Lorsque vous débarquez à la gare de Gampel, un étonnant contraste vous saisit: sous un soleil radieux, des grappes de randonneurs sortent du train, la casquette vissée sur le caillou, les lunettes de soleil sur le nez et le visage badigeonné de pommade pour éviter la peau rougie.
Difficile à croire qu'un événement historique vient de se dérouler à Blatten, qu'un glacier s'est fracturé, rasant un village et laissant un amas de gravats qu'il sera impossible à déblayer.
En plaine, tout paraît normal. Sauf que les habitants des deux communes distinctes de Steg et Gampel sont prévenus: l'état-major de conduite régional a appelé la population de Gampel-Steg à se préparer à une évacuation rapide. Il craint une lave torrentielle en provenance du Lötschental au cas où le lac artificiel qui s'est formé après la rupture du glacier du Birch devait déborder.
Or, à Steg, l'inquiétude n'était que (très) peu palpable. Les personnes croisées, alpaguées dans la rue, ne sont pas vraiment inquiètes des conséquences d'une lave torrentielle ou d'un raz de marée incontrôlable. On nous oppose même un sourire qui en dit long, voire un désintérêt.
On pose la question à la pharmacie du coin, s'il y a une peur de voir des torrents d'eau déferler. Pas plus que ça. A la Coop de Gampel (Gampel et Steg ont pour frontière la rivière Lonza), on nous explique qu'un message d'urgence a été envoyé par les autorités. Un premier, diffusé la veille, le 29 mai à 20h57, explique que «l'état-major et les sapeurs-pompiers prennent des dispositions en matière de sécurité».
Un second, transféré le matin même à 9h, pour informer que la situation est calme et qu'en cas de changement, la population sera immédiatement informée.
Hormis quelques réponses polies, on n'aura pas plus d'informations à ce propos. Les habitants interrogés nous envoyant très vite balader, comme dans un café, où les «nein» sont légion.
Rien ne montre que les deux villages font face à une urgence. Les seuls détails qui indiquent que des mesures ont été prises par les autorités des deux communes sont la totalité des ponts fermés – sauf un.
Le plus imposant, pour la circulation, est condamné et transformé en digue. Mais aux alentours des 10h, des employés de la voirie ont démarré des manœuvres pour rouvrir le pont principal entre Steg et Gampel. Une dame du village croisée lors de la réouverture, nous souffle, dans un français timide, qu'elle n'est pas du tout inquiète: «la Nature décide et fait bien les choses.»
Le plus tendu était peut-être la foire d'empoigne entre les employés de la voirie et les automobilistes qui pressaient pour utiliser le pont. Les «kopfertami» ont fusé d'un des employés communaux, un solide gaillard grisonnant, la barbe bien fournie.
Une fois le pont ouvert, les fous du volant soulagés et les cyclistes tout sourire de s'éviter un détour, c'est avec un hôtelier que nous évoquons l'urgence, voire l'angoisse d'une nuit incertaine. «Regardez, les gens sont sur les terrasses, ils boivent leur café», nous répond-t-il. «Un élu communal est venu comme d'habitude hier soir. Il n'était pas plus que ça inquiet», complète-t-il.
Le plus cocasse est peut-être la communication des deux communes. A Gampel, les messages des autorités ont été distribués, alors qu'à Steg aucune information n'avait été envoyée. «Je n'ai rien reçu», informe notre interlocuteur.
Interrogée, la présidente de la commune de Steg-Hohtenn, Astrid Hutter, explique que les communes de Steg-Hohtenn et de Gampel-Bratsch ont un état-major de conduite régional commun.
Mais un hic est apparu, seule l'une des deux communes a eu les infos, comme nous explique l'élue:
Astrid Hutter reste par ailleurs mesurée concernant la situation actuelle autour des deux villages:
A cette assertion plus ou moins optimiste, certains anciens du village n'ont pas grand-chose à ajouter. Ils n'ont jamais cru à des inondations. Le plus important pour eux, c'est de savoir si le trajet pour venir boire leur bière sera dégagé en cas de lave torrentielle ou d'inondation.
Si à Gampel et Steg la situation ne fait pas peur, plus haut, à Ferden, l'ambiance est un brin plus maussade. Le Haut-Valais apparaît comme terres de contrastes, entre le temps suspendu pour les habitants de Blatten et les alentours, et des habitants de la plaine qui gardent le sourire malgré une crue qui menace.
A Ferden d'ailleurs, discuter des événements récents est difficile. Les montagnards ne sont pas les plus bavards et dans cette splendide vallée du Lötschental, les rayons du soleil gomment une mélancolie qui gonfle comme le lac formé par la Lonza obstruée, plus haut, sous des tonnes de gravats.
Les gens ne veulent pas parler. La succession des journalistes pousse au silence, car la sarabande médiatique en devient un poil indigeste pour certains. L'esprit montagnard, taiseux, est une réponse à la catastrophe. Les habitants se recroquevillent, les âmes se retroussent; les regards sont froids et la parole absente.
Si le soleil brille et que les villages en plaine restent confiants, plus haut, les âmes sont chagrines. Quoi de plus normal après la perte d'un village, d'un écrin de beauté niché au fin fond de cette vallée féérique? On quitte Gampel-Steg avec la rivière de la Lonza qui perd en vigueur en attendant un autre «jour d'après».