Madame Lévy, il est difficile de faire des économies dans le secteur de la santé. Et ce, bien que nous sachions depuis des années que 20% des coûts sont dus à des inefficacités du système qui pourraient être supprimées sans perte de qualité. Où se situe le problème?
Anne Lévy: En Suisse, nous avons un bon système de santé et une espérance de vie élevée. Les gens sont satisfaits des soins parce qu'ils obtiennent rapidement un rendez-vous chez le médecin. Les délais d'attente sont nettement plus longs à l'étranger. C'est apprécié, mais cela a aussi un prix. De plus, il n'est pas facile de démontrer les inefficacités. C'est dans ce champ de tensions que nous nous trouvons.
Pourquoi est-il si difficile de faire des économies?
De nombreux acteurs sont impliqués, certaines choses sont réglées au niveau national, d'autres au niveau cantonal. Le système de santé est organisé de manière fédérale. Ce sont les cantons qui décident du nombre d'hôpitaux et de leur localisation. Nous avons plus de 200 hôpitaux de soins aigus, plus de 40 caisses maladie, des centaines de cabinets médicaux, les soins infirmiers et de nombreuses associations. Tous font valoir leurs intérêts.
Le nombre d'acteurs devrait-il donc diminuer pour créer des réformes?
Le fédéralisme est l'un des piliers de notre Etat et il a également un sens dans le domaine de la santé. Ce sont les cantons qui sont proches des gens, qui savent ce dont ils ont besoin.
Quelle est votre proposition?
Le baromètre des préoccupations montre que les coûts de la santé préoccupent fortement la population. Notre objectif doit donc être de maintenir une bonne qualité tout en maîtrisant les coûts. C'est une tâche exigeante. Et pour cela, nous devons encore mieux nous coordonner entre nous. Grâce aux paquets de mesures de réduction des coûts de la Confédération, des économies ont déjà pu être réalisées, de même que pour les analyses de laboratoire.
Vous voulez vous attaquer à l'excès de soins. A l'occasion des Trendtage Gesundheit à Lucerne, vous avez parlé de «soins appropriés.» Comment cela fonctionne-t-il?
L'objectif premier est d'assurer des soins de qualité et la sécurité des patients.
Les deux sont importants. Car ce n'est pas seulement l'absence de traitement qui peut entraîner des risques. Une personne qui prend par exemple trop de médicaments ou pendant trop longtemps peut également tomber malade. Nous avons lancé une nouvelle initiative afin d'approfondir ce thème avec tous les acteurs concernés.
Qui détermine les soins appropriés?
De nombreuses organisations médicales spécialisées, des hôpitaux et des associations s'en occupent déjà, examinent les traitements et émettent des recommandations. Nous avons soutenu la mise à jour de l'Atlas suisse des services de santé de l'Observatoire suisse de la santé (Obsan). Celui-ci permet de voir précisément à quel point les soins varient d'un canton à l'autre.
Nous observons la même chose pour les opérations de la hanche, les opérations de l'hallux ou la prescription d'analgésiques et de calmants.
Et elles ne s'expliquent pas?
En partie, oui, par le biais de la démographie, de la différence entre la ville et la campagne.
Qui détermine maintenant quelle est la bonne mesure?
Le savoir et l'expérience sont détenus par les organisations spécialisées respectives, pas par l'OFSP. Elles peuvent dire, sur la base d'une indication claire, quand une opération du ménisque, par exemple, est judicieuse. Et elles le font déjà, l'association Smarter Medicine a rassemblé de nombreux bons exemples. L'important, c'est d'avoir le bon traitement au bon moment.
Votre objectif est-il de rendre certaines normes obligatoires?
Ce n'est pas à nous de dire quand il faut une nouvelle prothèse de hanche et quand il n'en faut pas. Ce n'est pas notre rôle.
Pour qu'ils réfléchissent, eux aussi, à la question de savoir si une opération est la meilleure solution. La qualité du traitement est essentielle pour la sécurité des patients.
N'était-ce pas l'objectif de la loi sur la qualité adoptée en 2019? Sa mise en œuvre a-t-elle échoué?
La commission qualité n'existe que depuis peu. Mais sa mission est effectivement de promouvoir la qualité et elle a déjà mis en place des choses importantes à cet effet.
Le thème de la surabondance de soins dépend aussi de la tarification, du prix. Dans ce domaine, le Conseil fédéral fait du surplace depuis des années. Un nouveau tarif pour les prestations médicales ambulatoires est prêt. Comment cela va-t-il évoluer?
