Toulouse est bien plus qu’une ville pittoresque du sud de la France. C’est ici que se trouve le siège du géant aéronautique européen Airbus, qui y exploite son plus grand site de production. Une usine si vaste que les mastodontes de métal qui en sortent paraissent minuscules. Pour parcourir cet espace de plusieurs hectares, les 23 000 employés se déplacent à l’aide de petites voitures électriques.
Dès le passage des portiques de sécurité, une foule d’avions fraîchement assemblés apparaît. On y repère les couleurs d’Air Astana, Aer Lingus, British Airways ainsi que le tout nouveau Swiss A321, prêt à être livré.
Mais le vrai joyau de Swiss se cache dans un autre hangar. Le premier A350-900, que la compagnie prévoit d’intégrer à sa flotte dès cet été, est encore en construction. Fin 2022, la filiale du groupe Lufthansa annonçait l’achat de cinq exemplaires de cet appareil, destinés à remplacer ses modèles vieillissants. Fin 2023, cinq autres unités ont été commandées.
A 300 millions d’euros l’unité au prix catalogue, la facture totale dépasse largement le milliard d’euros. Un montant probablement réduit grâce à des remises, Lufthansa ayant passé une commande de plus de 70 appareils.
L’intégration du nouvel avion dans la flotte de Swiss, préparée depuis deux ans, est en passe de s'achever. A Opfikon, près de Zurich, le directeur des opérations Oliver Buchhofer a récemment inauguré un simulateur de vol dédié à la formation des pilotes. Et il se réjouit:
L'enthousiasme est palpable lors de notre visite de l’usine Airbus. Selon le constructeur, le nouvel A350 émet 25% de CO2 en moins que ses prédécesseurs et est deux fois moins bruyant. Un atout pour Swiss, engagée dans des objectifs de durabilité, mais aussi une réponse aux pressions réglementaires croissantes sur le secteur aérien. Car même si le débat sur le dérèglement climatique semble s’être atténué, les compagnies aériennes doivent composer avec des taxes et des réglementations de plus en plus contraignantes, notamment en matière de bruit et d’émissions polluantes.
Pour la production de l’A350, Airbus a inauguré en 2012 un hall d’assemblage de onze hectares, soit l’équivalent de quinze terrains de foot. Cette infrastructure permet de travailler sur dix avions en parallèle.
Les différents composants sont acheminés à Toulouse depuis divers sites européens du constructeur. Les ailes de 32 mètres de long viennent de Broughton, au Pays de Galles; la section arrière du fuselage provient de Hambourg; d’autres composants sont fabriqués à Getafe, en Espagne. Pour les transporter, Airbus mobilise ses emblématiques avions-cargo Beluga, ainsi que des bateaux et des camions.
Une fois sur place, ces éléments suivent un processus méticuleux. D’abord, le nez de l'aéronef est assemblé au fuselage central et arrière – une tâche réalisée entièrement à la main, sans l’aide de robots, comme le précise Louis-Ponthus Rochot, cadre chez Airbus. Des milliers de rivets et de vis sont utilisés. A ce stade, l’appareil dépourvu d’ailes et d’équipements intérieurs est surnommé «le cigare» par les techniciens.
Vient ensuite l’installation des ailes, du câblage, du train d’atterrissage, du système de ventilation, ainsi que des sièges, habillés de tissu du fabricant suisse Lantal. Pour finir, on installe les compartiments à bagages, les écrans de divertissement et de nombreux autres équipements:
Et comme avec les briques en plastique, il manque des pièces. Depuis la pandémie de Covid, des tensions se font sentir sur les chaînes d’approvisionnement. «Avant, certaines pièces arrivaient en deux mois. Maintenant, c’est quatre», déplore Louis-Ponthus Rochot, alors que des techniciens s’affairent sur le futur A350 de Swiss.
Le problème est double: d’une part, de nombreux fournisseurs, après avoir ralenti leur production pendant la pandémie, peinent à répondre à la demande. De l’autre, des facteurs extérieurs, comme des conditions météorologiques défavorables ou des tensions géopolitiques, perturbent encore les livraisons. Les fabricants de moteurs, en particulier, font face à des difficultés persistantes.
Markus Löhn, responsable de l’acquisition des nouveaux avions pour le groupe Lufthansa, ne s'avance pas trop sur la date du premier vol du nouvel A350 de Swiss. La compagnie elle-même s’est montrée évasive dans ses communications.
Le nouvel appareil devrait accueillir ses premiers passagers «cet été». Mais quand exactement? Pas clair. Les autres A350 suivront «progressivement». A quel rythme? Pas clair non plus.
Ce qui est sûr, c'est que plus la livraison prend du temps, plus la commande sera avantageuse pour Swiss, car les retards entraînent des réductions tarifaires.
Coup dur pour Airbus: alors que son rival américain Boeing traverse l’une des pires crises de son histoire avec plusieurs récents accidents, le constructeur européen n’arrive pas à tirer pleinement parti de la situation, en raison de ses propres problèmes d’approvisionnement. Résultat: Airbus a dû revoir à la baisse ses prévisions de production. Aujourd’hui, la liste d’attente pour un A350 atteint une décennie.
Malgré ces incertitudes, Swiss promet une nette amélioration du confort à bord. Grâce à la structure en fibre de carbone de l’A350, la cabine bénéficie d’une pressurisation équivalente à une altitude de 1800 mètres, contre 2400 mètres pour un fuselage en aluminium. En d'autres termes: moins de fatigue pour les passagers sur les vols long-courriers. Le bruit en cabine sera également réduit et un nouvel aménagement intérieur est prévu.
Mais avant cela, il faudra patienter encore quelque temps. Le premier A350 de Swiss restera à Toulouse pour les dernières étapes de fabrication, y compris la peinture en rouge et blanc. Impossible de savoir combien de temps cela prendra. Le directeur général de Swiss, Jens Fehlinger, devra attendre encore un peu avant de recevoir les clés symboliques du nouvel appareil.
Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder