Ce patron suisse a lancé une «révolution des pourboires» qui inquiète
Les pourboires ont disparu, en Suisse, depuis plus de 50 ans. Du moins en théorie: on les a supprimés en 1974 et, depuis lors, un forfait de service est inclus dans le prix de vos röstis, de votre salade de rampons ou de votre émincé à la zurichoise.
Mais bien souvent, la clientèle locale continue d'arrondir le montant de sa note. Selon les calculs de diverses associations et organismes publics, cela représenterait jusqu'à un milliard de francs par an.
Le numérique qui change la donne
On apprenait, en juin, que la Confédération envisageait d'introduire des cotisations sociales sur ces pourboires, dans la mesure où ils constituent «une partie importante du salaire». C'est déjà le cas aujourd'hui, même si cette notion manque de définition précise et qu'il n'y a aucun contrôle. Avec la généralisation des paiements numériques, il devient cependant plus facile de comptabiliser les choses, et donc de calculer les cotisations dues.
Le restaurateur Manuel Wiesner a déjà pris les devants. Il aurait déclenché une «révolution des pourboires», selon un reportage diffusé fin août dans l'émission Rundschau de la SRF. La Familie Wiesner Gastronomie, l'une des plus grandes entreprises du pays dans le secteur, réalise un chiffre d'affaires qui avoisine les 100 millions de francs. Elle fait apparaître les pourboires sur la fiche de paie de ses employés depuis 2024.
Peu avant cela, la société, qui possède entre autres les chaînes Negishi et Nooch, avait supprimé l'argent liquide dans ses 29 établissements, et les bonnes mains apparaissaient donc désormais noir sur blanc sur les relevés.
2700 francs dans la poche
Des analyses internes ont montré que les quelque 900 collaborateurs recevaient 3,4 millions en pourboires, détaille le patron. Un décompte anonymisé apparaît alors, sur lequel une ligne indique 2700 francs de pourboires. Un montant qui vient s'ajouter aux 4000 francs mensuels et au treizième salaire. Selon Wiesner, inclure les pourboires à la rémunération permet de bénéficier d'une meilleure assurance et d'une retraite plus élevée. Et le personnel apprécie, commente-t-il.
Mais avec sa «révolution», l'entrepreneur fait toutefois cavalier seul dans le paysage gastronomique national. D'un côté, la faîtière Gastrosuisse précise clairement sur son site: «En principe, les pourboires ne constituent pas un salaire et n'en font pas partie». De l'autre, il y a l'association nationale des patrons de la branche, la SGG. Elle compte parmi ses membres Bindella et Tibits, mais pas la Famille Wiesner Gastronomie. La SGG dit elle aussi son scepticisme quant à un changement de pratique. Son vice-président, Florian Eltschinger souligne:
Il ajoute que cela relève plutôt «d'un don sur une base volontaire» et d'un signe d'appréciation que d'une partie du salaire.
Un attrait en chute libre pour le secteur
Florian Eltschinger dirige l'entreprise familiale Remimag avec son frère Bastian. Ils génèrent environ 72 millions de chiffre d'affaires par an. Dans les 25 restaurants de la société lucernoise, les pourboires continuent d'être majoritairement versés en espèces, alors que l'argent comptant ne représente qu'un tiers des paiements, explique le directeur.
Les habitudes en la matière et les sommes varient en fonction de la taille du lieu, de son emplacement et de la saison. Dans l'ensemble cependant, on observe un glissement net vers les paiements numériques.
Si les pourboires étaient soumis à des cotisations sociales, cela pénaliserait autant les employés que les employeurs, argumente le restaurateur. Les premiers considèrent les pourboires comme une reconnaissance personnelle de leur travail. Les déductions réduiraient le montant net perçu. Florian Eltschinger explique:
Il estime que cette motivation disparaîtrait en cas d'imposition et que la branche deviendrait encore moins attrayante.
Dans les restaurants de sa société, les pourboires sont répartis de manière autonome entre le service, la cuisine et le nettoyage.
Il est possible qu'un serveur reçoive 3000 francs de pourboires en un mois, «mais c'est certainement l'exception, et cela n'arrive que rarement, voire jamais». Il ne les considère donc pas comme «essentiels».
La situation juridique en cours d'examen
Pour l'Administration fédérale des contributions (AFC), la notion «d'importance» n'est définie ni dans la loi ni dans l'ordonnance sur l'AVS. Elle répond:
Dans le cadre des contrôles effectués auprès des employeurs, les caisses de compensation compétentes remarquent: «des montants manifestement conséquents au vu de la rémunération». En ajoutant:
Un principe prévaut malgré tout: la majorité des pourboires de la restauration ne remplit les conditions ni d'une obligation de cotiser ni d'assujettissement à l'impôt.
Sur fond de généralisation des paiements numériques, le Conseil fédéral a néanmoins chargé le département fédéral de l'Intérieur de réexaminer la situation juridique sur ce point. Cela s'inscrit dans le cadre des travaux sur la prochaine réforme de l'AVS, explique un porte-parole de l'AFC: «Ces travaux sont en cours».
Une hausse des prix pour les clients
Florian Eltschinger ignore ce que coûterait un éventuel durcissement de la loi à une entreprise comme Remimag. Tout dépendrait du montant des pourboires et des taux de cotisations sociales en vigueur.
Il calcule que la hausse des charges salariales qui en résulterait ferait grimper les prix, «ce qu'il faudrait répercuter sur la clientèle» ensuite.
Certaines entreprises pourraient, en outre, ne plus autoriser les pourboires numériques à l'avenir «afin d'éviter des frais administratifs et financiers», prédit notre interlocuteur. C'est déjà le cas en Italie, par exemple.
Selon l'administration fiscale, peu importe sous quelle forme on laisse un pourboire: c'est l'évaluation au regard du droit des assurances sociales qui sera déterminante. Dans la réalité cependant, les espèces demeurent plus difficiles à tracer, «il faudrait alors en tenir compte pour adapter la situation juridique».
(Traduit et adapté par Valentine Zenker)