Le système de facturation est pertinent. Cela vaut également pour le financement uniforme des prestations ambulatoires et stationnaires (EFAS), qui a été voté par le Parlement. Dans le système, nous avons de fausses incitations pour le financement, car le traitement stationnaire est payé par le canton et la caisse maladie, alors que le traitement ambulatoire n'est payé que par la caisse maladie. EFAS doit maintenant changer cela, c'est-à-dire que les deux traitements seront financés de la même manière. C'est également essentiel pour la sécurité des patients.
Pourquoi?
En Suisse, les traitements stationnaires sont beaucoup plus fréquents qu'à l'étranger. Pourtant, les traitements ambulatoires seraient souvent plus agréables pour les patients, car certains préfèrent rester chez eux plutôt qu'à l'hôpital. Deuxièmement, on peut réduire le risque de contracter des germes.
Vous allez conseiller le Conseil fédéral sur l'opportunité d'accepter le nouveau tarif médical. Que recommandez-vous?
La discussion est toujours en cours. Ce qui est clair, c'est que l'ancien tarif Tarmed doit être remplacé. Mais deux propositions sont sur la table, outre le Tardoc, il y a aussi les forfaits ambulatoires. Ce qui est sûr, c'est qu'à l'avenir, il faudra les deux, des tarifs à la prestation et des forfaits.
L'amélioration de la qualité et la politique des prix permettent de lutter contre la surconsommation de soins. Quelle est l'importance du dossier électronique du patient, qui n'a guère progressé depuis des années?
Personnellement, je ne pourrais plus me passer du dossier électronique du patient (DEP). Certes, il n'est pas encore parfait dans son exécution. Il y a encore trop peu d'institutions qui y sont raccordées. Et trop peu de gens l'utilisent. Mais nous y travaillons.
Actuellement, les hôpitaux, les maisons de naissance et les homes ainsi que les médecins nouvellement autorisés sont obligés d'avoir l'infrastructure, mais l'utilisation est facultative. Personne ne l'utilise.
C'est pourquoi, en complément de la révision à court terme qui permet de soutenir financièrement chaque dossier ouvert, nous avons besoin de la révision globale. Nous n'améliorons pas seulement la connexion, mais:
La plupart des médecins ont déjà un système d'information numérique pour leur cabinet, et l'idée est de fixer la norme de telle sorte qu'en un clic, toutes les informations souhaitées soient sur le dossier électronique du patient. Cela simplifie beaucoup de choses: plus de lettres de sortie par exemple. Et le médecin traitant sait ce que fait l'hôpital — et inversement. C'est un soulagement, ou du moins cela devrait l'être.
Les cantons souhaitent que la Confédération prenne les rênes et coordonne l'introduction afin d'éviter qu'il y ait différents systèmes de décompte qui ne communiquent pas entre eux. Ne faudrait-il pas d'abord poser les bases techniques avant l'extension et l'obligation?
Si, c'est ce à quoi nous travaillons. Nous faisons avancer deux projets. Outre le DEP, il s'agit de la standardisation et d'une meilleure mise en réseau des systèmes informatiques, ce qui est en cours avec Digisanté. Pour que les systèmes soient mieux adaptés les uns aux autres, qu'ils puissent communiquer entre eux et qu'un médecin ne doive plus saisir une information qu'une seule fois.
Alors pourquoi chaque canton a-t-il sa propre solution pour le DEP?
Au début, le Parlement a opté pour une solution décentralisée et fédéraliste pour le DEP. Il en est résulté plusieurs communautés de base, qui opèrent avec trois systèmes. Mais les cantons peuvent naturellement regrouper leurs tâches et leurs prestataires. C'est ce qui s'est passé par exemple en Suisse romande, où les cantons se sont regroupés et ont investi dans le développement. Si l'on attend maintenant qu'une modification de la loi soit nécessaire pour chaque étape, nous perdrons beaucoup de temps.
Le DEP ne résout pas le problème de la hausse des coûts. Le progrès médical coûte cher. Comment y remédier à l'avenir?
Les progrès de la médecine sont impressionnants. Je pense par exemple aux traitements contre le cancer ou aux vaccins, qu'il s'agisse de vaccins connus comme celui contre la variole ou du vaccin relativement récent contre le HPV. Nous économisons sur les médicaments, mais aussi sur les éventuelles maladies. Les gens sont prêts à payer quelque chose pour ce progrès. La question est simplement de savoir combien cela peut coûter.
Et?
