Suisse
Yverdon-les-Bains

Ruben Ramchurn, le chasseur de dealers qui dérange à Yverdon

A Yverdon, depuis plusieurs mois, Ruben Ramchurn, héros pour certains, emmerdeur pour d'autres, traque les dealers de sa ville et se met en danger.
Il est devenu incontournable.Image: watson

Ruben Ramchurn, le chasseur de dealers qui dérange à Yverdon

Depuis plusieurs mois, Ruben Ramchurn, héros pour les uns, gêneur pour les autres, traque les dealers de sa ville et se met en danger. Portrait.
28.09.2024, 07:0427.10.2024, 14:06
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Au pays du pas de vagues, Ruben Ramchurn est un tsunami de tous les jours. Traduction: un emmerdeur de première. Du moins pour la municipalité d’Yverdon. Le syndic et ses services sont sur les dents depuis que cet élu local venu de l’UDC s’est mis en tête de stopper le trafic de crack aux mains de ce qu’il appelle la «mafia nigériane», un groupe de dealers africains installé dans le chef-lieu du Nord vaudois.

Au début de cette année, en pétard avec la municipalité et la justice, Ruben Ramchurn, solide gaillard de 42 ans, était parti se mettre au bleu à l’Ile Maurice, la patrie d’origine de son père. A demi immergé dans les eaux transparentes de l'océan Indien, le corps sculpté par la fonte, il postait des vidéos informant sur ses progrès en apnée et décochait au passage des clins d’œil mouillés de sous-entendus à ses lointains détracteurs. Au printemps, notre inspecteur Harry était de retour sur les rives du lac de Neuchâtel.

A Yverdon, depuis plusieurs mois, Ruben Ramchurn, héros pour certains, emmerdeur pour d'autres, traque les dealers de sa ville et se met en danger.
Le pub Legend, Yverdon.Image: watson

Tempête de flotte ce jeudi 26 septembre. On retrouve Ruben Ramchurn en son QG du Legend, un pub yverdonnois donnant sur la Place d’Armes, dans le quartier de la gare livré aux trafiquants.

«Il vaut mieux partir d’ici, les dealers m’ont repéré, je ne suis pas en sécurité dans le coin»
Ruben Ramchurn

Direction un autre bar, Le Johny, rejoint à bord de son bolide, une Chevrolet Camaro noire, floquée «Highway Patrol» sur la portière avant côté conducteur. On ne s’était pas beaucoup trompé au téléphone en l’imaginant au volant d’une Ford Gran Torino, la voiture de «Starsky et Hutch». Ça l'avait amusé.

Menacé en plein tournage

Là, ça ne rigole plus du tout. Depuis plusieurs mois, l'enfant d’Yverdon Ruben Ramchurn, sa mère est suisse, alerte sur le deal de rue à grand renfort de vidéos publiées sur ses réseaux. Et comme il se filme dans chacune d’elles, ceux dont il dénonce les agissements savent à quoi il ressemble. Ce métis au grand yeux noirs, les cheveux coiffés en arrière, mâchoire carrée, est en permanence sur ses gardes. Cette semaine, lors d’un tournage pour l’émission «Mise au point» qui sera diffusée dimanche soir, «un dealer est venu me menacer, il a voulu m'extorquer mes clés de voiture, avant d'exiger les caméras de la RTS», raconte-t-il.

La situation du deal est devenue à ce point incontrôlable à Yverdon que la municipalité a appelé le canton à l’aide, a-t-on appris vendredi. Elle n’est pas seule à crier au secours. Lausanne et Vevey, à leur tour dépassées par le trafic de stupéfiants et constatant l'impuissance de la réponse pénale, se sont jointes à la supplique.

Un avant et un après Ruben Ramchurn

A Yverdon, il y a un avant et un après Ruben Ramchurn. C’est pour ainsi dire en direct qu’il a documenté la descente aux enfers de la Place d’armes. Il a tout dit des bagarres entres toxicomanes, du sentiment d’impunité des dealers, des clientes qui se prostituent pour une dose, de cette probable tentative de viol en pleine nuit au mois d’août dans un recoin de la vieille-ville, de cette zone de parfait non-droit qu’est devenue la Kipole. Ce local aux murs lie de vin, situé sur la Place d’armes et géré par les services sociaux, était destiné aux marginaux des environs, profils de «punks à chiens» connus de la mairie. Les trafiquants en ont fait un lupanar de la drogue.

A Yverdon, depuis plusieurs mois, Ruben Ramchurn, héros pour certains, emmerdeur pour d'autres, traque les dealers de sa ville et se met en danger.
L'ex-local associatif Kipole avec sa porte murée.Image: watson

Résultat: il y a une dizaine de jours, la municipalité en a condamné l’accès, murant l’entrée principale. L’activisme déployé par le «shérif» Ramchurn est peut-être pour quelque chose dans cette mesure radicale. Interrogé à ce propos par watson, le syndic d’Yverdon, le socialiste Pierre Dessemontet, donne son point de vue:

«Je comprends qu’on puisse se dire cela, mais la municipalité a pris depuis longtemps la mesure du problème posé par le deal de rue. Il était bien clair qu’elle n’allait pas laisser perdurer une situation telle que celle constatée à la Kipole.»
Pierre Desmontet, syndic d'Yverdon

«Une partie du problème»

Cela ne surprendra pas, Ruben Ramchurn dérange. A Yverdon, il est devenu «une partie du problème» pour certains. Qui se demandent si ses façons de justicier n’ont pas «aggravé» les choses, si ses dénonciation sans filtre de l’action des dealers n’ont pas «amplifié» le trafic. On lui reconnaît de l'«intelligence», mais il serait un «piètre stratège». Il y a dans ce procès qui ne dit pas son nom un peu de la mort souhaitée au poète disant la vérité.

Alors, le trublion réplique:

«Le courage n’a jamais été vaudois. Le seul gars courageux qu’ils ont eu, ils l’ont décapité, c’était le major Davel»
Ruben Ramchurn

«Le courage, c’est affronter ses peurs, c’est-à-dire ses limites», philosophe-t-il. Lui les teste dans le lac de Neuchâtel en pratiquant l’apnée, «un sport avant tout mental, qui demande beaucoup de contrôle de soi, où il est interdit de paniquer».

Dès qu'il le peut, c'est-à-dire souvent, Ruben Ramchurn, qui a ses partisans, ne résiste pas au plaisir de se payer la tête des autorités, qui apprécient peu son petit jeu. La Kipole fermée, il savoure sa «victoire» sur TikTok👇.

Hyperactif

Enfant, Ruben Ramchurn était un hyperactif. A l’évidence, il a gardé en lui quelque chose de cet état premier. «On m’avait prescrit de la ritaline», un médicament censé canaliser son énergie débordante, se souvient-il. «Je n’aimais pas l’école, par chance, j’avais des facilités, je lisais beaucoup, j’étais plutôt bon.» Bon et bagarreur. Il se défoulera dans des sports de combat, boxe et ju-jitsu. Ou encore face à «ces gars d’Estavayer venus en découdre avec des gars de notre ville, on était allé à leur rencontre», se rappelle-t-il. Côté musique, il était fan de métal et du groupe local Unfold, de retour sur scène le 4 octobre à Yverdon.

On se perd un peu dans son CV professionnel. Issu d'une fratrie recomposée de six enfants, il a fait des études d’économies, travaillé dans l’import-export, mais aussi dans la sécurité, devenant garde du corps. Ceux qui le connaissent ne sont pas certains qu’il ait mené à terme tout ce qu’il a commencé. Ce qui est sûr, c’est qu’il a dirigé un EMS à Neuchâtel fondé par ses parents, tous deux infirmiers de formation. Il en tenait la barre pendant le Covid. «Dans notre EMS, ce ne fut pas l’hécatombe», assure-t-il.

A Yverdon, depuis plusieurs mois, Ruben Ramchurn, héros pour certains, emmerdeur pour d'autres, traque les dealers de sa ville et se met en danger.
Ruben Ramchurn et sa Chevrolet Camaro.Image: watson

Le Covid et des problèmes

La période Covid est son grand objet d’indignation. Il fait partie de ceux qui ne pardonnent pas à l’Etat d’avoir pris des mesures sanitaires «attentatoires aux libertés fondamentales». «Ils ont menti au début sur les masques, puis dépassé les bornes en imposant le pass sanitaire», assène-t-il, énervé à l’évocation de ces souvenirs.

Il l’affirme:

«Ce qu’a fait le Conseil fédéral pendant le Covid est le plus grand crime d’Etat depuis le placement forcé d’enfants»
Ruben Ramchurn

Le 23 décembre dernier, la justice vaudoise le condamnait par voie d'ordonnance à des jours amendes pour un trafic de faux certificats Covid. L’intéressé, qui nie toute implication, a fait recours.

Petit-fils, côté maternel, du résistant et médecin français Dimitri Mouthon, nommé Juste parmi les nations par le Mémorial de Yad Vashem pour avoir sauvé des juifs durant la Seconde Guerre mondiale, et d'Anne-Marie Mouthon, médecin également, ancienne députée radicale au Grand-Conseil neuchâtelois, décédée en juin dernier, Ruben Ramchurn est allergique à l’autorité. Il se dit libertarien. «Mon premier acte de militantisme fut une adhésion à Protell», l’association favorable à un assouplissement de la législation sur le port d’arme. Il rejoint ensuite l’UDC, se fait élire au conseil communal (législatif) en 2016, où il siège encore aujourd’hui, sans l’étiquette UDC, la section yverdonnoise du parti l’ayant rayé de ses membres à la suite de son départ pour l’Ile Maurice. «Un prétexte», dit-il.

Retour à Maurice?

Ruben Ramchurn a un profil d’ingérable. Il n’en fait qu’à sa tête. Il lui faut en permanence un os à ronger, une cause à défendre, une tête de Turc, font remarquer ses adversaires politiques, dont la bienveillance qu'il peuvent témoigner à cet individu inclassable, sensible sous la carapace, parfois drôle dans ses excès, a des limites.

L’actuelle conseillère nationale socialiste Brenda Tuosto, ancienne municipale (exécutif) d’Yverdon, a obtenu cette année de la justice qu’il supprime des réseaux sociaux des vidéos dans lesquelles elle était mentionnée en compagnie de termes peu sympathiques, comme «escroquerie», «magouille», «malversation», «tromperie» ou «arnaque». Rapport à un projet d'agglomération dont Ruben Ramchurn était le rapporteur au conseil communal et dans lequel il s'est senti grugé. «Je n’ai plus le droit d’évoquer le nom de Brenda Tuosto en public», dit-il. Pas de façon discourtoise, en tout cas.

Et maintenant? Ruben Ramchurn en ce moment ne travaille pas. «Je vis sur mes économies», dit celui qui est séparé de sa compagne et, pour l'heure, de son fils âgé de 15 ans. «Je compte obtenir un diplôme d'instructeur en apnée. J'ai des projets pour l'Ile Maurice.» «Ça nous ferait des vacances», soupire un élu yverdonnois.

Une chose est sûre: personne, à Yverdon, n'ôtera à Ruben Ramchurn le cran d'avoir défié, seul, le deal de rue.

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Video: extern / rest
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