Vincent Subilia réclame un «plan Marshall pour sauver la Genève internationale». «Les mesures de coupes budgétaires décidées par les Etats-Unis vont faire des dégâts considérables», alerte le directeur général de la Chambre de commerce, d'industrie et des services de Genève (CCIG), député PLR au Grand Conseil genevois. Les réductions massives dans l'Usaid, l'Agence des États-Unis pour le développement international, touchent de plein fouet la quarantaine d’organisations internationales (OI) et les 759 organisations non gouvernementales (ONG) basées à Genève. Beaucoup ne s’en relèveront pas, craint-on.
«L’Usaid, reprend Vincent Subilia, représente près de 45% de l’appel humanitaire mondial. Or, 83% de ses programmes viennent d’être supprimés. A Genève, 20% des financements reçus par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) proviennent des Etats-Unis. En tout, le fonctionnement des OI dépend à 25% des subventions américaines. C’est considérable.»
Un vent de panique a gagné la cité de Calvin suite aux annonces américaines. Vincent Subilia expose la donne:
«Il faut des gestes forts de la part des autorités», plaide le directeur général de la CCIG. Les 2 millions de francs débloqués par le Conseil municipal de la Ville Genève et les 10 millions de francs accordés par le Conseil d’Etat, un subside soumis à procédure référendaire par l’UDC notamment, n’y suffiront bien sûr pas.
C'est pourquoi Vincent Subilia propose que la Confédération «injecte un milliard de francs». «Ce montant n’est pas anodin, j’en conviens, mais il s’agit pour la Suisse de montrer au monde toute l’importance qu’elle accorde à la Genève internationale et à travers elle à ses engagements diplomatiques.» De la même manière que l'Europe investit à présent massivement dans sa défense pour remplacer, à terme, l'aide militaire américaine, la Suisse doit suppléer, avec d'autres, au désengagement des Etats-Unis de la scène diplomatique, en somme.
Le directeur général de la CCIG le dit avec force: «Genève est le berceau et le bastion du multilatéralisme, aujourd’hui menacé par le virage à 180° des Etats-Unis, contraire aux valeurs qu’ils défendaient jusqu’ici et qui avaient fait de Genève, siège historique de la Croix-Rouge, le pôle humanitaire mondial.»
Alors, pour le directeur général de la CCIG:
Ces belles paroles se heurtent à la vision américaine. Donald Trump dénonce l’Usaid, le grand pourvoyeur des fonds internationaux, comme étant une «arnaque», où la «corruption» régnerait.
Mais c’est sur le plan idéologique que l’attaque de la nouvelle administration américaine contre le multilatéralisme onusien est la plus forte. Preuve en est le questionnaire aux accents maccarthystes, révélé par Le Temps, dans lequel Washington demande aux agences onusiennes de Genève de confirmer qu’elles ne travaillent pas «avec des entités associées au communisme, au socialisme, au totalitarisme ou à n’importe quelle autre entité qui épouse des croyances anti-américaines».
Derrière le côté inquisitorial du procédé, se lit une défiance envers la Genève internationale, qui ne date pas de l’administration Trump. Actuellement présidé par le Suisse Jürg Lauber, le Conseil des droits de l’homme, dont les Etats-Unis se sont retirés début février, abrite des régimes très peu respectueux des droits humains. Cet organisme et ses contradictions démontreraient l'hypocrisie du multilatéralisme encensé pas les défenseurs de la Genève internationale.
Le «terrorisme» dont il est question dans le questionnaire adressé par Washington aux agences onusiennes basées à Genève fait probablement référence à l’UNRWA, qui vient en aide aux réfugiés palestiniens et qu’Israël et d'autres Etats accusent de collusion avec les islamistes du Hamas. Quant au CICR, le diamant de la Genève internationale, l'Etat hébreu le traite certes comme un intermédiaire incontournable, mais la défiance à son égard paraît à tout instant de mise.
Vincent Subilia sait tout cela. «Oui, tout n’est pas parfait dans le fonctionnement de la Genève internationale, il y a probablement des éléments à améliorer, un fonctionnement plus pragmatique à adopter dans certains cas, mais il est très important de ne pas jeter tous les bébés avec l’eau du bain.»
Problème pour la Genève internationale, le chef de la diplomatie suisse, Ignazio Cassis, semble partager une partie des critiques adressées à la «place forte», notamment à propos de l’UNRWA, auquel le Parlement à Berne veut couper les vivres.
Sans aller jusqu’à donner raison sur tout à Donald Trump, l’UDC genevoise demande une sorte d'audit des ONG basées à Genève, afin de déterminer celles qui seront le plus utiles et le plus profitables à la cité de Calvin dans le futur. C’est l’objet d’une motion déposée par le député Yves Nidegger au Grand Conseil. Pour lui, l’aura déclinante de la Genève internationale est due principalement à l’abandon progressif par la Suisse de sa neutralité.
Joint par watson, son collègue député Michael Andersen estime que le projet de construction d’un méga accélérateur de particules au CERN est l’exemple même d’un développement «porteur d’avenir».
Face à la gauche, au Centre et au PLR qui soutenaient le principe d’une aide d’urgence de 10 millions de francs aux ONG, l’UDC, le MCG et Libertés et Justice sociale ont fait bloc, déclenchant la procédure référendaire. L'UDC Michael Andersen justifie ci-après ce refus, non sans faire remarquer que «trois ou quatre députés PLR n'étaient pas d'accord avec la ligne de leur parti sur ce dossier»:
Le refus de l’UDC de débloquer urgemment 10 millions s’explique aussi, voire surtout, par des raisons idéologiques, pour ainsi dire identitaires. Là où le PLR fait cause commune avec la gauche pour sauver la Genève internationale, le parti populiste fait entendre sa différence, lui qui n’appartient pas au cercle des «grandes familles».
Dans cette affaire de Genève internationale, tous, en Suisse, singulièrement dans le canton le plus concerné, n'affichent pas les mêmes priorités. Les bouleversements géopolitiques sont l'occasion, pour certains, à l'image de l'UDC, de remettre en cause les acquis. Une chose paraît certaine: en termes d'image, le «village global» situé au bout du Léman pâtirait du détricotage des organisations internationales qui font son statut et une bonne part de sa renommée.