C'est l'histoire d'un Syrien vivant à Zurich, qui prenait une modeste commission de 0,7% du montant de la transaction pour son travail. Celui-ci consistait à déplacer des fonds d'origine criminelle.
Le tribunal de district l'a condamné à deux ans de prison pour blanchiment d'argent. Lors de la perquisition de son domicile, la police avait trouvé un million de francs en espèces dans sa chambre à coucher.
Le Syrien était un «hawaladar». C'est ainsi que se nomment les courtiers qui travaillent avec le système de transfert d'argent oriental Hawala. Une banque clandestine, en quelque sorte, qui n'est pas intégrée dans le système régulier. Elle repose uniquement sur la confiance et les relations personnelles, et ne laisse donc guère de traces.
Dans une note de synthèse, l'Office fédéral de la police, Fedpol décrit le trafic:
Pour s'assurer que l'argent parvienne à bon port, les initiés échangent généralement un code ou une image. Par exemple, la photo d'un billet dans une certaine devise que le destinataire devra présenter. Selon l'acte d'accusation de l'autorité zurichoise, cette méthode a également prévalu dans l'affaire impliquant le Syrien.
Il aurait ainsi déplacé au moins six millions entre avril 2020 et mai 2024. Il s'agissait du butin qu'une bande d'escrocs par téléphone avait réussi à prendre à des personnes âgées en Suisse. Les cerveaux présumés des opérations, des Turcs, n'ont pas été démasqués. Mais, comme Zurich a encaissé le million, celui-ci doit désormais manquer ailleurs.
Tous les fonds qui transitent par Hawala ne sont pas pour autant d'origine criminelle. Des migrants recourent souvent à ce système, utilisé dans des Etats corrompus ou sans système bancaire fonctionnel. Mais plus les mesures visant à empêcher le blanchiment dans le système financier régulier progressent, plus les barons de la drogue, les trafiquants d'êtres humains et autres criminels se tournent vers les services clandestins.
En principe, toute personne ayant des clients avec de l'argent liquide, un téléphone portable et des courtiers partenaires dans une région déterminée peut commencer à travailler pour Hawala. Les transactions se font traditionnellement dans les agences de voyages, les épiceries, les bijouteries et les restaurants. De plus en plus, on en observe depuis des barbershops, des salons de beauté, des shisha bars, des solariums et des taxis. Les services de livraison à domicile se prêtent également bien à l'acheminement discret de liquide chez le buraliste, ou à son retrait.
Selon Alexander Ott, chef de la police des étrangers de Berne:
Selon lui, cet état de fait rend actuellement les interventions des autorités contre ces milieux criminels extrêmement difficiles. Comme l'explique Ott:
«Une fois, on a mis la main sur une enveloppe dans le tiroir d'un barbershop. L'homme du magasin nous a affirmé n'avoir aucune idée de la personne à qui cela appartenait. Il jurait n'avoir jamais ouvert ce tiroir auparavant». Ainsi, impossible de confisquer quoi que ce soit, d'autant plus qu'il s'agit souvent de petites sommes.
Pour Alexander Ott, le système Hawala, basé sur des commissions, explique en grande partie la raison d'être des établissements «locaux sans clients» qui ne réalisent manifestement pas de chiffre d'affaires légal, mais qui assument tout de même mystérieusement le loyer et les autres charges.
Ces banquiers de l'ombre sont par nature insaisissables, et la justice suisse n'a jusqu'à présent guère d'expérience les concernant. On ne trouve que peu de décisions judiciaires à ce sujet.
Le cas de l'agence de voyages des Balkans à Lucerne constitue une exception. Dans une décision du Tribunal pénal fédéral, on cite un passeur pris dans un réseau de drogue. Il a déclaré à la police fédérale combien la procédure était simple dans l'agence qui servait de guichet clandestin:
L'année dernière, une affaire genevoise a mis en lumière le squelette du système. En haut de la pyramide: un courtier avec, sous ses ordres, 27 «ramasseurs» ou «collecteurs». Ceux-ci effectuaient leur tournée principalement auprès de ressortissants d'Erythrée, d'Ethiopie et du Soudan. Le courtier demandait des commissions d'entre 2,5 et 10%, la moitié allant au «ramasseur».
Le tout a été démantelé en 2017, lorsque la police a attrapé un passeur à l'aéroport de Genève. Il se rendait au Liban avec 100 lingots d'or de 250 grammes dans ses bagages et de l'argent liquide d'une valeur totale de 1,7 million. L'enquête a montré que ce réseau faisait à chaque fois transiter des valeurs patrimoniales vers les destinataires via Beyrouth et Dubaï.
Dans une autre affaire, le parquet de Berlin a demandé en 2020 une perquisition dans une société de transport de fonds en Suisse. Celle-ci aurait acheminé en l'espace d'un an des sommes Hawala pour plusieurs millions d'euros vers Dubaï. De là, l'argent continuait vers l'Afrique de l'Est. Les fonds provenaient également de ressortissants d'Erythrée, d'Ethiopie et du Soudan.
En Suisse, la solution de transferts d'argent orientale, ou son équivalente chinoise Fei Chien, commencent seulement à se faire connaître auprès des autorités. Le savoir et les expériences sont encore rares en la matière. L'Office fédéral de la police a lancé en octobre dernier une mise en garde:
L'Office avait par ailleurs organisé une première table ronde sur le sujet.
(Traduit de l'allemand par Valentine Zenker)