Est-on en tort lorsqu’on diffuse des contenus pornographiques d’une tierce personne? Viole-t-on son droit à l’image? Les élèves du gymnase Auguste-Picard qui ont partagé des captures d’écran impliquant un professeur de cet établissement vaudois auront peut-être à affronter ces questions. Selon 24 Heures qui a révélé l’affaire, il s’agit d’images prélevées sur un site pornographique faisant également office de réseau social. On y voit le professeur en train de se masturber. Ses agissements n’auraient rien d’illégal. Mais ils le compromettent moralement, au vu, surtout, de sa profession d'enseignant.
Dès lors, donc, que cet aspect de sa vie privée était mis au jour par un ou plusieurs élèves de ce gymnase lausannois, ce ou ces derniers étaient-ils en droit de partager auprès de tiers le fruit de leur découverte? Quant au professeur, a-t-il enfreint une loi, un règlement?
Avocat au Mont-sur-Lausanne, Me Luc Vaney, joint par watson, répond point par point.
«S’agissant du comportement de l’enseignant, on pourrait lui reprocher une violation de l’art. 50 al. 2 de la loi sur le personnel de l’Etat de Vaud (LPers-VD), qui prévoit que le collaborateur doit agir, en toutes circonstances, de manière professionnelle et conformément aux intérêts de l'Etat et du service public, dans le respect des normes en vigueur, des missions et des directives de son supérieur.»
«C’est notamment de ces articles de loi et de la jurisprudence rendue en application du devoir de fidélité (art. 321a du Codes des obligations) et de dignité propre au métier d’enseignant que découle le devoir "d’exemplarité" dont parle la Direction générale de l’enseignement postobligatoire (DGEP) dans l’article de 24 Heures.»
«Le comportement des gymnasiens est critiquable sur le plan du droit civil. Ils ont partagé des photographies du professeur sans son accord, ce qui pourrait constituer une atteinte au droit à l'image de l’enseignant. Le droit à l’image, une composante du droit à la vie privée, protège chaque individu contre la diffusion non autorisée de son image. Il s’agit d’une sous-catégorie des droits de la personnalité protégés à l’art. 28 du Code civil qui prévoit que celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité peut agir en justice pour sa protection contre toute personne qui y participe.»
«Avant toute diffusion, le consentement de la personne représentée est obligatoire et nécessaire pour chaque utilisation. Il est toutefois possible de se passer de ce consentement s'il existe un intérêt public ou privé prépondérant ou une autorisation légale à l'utilisation de l'image, mais tel n’est manifestement pas le cas en l’espèce. Il pourrait aussi s’agir d’une infraction à la Loi sur la protection des données (LPD), qui complète et concrétise la protection de la personnalité déjà assurée par le Code civil.»
«Sur le plan pénal, le fait de rendre accessibles des images pornographiques d'autrui à une personne de moins de 16 ans est puni par l’art. 197 chiffre 1 du Code pénal, ce dont pourrait s’être rendus coupables les gymnasiens qui ont partagé les images sans s’assurer de l’âge des destinataires.
On pourrait imaginer que tel est le cas, si les images sont diffusées sur des groupes (WhatsApp par exemple) sans recueillir préalablement l’accord des autres membres dudit groupe.»
«Sur une note moins juridique, la curiosité invasive des gymnasiens qui fouillent "comme on le fait souvent" (propos rapportés dans l’article de 24 Heures) la vie privée de leurs enseignants et s’offusquent, dans un monde saturé de réseaux sociaux et de faits divers, de découvrir, à leur grand étonnement, que les gens ont encore des secrets – par exemple, le prof de chimie pratique l’alchimie le week-end, le latiniste est un onaniste – questionne. Quel est le but de cette quête de la toison d’or?»
«On peut déplorer que des élèves, très prompts à se gargariser d’esprit critique, partagent leur découverte voyeuriste, comme un trophée qu’on exhibe.»