La joie était intense sur la Place fédérale, mercredi en fin de matinée. Les Jurassiens venus soutenir leur conseillère aux Etats, devenue conseillère fédérale dans le courant de la matinée, étaient sous le coup de l'émotion.
Et on peut dire, au vu des titres de la presse romande de ce matin, que l'émotion était partagée. Qui ne se réjouit pas de l'élection de la socialiste au Conseil fédéral, la première Jurassienne à ce poste? Les Alémaniques — en bonne partie, du moins.
Mais pourquoi? Voici quelques éléments de réponse.
Ce matin, les titres de la presse alémanique n'y sont pas allés de main-morte. La NZZ comme le Tages Anzeiger se sont montrés très critiques envers l'élection, unanimement célébrée en Suisse romande, où on aime voir un pays désormais uni. Les Alémaniques ne l'entendent pas de cette oreille, bien au contraire.
On pointe le déséquilibre de la représentation linguistique au Conseil fédéral. Trop de latins, notamment, comme le PLR l'avait déjà relevé et critiqué durant la campagne.
Mais pas seulement: les questions sur le clivage ville-campagne sont relancées, les «citadins» (ceux qui habitent en ville) étant désormais minoritaires au Conseil fédéral. Les Alémaniques goûtent peu d'avoir toute la région zurichoise et centrale délaissée, une première depuis longtemps.
Le Jura, peu connu en Suisse alémanique, ne provoque pas la sympathie qu'il suscite en Romandie. Pour de nombreuses personnes au-delà du canton de Berne, la Question jurassienne n'est d'ailleurs pas un thème.
La reconnaissance pleine et entière du plus jeune canton de Suisse par la grâce de l'élection de Baume-Schneider est encore moins un argument.
Le commentaire écrit par notre collègue de la version alémanique de watson laisse pas de place au doute quant au peu d'intérêt que représente le Jura aux yeux de Zurich:
Et les Bâlois eux-mêmes l'ont particulièrement mauvaise. La grande cité rhénane est comme ignorée. Les commentateurs déplorent que ce grand centre urbain et économique ne soit pas représenté.
Les Bâlois répètent à l'envi que leur canton n'a pas eu de conseiller fédéral depuis bientôt 60 ans. Quand Hans-Peter Tschudi a quitté le Conseil fédéral, en 1973, le canton du Jura n'existait même pas.
L'autre argument est financier. Le Jura profite généreusement de la péréquation financière (160 millions de francs cette année), ce mécanisme fédéral de solidarité qui veut que les cantons les plus riches reversent de l'argent aux plus pauvres.
Voici ce que déclarait une conseillère nationale de Bâle-Campagne dans Le Temps:
Dans la salle des pas perdus, mercredi, le mot de «profiteurs» pouvait être entendu ici et là. En allemand, Profiteure, à la consonance toute francophone très sophistiquée et qui représentait bien la vision que certains Alémaniques se font (désormais encore plus) de la Romandie.
Pour Bâle (again), qui se trouve face au Jura, c'est «double peine». Les «perdants» de l'élection, qui versent beaucoup d'argent dans la péréquation, paient pour le vainqueur.
Bien que les sommes soient noyées dans les statistiques fédérales, la proximité entre Bâle et le Jura évoque des images chez certains Alémaniques, qui s'imaginent volontiers des camions d'argent faire le trajet entre la métropole rhénane et Delémont.