Si nous regardons les nouveaux médicaments coûteux pour lutter contre le cancer ou l'hémophilie — des maladies que nous pouvons enfin traiter —, ils sont extrêmement utiles. En même temps, nous devons veiller à ce que notre système de santé reste abordable, nous prenons cela très au sérieux. C'est la raison pour laquelle il faut parfois plus de temps pour qu'un médicament soit mis sur le marché. Chacun d'entre eux est examiné sous l'angle de l'efficacité, de l'adéquation et de l'économicité. Nous menons des négociations difficiles pour que les médicaments restent abordables.
Les médicaments les plus chers sont-ils toujours les meilleurs?
Cela fait aussi partie des soins adéquats. Nous ne contrôlons pas seulement les médicaments. Par exemple, dans certains cas, une radiographie suffirait aujourd'hui, mais on fait quand même une IRM. Avec notre nouvelle initiative, il s'agit de voir, en collaboration avec les spécialistes, comment nous pouvons éviter les soins excessifs, insuffisants ou inappropriés. Ou quand la méthode conservatrice offre un traitement moins cher, mais équivalent.
Depuis le Covid-19, le corps médical constate un fort sentiment d'insécurité. L'idée que l'on se fait d'être en bonne santé s'estompe. La peur de la maladie augmente. Voyez-vous cela comme un problème?
Nous pouvons nous-mêmes faire beaucoup pour rester en bonne santé: ne pas fumer, ne pas boire — du moins pas trop, faire suffisamment d'exercice et faire attention à notre alimentation. Je trouve très positif que la population en soit davantage consciente. Mais comme pour tout, cela peut mal tourner. Les gens se laissent déstabiliser lorsque leur smartwatch affiche des valeurs qui sortent de la norme et qu'ils demandent immédiatement une analyse en laboratoire.
C'est un problème, n'est-ce pas?
Il est important de bien savoir classer les choses. Il est crucial de savoir quand une valeur est dangereuse.
Cette insécurité est directement à l'origine des coûts.
La question est de savoir qui fait la consultation. Ce ne doit pas nécessairement être un médecin. Aujourd'hui déjà, les pharmaciens assument des tâches importantes, et les infirmiers pourraient également se charger de certaines choses.
Nous manquons de médicaments et de personnel qualifié. Est-ce que nous mettons le bon accent si nous tournons constamment autour de la question des coûts?
Les deux vont de pair. C'est précisément ce que veut la prise en charge adéquate. Affecter les professionnels de la santé là où ils sont nécessaires. C'est ce que nous appelons le «task shifting». Certaines personnes doivent aujourd'hui accomplir trop de tâches qui ne correspondent pas à leur mission principale et qui pourraient très bien être assumées par d'autres.
Comment comptez-vous faire face à la pénurie?
La mise en œuvre de l'initiative sur les soins infirmiers est un bon exemple. Nous formons davantage de personnes et améliorons les conditions de travail pour que les professionnels restent plus longtemps en poste. Nous en avons fait de même pour les médecins de famille.
Les employeurs, c'est-à-dire par exemple les hôpitaux ou les cabinets médicaux, sont également invités à aménager les conditions de travail de manière à ce que l'on ait envie d'y travailler.
Votre nouvelle patronne, Elisabeth Baume-Schneider, a annoncé le lancement d'un plan directeur pour les soins de base. En faisons-nous encore trop peu?
La promotion de la médecine de famille a permis de poser un jalon important. Nous avons créé davantage de places d'études et rendu le thème de la médecine de premier recours plus attrayant pendant les études.
La conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider a précisé que dans une prochaine étape, celle-ci devra être pensée de manière plus large et que les médecins de famille, les infirmiers, les pharmacies ainsi que, par exemple, les pédiatres et les soins d'urgence devront être intégrés dans les réflexions.
Mais les médecins de famille font toujours défaut.
Le renforcement reste bien sûr l'objectif. En même temps, il faut se demander quelles sont les tâches que les infirmiers peuvent assumer? Et que doit faire un médecin? Par exemple, les pharmacies peuvent vacciner davantage. Le deuxième aspect important est que les hospitalisations mobilisent beaucoup de ressources. Aujourd'hui, beaucoup de choses pourraient être faites en ambulatoire. Je suis donc confiante dans le fait que nous pourrons continuer à fournir des soins de qualité à l'avenir.
Même si, aujourd'hui, nous faisons venir de nombreux professionnels de l'étranger?
Nous avons fait des efforts et nous avons réussi à former plus de personnes. Nous ne relâchons pas nos efforts. Et il s'agit aussi de garder ces personnes dans la profession. Nous ne sommes pas parfaits dans ce domaine, nous y travaillons.
Traduit et adapté par Noëline Flippe