Lorsque Julie* a commencé à avoir des démangeaisons dans ses zones intimes, il y a deux ans, elle se rend d'abord à la pharmacie. La jeune Romande se voit remettre une pommade contre les mycoses. «Elle n'a eu aucun effet», raconte-t-elle aujourd'hui. «Au contraire, ça devenait de plus en plus douloureux. J'ai également remarqué que ma vulve commençait à se transformer».
Elle décide alors de s'adresser à un médecin. La gynécologue qui l'ausculte lui dit qu'elle souffre probablement d'un lichen scléreux (LS). Un terme que Julie n'avait jamais entendu. «Je ne savais pas du tout de quoi il s'agissait, et ça m'a fait très peur», se remémore-t-elle.
Pourtant, il s'agit d'une maladie très répandue en Suisse, bien que des chiffres officiels n'existent pas. «Selon une étude menée sur des patientes en EMS, le lichen scléreux touche une femme sur 30. Chez les filles prépubertaires, on parle plutôt d'une personne sur 900», précise Aurélie Hsieh, médecin consultante aux HUG dans le service de dermatologie et vénéréologie. Les hommes peuvent également être touchés, bien que dans une moindre mesure.
Concrètement, il s'agit d'une maladie chronique de la peau, qui affecte la région anogénitale et se manifeste par poussées. «On pense qu'il s'agit d'une maladie auto-immune. Il y a ensuite la piste génétique, car on a observé des cas chez des membres d'une même famille. Il pourrait également y avoir une composante hormonale», énumère Aurélie Hsieh. Pourtant, rien n'est certain, car ses causes restent inconnues.
Le plus souvent, le LS se manifeste lors de deux moments de la vie, poursuit la spécialiste. En période prépubertaire ou autour et pendant la ménopause. Ce deuxième cas est le plus fréquent, bien que la maladie puisse survenir à n'importe quel âge, comme le montre l'exemple de Julie.
Sa localisation explique largement pourquoi on n'en entend presque pas parler, avance Aurélie Hsieh:
Ses effets comprennent des démangeaisons intenses et des sensations de brûlure, ainsi que des douleurs pendant les rapports sexuels - c'est ce qu'a vécu Julie. «La gynécologue a constaté que l'entrée du vagin commençait à se cicatriser», précise-t-elle. Elle procède alors à des exercices d’étirement de l’entrée vaginale, mais, comme celle-ci s'est beaucoup sclérosée, la jeune femme doit se faire opérer.
En effet, le lichen scléreux peut entraîner des modifications de l’aspect de la vulve. Outre le rétrécissement de l'entrée du vagin, celles-ci comprennent la fusion des petites lèvres avec les grandes lèvres et l'enfouissement du clitoris. «Ces mutations sont plus importantes chez les personnes qui ont un diagnostic tardif, qui sont insuffisamment traitées ou qui sont malades depuis longtemps», nuance Aurélie Hsieh.
Les modifications peuvent être évitées en appliquant une crème à base de cortisone, qui permet également de calmer les symptômes, explique Aurélie Hsieh. Pourtant, le lichen ne peut pas être soigné définitivement.
Julie a également dû appliquer de la cortisone, mais cela ne s'est pas toujours bien passé. Lorsqu'on lui propose de diminuer la fréquence, les douleurs et les démangeaisons reprennent. Les choses commencent à changer lorsqu'elle prend contact avec l'Association Lichen Scléreux, une organisation fondée en 2013 pour sensibiliser la population au sujet de cette maladie.
On lui dit alors qu'il faut appliquer une pommade soignante à côté de la cortisone, car celle-ci dessèche - ce que la gynécologue ne lui avait pas dit. «L'inconfort que je ressentais tout le temps n'était pas seulement dû au lichen scléreux, mais aussi à la sécheresse vaginale», relate la jeune Romande.
L'association lui conseille également de se laver uniquement avec de l'eau, car le savon peut avoir un effet irritant. Julie l'assure:
La jeune femme, aujourd'hui âgée de 25 ans, raconte pourtant que la maladie affecte sa vie à de nombreux niveaux. «J'ai dû changer mes vêtements. Porter des jeans ou des pantalons serrés est désormais impossible, car c'est trop douloureux. J'ai commencé à me mettre en robe, et je n'utilise plus que des sous-vêtements en coton», liste-t-elle.
Elle se réveille souvent la nuit, à cause des douleurs, surtout lorsqu'il fait chaud. «La chaleur du duvet me provoque de brûlures», complète-t-elle.
Le manque d'informations au sujet du LS n'est que l'un des problèmes entourant cette maladie. «Certains médecins ne sont pas assez sensibles, ou ne sont pas formés pour l'identifier», déplore Alice Bart, présidente de l'Association Lichen Scléreux. Elle est elle-même atteinte de la maladie depuis plusieurs années.
«En général, les dermatologues et les gynécologues savent reconnaître le lichen scléreux», note Aurélie Hsieh, qui confirme toutefois que «cette maladie n’est pas toujours bien connue des professionnels de la santé».
Pour complexifier les choses, le LS est souvent invisible, surtout lors des premières phases de la maladie. «Il peut parfois provoquer de petites taches blanches ou des cicatrices blanches dans la vulve et dans la zone autour de l'anus», indique Alice Bart. Il peut ainsi ressembler à d'autres maladies, avec lesquelles il arrive qu'il soit confondu. La candidose vulvaire, le psoriasis, le vitiligo, l'eczéma ou une atrophie vulvaire en lien avec la ménopause en sont des exemples, illustre Aurélie Hsieh.
La spécialiste ajoute que le LS est asymptomatique jusque dans un tiers des cas et qu'il touche une zone difficilement examinable sans l’aide d’un miroir. Résultat:
Cela est toutefois très important, souligne Alice Bart: «Il arrive que des personnes touchées pensent que les douleurs sont dans leur tête. Les proches ne comprennent pas toujours, à l'image de certains médecins, malheureusement».
L'association demande en effet que «les médecins soient formés correctement, que les personnes touchées soient prises au sérieux et qu'il y ait davantage de recherche scientifique, à plusieurs niveaux», liste sa présidente. Les choses seraient lentement en train de changer, poursuit-elle:
En attendant, l'association propose des groupes de parole réguliers et des entretiens individuels, destinés notamment à rassurer les personnes qui viennent de recevoir le diagnostic.
«Je veux apprendre aux gens à vivre avec cette maladie», conclut Alice Bart. «C'est tout à fait possible, si l'on est bien entouré. Je veux donner de l'espoir et du courage: c'est pour cela que je me suis investie».
*Julie est un prénom d'emprunt