-il en train de tourner contre le travail du sexe en Suisse? Ces derniers temps, plusieurs élus et élues ont décidé de relancer le débat autour du sujet, dans l'objectif de durcir les règles. Les femmes du Centre prévoient notamment plusieurs interventions au Parlement et n'excluent pas de lancer une initiative populaire.

La section féminine du parti demande un durcissement du droit pénal pour les clients et les propriétaires de maisons closes. «La violence et l’exploitation font partie du quotidien des personnes en situation de prostitution», peut-on lire dans une prise de position récemment adoptée. D'autres organisations souhaitent même interdire totalement la pratique.

Qu'en pensent les personnes concernées? Nous avons saisi l'occasion pour échanger avec Avril Nyx, travailleureuses du sexe pratiquant le métier en Suisse romande. Interview.

Plusieurs politiciennes et associations veulent durcir les règles. Cela vous inquiète-t-il?*
Avril Nyx: Cette situation m'inquiète. J’ai le sentiment que les choses pourraient prendre plus d'ampleur que d'habitude. Pourtant, nous avons toujours été confrontés à l'impuissance. Historiquement, les restrictions ont toujours amené plus de vulnérabilité et de danger pour les travailleurs et travailleuses du sexe, et c'est ce qui me préoccupe le plus.

Pourtant, les femmes du Centre affirment agir pour vous protéger. Qu'en pensez-vous?
Je pense que, pour protéger quelqu’un, il faut lui demander son avis. Elles nous prêtent des réalités qui ne correspondent pas à notre vécu. Elles disent que nous sommes isolées, alors que j'ai plein de proches travailleureuses du sexe. C'est par ailleurs en leur compagnie que j'ai visionné un débat sur la RTS consacré à ce sujet. Nous nous disions que, sur ce balcon, partageant un sirop, nous n’avions pas besoin d’être sauvées, mais respectées.

Qu'en est-il de la violence?
L'exploitation et la traite d'êtres humains existent et il faut les combattre, c'est l'avis de tout le monde. Il faut simplement mettre les choses en perspective. Imaginez qu'on parle de l'industrie textile au lieu du travail du sexe: il y a des personnes privilégiées, qui vendent des produits qu'elles ont fabriqués elles-mêmes, et des personnes exploitées, les ouvriers en situation irrégulière contraints à travailler dans des usines.

«Entre deux, il y a un monde, et je ne vois pas en quoi contraindre des personnes plus libres pourrait en libérer d’autres»

Vous vous considérez donc comme faisant partie des travailleuses du sexe privilégiées?
Oui, totalement. Je suis né en Suisse, je parle français et j'ai suivi un cursus universitaire. J’ai pu faire le choix de ce métier en tant qu’activité principale et je ne vis pas les risques que d’autres de mes collègues vivent.

Quand avez-vous commencé?
J'ai commencé pendant mes études. J'étais mal à l'aise, car je trouvais que l'université reproduisait les logiques de pouvoir et d'oppression qu'on était censé combattre. Au détour d'un séminaire sur la sociologie de la médecine et du corps, je me suis inscrite à une formation d'accompagnement sexuel. J'y ai trouvé mon compte pendant un moment. Ensuite, j'ai réalisé que j'avais envie d’offrir mes prestations à tout le monde.

«La sexualité me fascine depuis l'adolescence, je m'y suis beaucoup intéressée à titre privé»

Comment ça s'est passé, au début?
Ça a été compliqué. Au début, j'ai connu pas mal de précarité. C'est mon seul métier, et ça m'a pris du temps avant d'arriver à tourner. Maintenant, c'est le cas, même si je ne nage pas dans l'or, contrairement à ce que l'on peut parfois imaginer.

Quelles réactions votre choix a-t-il suscitées?
A l'époque, je vivais avec un homme auquel je tenais beaucoup. Il n'était pas opposé au fait que je devienne travailleuse du sexe, mais, quand j'ai commencé, les choses ont changé. Il me disait que cette situation le dégoûtait, que je le dégoûtais. On s'est séparé et j'ai dû trouver un autre logement, ce qui n'a pas été facile.

Et du côté de votre famille?
Mon choix a suscité beaucoup d'incompréhension et d'inquiétude. Je traversais une période pas simple au niveau de ma santé psychologique, j'étais en dépression sévère. Je n'avais pas les ressources pour rassurer mes proches. Cela faisait aussi quelque temps que je m'interrogeais par rapport à mon identité de genre. Il y a eu plein de coming outs en même temps, ce qui a probablement été difficile à gérer.

«Maintenant, mes parents sont mes plus grands alliés. Ils me soutiennent, car ils ont vu à quel point ce travail m’épanouit. Je sais qu'ils liront cet article»

Vous avez choisi ce métier. Qu'est-ce qu'il vous apporte?
Ce travail m'apporte de l'amour et me permet d'en donner. Ça me fait du bien. Il m'a portée, il m'a guérie, c'est une source de joie et d'enthousiasme quotidienne. En même temps, c'est aussi une source d'angoisse et de stress, mais on pourrait dire la même chose de n'importe quel métier.

Cela a-t-il également une influence positive sur vos clients?
Je pense qu'on contribue vraiment à la société. On offre des espaces de parole, de découverte, de plaisir et de soin. On apporte du bien-être, de l'amour. Si on valorisait ça, on aurait moins honte. Et cela permettrait de voir que la violence n'est peut-être pas là où on l'imagine.

Comment apprend-on le métier?
On l'apprend sur le tas. Parler avec les personnes qui le pratiquent reste l'un des meilleurs apprentissages et permet de découvrir de nombreuses astuces: toujours avoir des préservatifs sur soi, ne jamais négocier ceci ou cela, choisir des positions permettant de vérifier si le client retire son préservatif. Il est important qu’on se soutienne et qu’on s’aide.

«Pour ce qui est des pratiques, je puise dans mon expérience privée et j’apprends de mes clients»

En parlant des clients, comment les trouvez-vous?
J'utilise un des sites d’escortes principaux en Suisse. L'avantage de celui-ci, c'est que les clients doivent s'inscrire pour me contacter. Cela permet une certaine sécurité, contrairement à d'autres plateformes, où l'anonymat prédomine. Le bouche-à-oreille joue également un rôle important.

Utilisez-vous également les réseaux sociaux?
Oui, notamment pour présenter mon travail comme un espace de soins, sans pour autant me réclamer comme thérapeute. En tant que personne queer, professionnel du sexe et ayant vécu des traumatismes sexuels, je peux aussi m'adresser à des personnes qui ont vécu des traumatismes. Pour moi, la sexualité est aussi un moyen de prendre soin de l'autre et de soi.

Avez-vous déjà subi de la violence dans le cadre de votre métier?
C'est un métier violent, mais la violence n'est pas dans le travail. Quand je rencontre mes clients, les choses se passent bien dans 99% des cas. Je n'ai eu que trois expériences vraiment négatives en cinq ans.

«En ce sens, une infirmière risque d'être beaucoup plus exposée à la violence physique de la part de ses patients»

Où se situe donc la violence?
Elle est tout autour. La violence, c'est entendre des personnes parler à sa place, c'est ne pas se sentir légitime ou ne pas pouvoir évoquer son métier avec tout le monde, par peur d'être rejeté. C'est ne pas avoir le droit à une assurance perte de gains, car notre métier est considéré comme trop risqué – alors qu'on ne dit pas la même chose à un ouvrier qui passe sa journée sur les chantiers. Ce sont les messages insultants que je reçois souvent.

Y a-t-il des clients qui se montrent agressifs?
Ça m’est arrivé. J'expose mes limites avant chaque séance, mais certains clients ne les respectent pas, ou essayent de les contourner. Ce qui est violent, c’est l’idée que l’on se permette de négocier l’intégrité physique de quelqu’un, sous prétexte que son activité n’est pas une activité digne.

Justement, comment fixez-vous ces limites?
Les plateformes d'escortes demandent de lister les pratiques, mais c'est quelque chose que je n'aime pas trop.

«Il y a des jours où je n'ai pas envie de sucer du latex à huit heures du matin»

Parfois, l'hygiène ne va pas, ou l'odeur ne me correspond pas. Pour moi, la sexualité est une totalité, je n'aime pas la fragmenter en plusieurs pratiques séparées. Dans les faits, ça évolue tout le temps, en fonction de ce que j'ai envie d'explorer, de comment je me sens, et de chaque client.

Avez-vous des clients réguliers, sont-ils plutôt occasionnels?
Il y a vraiment de tout. Du client qui vient une seule fois à des personnes que je vois régulièrement depuis plusieurs années et avec qui j'ai un lien privilégié. Parfois, je propose des petits suivis de cinq séances, notamment aux personnes qui veulent s'essayer au BDSM. Cela permet d'amener de la confiance. Explorer des fantasmes qui ont longtemps été cachés et perçus comme honteux nécessite un certain temps.

Votre travail vous permet-il d'accéder à l'intimité des gens?
Oui. Beaucoup d'hommes m'ont confié qu'ils ont des vécus difficiles avec la sexualité, ou des complexes au niveau de leur corps. Plusieurs personnes m'ont dit avoir vécu des violences sexuelles pendant leur enfance sans oser en parler à leur sexothérapeute ou à leurs proches.

«C’est aussi pour ça que je fais ce travail. Tout le monde mérite une écoute sans honte ni jugement»

Comment se protège-t-on face à ces récits?
Ça fait cinq ans que je fais ce travail et je n'ai toujours pas la réponse. Je pense que c'est impossible, je n'arriverai jamais à m'habituer à la violence. J'essaye de créer des espaces pour pouvoir extérioriser la souffrance, et j'en parle aussi beaucoup avec ma partenaire.

Vivez-vous également des situations positives?
Bien sûr, plein! Une fois, une femme m'a contactée après avoir subi une épisiotomie contre sa volonté. Elle m'a demandé un soin par le toucher. Ce n'était pas sexuel, elle avait juste besoin qu'on vienne mettre de l'amour sur sa vulve, au niveau de la cicatrice. C'était une marque de confiance que j'ai beaucoup appréciée.

«J’ai une quantité d’expériences comme celle-ci. Je crois que les gens apprécient pouvoir se monter vulnérables, se sentir acceptés et honorés»

Il ne s'agit donc pas toujours de sexualité...
On pense qu'il faut toujours un rapport sexuel quand on va voir des travailleureuses du sexe. Dans les faits, j’en fais pas tant. Il y a finalement peu de sexe dans ce métier, en vrai. Je ne crois pas que c’est ce qui intéresse le plus mes clients.

Où travaillez-vous?
Les lieux sont un challenge. Je ne travaille pas dans mon appartement, car c'est mon endroit de vie. Au début, j'allais chez les gens, mais je me suis rendu compte que je ne me sentais pas en sécurité. Je vais souvent dans les institutions, ou alors dans les hôtels, mais la loi ne me permet pas de louer une chambre pour une passe. C'est le client qui doit s'en charger, mais beaucoup d'entre eux ne veulent pas laisser des traces. C’est pour cela qu’il nous faut des lieux de travail sûrs et accessibles.

Les travailleurs et travailleuses du sexe sont souvent absents du débat public. Faudrait-il les inclure davantage?
Tout le monde gagnerait à s'intéresser au travail du sexe. Quand on ne connaît pas, on est forcément dans le jugement. Quand on nous lit, qu’on nous écoute, l'empathie s'active. Plus les gens nous voient, plus il leur est facile de nous accueillir.

*Avril utilise les pronoms il/elle et nous a demandé d'utiliser le terme travailleureuse du sexe à son sujet.

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