Israël a mis ce vendredi 2 mai sa menace à exécution contre la Syrie en bombardant les abords du palais présidentiel à Damas après que le chef de la minorité druze, protégée par le pouvoir israélien, a accusé le pouvoir du nouveau président syrien, Ahmed al-Charaa, de «génocide». Maître de conférences en géographie à l'Université Lyon 2, Fabrice Balanche, auteur de Les Leçons de la crise syrienne (2024, Odile Jacob) répond aux questions de watson.
Pourquoi Israël a-t-il frappé la Syrie?
Fabrice Balanche: Israël avait prévenu fin février qu’il frapperait le nouveau régime syrien islamiste. C'était au moment où la localité druze de Jaramana, en banlieue de Damas, était sous la menace d’une attaque des forces islamistes.
Israël a répondu à l’appel du chef religieux druze en Syrie, cheikh Hikmat al-Hajrin, qui accuse le forces du président Ahmed al-Charaa de mener une campagne génocidaire visant des civils de sa communauté. Une vingtaine de Druzes aurait été tuée ces derniers jours à Jaramana.
Qui sont ces Druzes syriens qu’Israël soutient?
En Syrie, les Druzes sont entre 500 000 et 600 000, soit 3% de la population, la majorité des Syriens étant sunnite. Les Druzes forment une minorité religieuse issue du chiisme ismaélien. Ils résident au sud de la Syrie, dans le djebel druze, et dans trois localités situées dans la banlieue de Damas. Depuis mardi, ils ont été l’objet d’attaques de la part de forces du régime qui ont fait une centaine de morts.
Quelles sont les cibles frappées par Israël?
Des forces d’HTS, le groupe islamiste armé avec lequel Ahmed al-Charaa a renversé Bachar al-Assad dans la nuit du 7 au 8 décembre derniers.
Pourquoi Israël tient-il à la protection des Druzes?
Une forte communauté druze vit en Israël. Il y a les Druzes du Golan, le plateau syrien occupé en 1967 par Israël et annexé par lui en 1981. Ils sont à peu près 20 000, regroupés dans le Nord du Golan dans la région de Majdal Shams, la localité qui avait été mortellement touchée par une roquette du Hezbollah en juillet dernier. Ces Druzes du Golan ont refusé pendant longtemps la nationalité israélienne, mais les trois quarts d’entre eux ont depuis changé d’avis, surtout les jeunes, montrant par-là qu’ils n’ont pas envie de retourner vivre sous le contrôle du régime de Damas.
Qu'en est-il des Druzes vivant en Israël même?
Quelque 150 000 Druzes vivent dans les frontières d’Israël, celles de 1948 reconnues par la communauté internationale.
Ces Druzes d’Israël et du Golan sont sincèrement préoccupés par le devenir de la communauté druze en Syrie. Ils demandent à l’Etat israélien que les Druzes de Syrie soient protégés, comme certains en France demandent la protection des chrétiens d’Orient.
Quelle est la stratégie israélienne?
Ce n’est pas parce que c’est un pragmatique que ce n’est pas un islamiste radical. Ils comprennent son projet consistant à instaurer une République islamique en Syrie, dans laquelle les communautés n’auront pas leur place. On l’a vu avec les massacres d’Alaouites en mars, 1700 morts, on l’a vu ces jours-ci avec les Druzes, on le verra avec les Druzes, avec tous les non-sunnites, avec les laïques aussi, qui n’ont pas leur place dans un régime islamiste.
Et donc, que cherche Israël?
Pour sa sécurité, Israël ne veut pas d’un pouvoir islamiste fort en Syrie. Il préférerait avoir un pouvoir décentralisé, voire une solution fédérale, où les différentes minorités auraient un territoire et des droits.
Les frappes israéliennes ce vendredi en Syrie n’affaiblissent-elles pas le pouvoir d’al-Charaa, qui risque de passer pour un faible aux yeux de ses troupes et de ses adversaires, alors qu’il s’est publiquement donné pour mission de bâtir une Syrie où les armes se tairaient?
La chute d’al-Charaa ne replongerait-elle pas la Syrie dans le chaos de la guerre civile?
Si al-Charaa ne parvient pas à imposer un régime islamique centralisé, on se dirigera vers une forme confédérale. Je pense qu’une forme confédérale permettrait d’apaiser les choses en donnant des territoires et des pouvoirs aux Kurdes, aux Druzes et aux Alaouites. Ce seraient des contre-pouvoirs par rapport au pouvoir central à Damas, qui serait plus faible et par conséquent moins autoritaire.
Il ne faut pas aller vers le modèle de la dictature islamique en Syrie, ce serait terrible pour la Syrie.
Les Etats-Unis sont-ils en train de lâcher al-Charaa?
Avant de répondre à cette question, il faut poser le décor et il n’est pas beau à voir. Il y a eu les massacres de 1700 Alaouites en mars. Mais on a dit que c’était en réponse à des embuscades tendues aux forces du régime, que les responsables des massacres étaient des forces incontrôlées du régime. Or, si les forces d’al-Charaa n’ont pas pris part aux massacres, elles ont en tout cas laissé faire et encouragé d’autres factions à tuer. On disait que ce n’était pas un problème religieux, mais politique. Or non.
Revenons-en aux Etats-Unis.
Les Etats-Unis ne portaient déjà pas al-Charaa dans leur cœur. Il était membre d’al-Qaïda. Il s’était réjoui des attentats du 11-Septembre. Ils ne vont pas lâcher très facilement sur les sanctions frappant la Syrie et encore moins avec ce qu’il se produit.
Il y a un peu plus de dix ans, ils avaient dit la même chose par rapport à Daech, que c’était un groupe rebelle, certes un peu extrémiste. Il a fallu que Barack Obama tape du poing sur la table et mette fin à la «récré» pour en finir avec l’Etat islamique. J’ai l’impression que les Turcs, les Qataris et les Saoudiens rejouent la même scène. Si bien que, côté européen, comme on est assez dépendant de l’argent du Qatar et de l’Arabie Saoudite, on tempère aussi et on mise sur l’efficacité supposée d’un homme comme al-Charaa.