Une «nouvelle ère» commence, a affirmé la semaine passée la responsable par intérim de Swiss, Heike Birlenbach, lors d'un point de presse. Elle parlait de la cabine plus moderne qui sera installée dans les avions de la filiale de Lufthansa à partir de 2025. Le concept s'appelle Swiss Senses. On ne le trouvera pas que dans les nouveaux A350 que la compagnie recevra l'année prochaine, mais aussi dans la flotte long-courrier déjà en service.
Seulement voilà, les concepteurs ont mal calculé leur coup. Les nouveaux sièges prévus pour la première classe sont trop lourds. C'est ce que nous confirment trois sources internes et indépendantes les unes des autres. Conséquence: cela déplace le centre de gravité de l'appareil exagérément vers l'avant, et le déséquilibre. Les quatorze Airbus 330 long-courriers de Swiss sont concernés. Il faut donc compenser cette déstabilisation.
Et pour remédier à cela Swiss prévoit une mesure qui peut sembler bizarre à première vue. Elle veut installer des plaques de plomb, qui n'auraient aucune autre utilité que de réaxer le centre de gravité. En interne, on murmure que ce contrepoids pourrait peser environ une tonne et demi.
Selon des spécialistes, le plomb a l'avantage - d'un point de vue aéronautique - de sa forte densité. En d'autres termes, il nécessite relativement peu de place. «Mais d'un point de vue écologique, c'est bien sûr extrêmement dérangeant», souffle l'un des trois collaborateurs, qui souhaite garder l'anonymat. Il n'est toutefois pas surpris par cette mesure:
Dans ce cas, la coordination et la communication n'ont manifestement pas été excellentes.
En outre, selon un pilote de la compagnie, on pourrait se demander quelles seraient les conséquences du poids supplémentaire - avec les sièges de première classe plus lourds et les éventuelles plaques de plomb - sur le rayon maximal de l'A330. En effet, cela pourrait limiter l'autonomie de certains trajets, vers Miami ou depuis Mumbai par exemple. Le kérosène pourrait alors manquer pour assurer les plus de neuf heures de vol:
La porte-parole de Swiss, Meike Fuhlrott, confirme tant le problème que la mesure envisagée. Selon elle, une tendance se dessine dans l'industrie aéronautique, puisque la clientèle de première classe et de classe affaires cherche davantage d'intimité. «Par conséquent, les sièges sont plus lourds que par le passé». Parallèlement, ceux de la classe économique s'allègeraient de plus en plus. «Cette évolution contraire entraîne un déplacement du centre de gravité», conclut la communicante.
Etant donné que la première classe et la classe affaires se trouvent à l'avant, l'A330 devient «chargé du nez». Il fait partie des modèles qui, de par leur conception, ont déjà tendance à avoir une répartition du poids à cet endroit. L'A330 est donc particulièrement concerné par ce déséquilibre:
Alors, faudra-t-il vraiment une tonne et demi de plomb? Impossible encore de répondre avec précision, selon Meike Fuhlrott.
Comment en est-on arrivés là? Pour Lufthansa, qui lance également une nouvelle cabine, on estime qu'aucune installation fixe n'est nécessaire pour rééquilibrer les choses. C'est ce que nous précise le porte-parole Jörg Waber. Alors pourquoi Swiss s'en préoccupe-t-elle? Chaque développement place les équipes d'ingénieurs devant de nouveaux défis, explique Meike Fuhlrott. Au début, on n'avait qu'une estimation du poids, qui était déduite de la comparaison avec des produits similaires. Avec la construction des sièges et de la cabine, les calculs ont pu être affinés.
Le poids final ne sera toutefois déterminé qu'après l'installation de tous les éléments. Un siège de première classe actuel, y compris son système de divertissement à bord, pèse 205 kilos:
Selon la porte-parole, il n'y a pas de quoi s'inquiéter quant à l'autonomie de l'appareil sur les longs trajets:
La nouvelle First Class mise pour la première fois sur un concept de «suites» pouvant atteindre 3,5 mètres carrés. Sur le site internet, on promet aux passagers une «intimité absolue avec des portes coulissantes verrouillables, un dressing individuel et des couleurs sécurisantes dès les premiers instants». Les écrans mesurent jusqu'à 43 pouces (109 centimètres). A titre de comparaison, en classe économique, ils en font 13,3 pouces (34 centimètres). La largeur des fauteuils atteint plus du double de ceux de la catégorie la moins chère. De plus, la cabine dispose de sièges chauffants et refroidissants ainsi que d'un porte-bagages spacieux.
Pour s'offrir un tel confort, il faudra délier les cordons de la bourse. Selon une enquête sur les tarifs, un billet aller-retour en première classe entre Zurich et Miami (du 25 octobre au 6 novembre), coûte jusqu'à 16 000 francs. Swiss ne veut pas renoncer à ces revenus générés grâce à une clientèle aisée. Même si, d'un point de vue purement technique, elle pourrait alléger ses avions pour les rendre plus écologiques.
Qui dit centaines de kilos de plomb et sièges de luxe dit évidemment émissions plus importantes. Réduisant donc à néant les efforts liés aux autres projets écologiques internes. Parmi eux, le lancement récent du recyclage du PET ou la pose des films dits Aeroshark sur la carlingue pour en améliorer l'aérodynamisme et réduire la consommation de kérosène. L'incitation pour les passagers Economy de compenser leurs émissions de CO2 se présente, elle, tout à coup sous un autre jour.
Elle aurait aussi pu revoir ses destinations ou sa capacité de fret. «Ce n'était pas notre priorité». Elle reste la seule compagnie de renom à proposer une première classe sur tous ses long-courriers.
Selon la compagnie, la clientèle a clairement signalé qu'il était temps de moderniser l'aménagement de la cabine pour les grands trajets, en particulier sur les A330. Les plaques de plomb constituent une solution courante, qui peut rapidement être mise en œuvre. En parallèle, les ingénieurs de Swiss continuent de travailler sur des solutions et d'observer les tendances et les technologies pour optimiser la répartition du poids.
En outre, plus question désormais d'avoir des portes coulissantes à l'intérieur des espaces individuels de la Business Class, ce qui représente un gain d'environ dix kilos. La First est par ailleurs passée de huit à quatre places. Il s'agit de trois suites et d'une suite centrale, qui peut accueillir deux personnes.
Dans un spot publicitaire, Swiss utilise des images somptueuses d'arbres, de neige et d'eau ainsi que le slogan «inspired by nature» - inspiré par la nature. Pas sûr que cela s'applique également aux fameuses plaques de plomb.
(Adaptation française: Valentine Zenker)