C’est un grand non. D’après les résultats définitifs, la Loi fédérale sur les services d’identification électronique (LSIE) est rejetée aujourd'hui par le peuple suisse à 64,4%. Quelle que soit l'interprétation que l'on fait de ce refus, une chose est certaine: la population estime que l'Etat suisse n'a pas encore trouvé de bonne solution au problème de l'e-ID.
Ajoutons à cela l'e-expérience du Covid-19: l'application SwissCovid n'a pas eu le succès qu'attendait la Confédération; le manque de masques au début de la crise était dû à un mauvais calcul des stocks sur la base de fax... La Confédération a assurément des étapes importantes à franchir dans le domaine du numérique. Concrètement, quelles sont-elles?
Pas plus tard que fin-février, l'épidémiologiste Marcel Salathé a quitté la task force Covid-19 de la Confédération au motif que cette dernière a un retard numérique inacceptable, qui se lit en particulier au niveau de l'administration fédérale. Le spécialiste a par le même coup fondé le groupe interdisciplinaire CH++, ayant pour but de «renforcer» les compétences scientifiques et technologiques du monde politique, de l'administration et de la société dans son ensemble».
«Que ce soit au niveau des critères d’embauche des fonctionnaires ou au niveau de la formation continue qui leur est offerte, les compétences numériques doivent jouer un rôle plus important qu’aujourd’hui», déclarait Olga Baranova, l'une des personnalités membres de CH++, au journal Le Temps le 21 février.
Une vision que partage le conseiller national fribourgeois Gerhard Andrey, membre des Verts et cofondateur de l'agence digitale LIIP. Au téléphone, il insiste sur ce besoin général pour la Suisse de se mettre à jour, dans le public comme dans le privé. «On oppose souvent l'un et l'autre, mais les problèmes sont globalement les mêmes», note le conseiller national. «Dans le secteur privé comme dans l'administration, certains domaines sont très avancés et d'autres ont beaucoup de retard à rattraper.»
L'un des leviers pour l'édification d'une véritable «cyberadministration»? La standardisation de la communication numérique entre différents serveurs, ordinateurs et logiciels. «Il y a aujourd'hui beaucoup de ruptures entre les différents départements, il manque un langage commun.» Le député a déposé une motion à ce sujet, qui a été adoptée.
Outre la modernisation du fonctionnement de l'administration fédérale, un autre grand défi est justement l'introduction d'un bon système d'identification électronique, selon Gerhard Andrey, qui considère qu'il s'agit là d'une «prestation de base». Et celui qui s'est engagé en faveur du «non» prend ce refus comme une avancée, non comme un stationnement:
Nous avons ainsi eu l'occasion en Suisse d'être informés et de réfléchir à la gestion de nos données personnelles. Mais cette question est aussi celle de notre rapport à l'Etat. La conseillère fédérale Karin Keller-Suter, en campagne pour le «oui», estimait dans une interview publiée sur le site du Département fédéral de justice et police:
Or, on peut se demander si l'inverse n'est pas vrai aussi dans une certaine mesure. A savoir: il y a fort à parier que la confiance des Suisses envers la Confédération sera accrue si cette dernière se donne les moyens d'avoir les compétences numériques, la fiabilité et la sécurité qu'on peut légitimement attendre d'un pays avancé en 2021.
Ce n'est pas seulement les fonctionnaires et les élus, mais de manière générale tous les citoyens de ce pays qui devraient être mieux informés en matière numérique, selon les membres du groupe CH++. D'où leur revendication d'une éducation numérique accrue au niveau de l'école obligatoire.
Le vert Gerhard Andrey approuve. La vert'libérale Judith Bellaïche aussi. «Il faut introduire des cours de programmation dès l’époque primaire, progressivement», développe la conseillère nationale zurichoise. «Le numérique va complètement changer nos professions, il faut préparer nos jeunes à leur entrée dans la vie professionnelle.»
Il y a bien sûr un grand frein politique à cette modernisation que la politicienne appelle de ses vœux: ce sont les cantons qui, en Suisse, sont en charge de l'éducation. «Il y a aussi deux autres freins», complète la Zurichoise, qui sont «le manque d'enseignants et les matières déjà chargées». Une piste? «Rien n'empêche d'avoir des intervenants externes. On le fait pour la religion, alors pourquoi pas pour le numérique.»
Les thèmes de la cybersécurité et du vote électronique sont également sur la table des discussions depuis des années. A voir comment évoluera la perception de ces sujets par les politiques, l'administration... et la population. Car «si elle a montré une relative agilité durant la période du Covid-19, il manque des ponts de manière générale entre le public et le savoir sur le numérique», conclut Judith Bellaïche.