Voici pourquoi l’Espagne protège mieux les femmes que la Suisse
Vingt-deux. C’est le nombre de femmes tuées depuis le début de l’année en Suisse, en comptant le triple homicide de Corcelles (NE).
On parle de féminicide lorsqu’un homme tue une femme parce qu’elle est une femme. Ces crimes représentent la pointe de l’iceberg des violences de genre. Selon le Bureau de l’égalité, la plupart des drames surviennent à cause du partenaire, de l’ex-partenaire ou de la famille proche.
En ratifiant la Convention d’Istanbul en 2018, la Suisse s’était engagée à lutter contre les violences faites aux femmes. Pourtant, les cas documentés ne diminuent pas, ils augmentent.
Pas de statistique officielle sur les féminicides
Alors que le mot «féminicide» est désormais utilisé par des expertes, des militantes et une partie croissante de la société, il ne fait pas partie du langage officiel de la Confédération.
Il n’existe donc pas de statistiques officielles concernant les féminicides. watson a dû se baser sur la plateforme de recherche Stop Féminicide, qui collecte les articles de presse et les rapports de police sur les meurtres de femmes. La part non recensée reste sans doute élevée, précisent les responsables.
D’après ces chiffres, un homme tue une femme tous les 11 jours en Suisse. Cela signifie que cette année jusqu'en août, plus de femmes ont déjà été tuées que durant toute l’année 2024. Si la tendance se poursuit, le pays pourrait atteindre en décembre un record historique.
Alors que les violences de genre et le nombre de femmes tuées augmentent en Suisse, l’Espagne montre qu’une autre voie est possible. Là-bas, les meurtres de femmes par des hommes ont diminué au cours des dernières années.
Tout est parti d’un meurtre brutal
En Espagne, l’affaire Ana Orantes a provoqué une prise de conscience radicale. En 1997, cette femme de 60 ans récemment divorcée a raconté à la télévision comment son mari l’avait battue pendant des décennies. Quelques jours plus tard, il l’avait assassinée en la brûlant vive.
L’émotion et la colère ont été immenses. En 2004, le Parti socialiste a fait adopter une loi entièrement consacrée aux violences faites aux femmes. L’Espagne est ainsi devenue pionnière en Europe dans le domaine. En 2017, un pacte national contre les violences de genre a suivi, et a été soutenu par tous les partis. Pour financer des mesures concrètes, l’Etat a débloqué un milliard d’euros sur cinq ans.
L’Espagne dispose aujourd’hui de tribunaux spécialisés, de personnel formé et de services d’aide aux victimes facilement accessibles. La prévention est également intégrée dans les programmes scolaires.
Depuis 2022, le droit pénal espagnol applique le principe de «seul un oui est un oui». Contrairement à la Suisse, où la règle «non, c’est non» s’applique depuis un an. En Espagne, le consentement aux actes sexuels doit être prouvé en cas de doute.
Des femmes menacées sont averties
La lutte contre les féminicides passe aussi par la protection des femmes en danger. Une base de données numérique centralise les profils des auteurs de violences, et les autorités réalisent des analyses de risque.
La surveillance électronique avec alerte (Electronic Monitoring) est un système jugé particulièrement efficace, et sert à faire respecter les interdictions de contact. Les auteurs potentiels et les victimes sont suivis en continu, et si l’homme s’approche de la femme menacée, celle-ci reçoit immédiatement une alerte. L’auteur reçoit un appel et est sommé de s’éloigner. S’il refuse d’obéir, la police se tient prête.
Ce modèle pourrait inspirer la Suisse. C’est aussi l’avis du conseiller fédéral Beat Jans, qui s’est rendu en Espagne en juillet dernier pour discuter de prévention avec les autorités locales. Des projets pilotes sont déjà en cours dans plusieurs cantons.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes: le risque pour une femme d’être tuée par un homme est cinq fois plus élevé en Suisse qu’en Espagne.
Traduit de l'allemand par Joel Espi