Alors que la foule rend un dernier hommage au souverain pontife, décédé le lundi de Pâques, une question revient dans les éditos du monde entier: ce pape, volontiers qualifié de «progressiste», a-t-il réellement fait avancer la cause des femmes?
Son image d'homme simple, proche des pauvres, soucieux d’inclusivité, a longtemps fasciné les médias. Mais à l’intérieur même de l’Eglise, sa posture envers les femmes, souvent jugée bienveillante en façade, s’est heurtée à de nombreuses limites doctrinales, qu'il n'a pas cherché à renverser.
Car derrière les nominations inédites et les discours charitables, les grandes réformes tant attendues par une partie de la planète – croyants ou non – n’ont jamais vu le jour. Pour beaucoup, son bilan laisse un goût d’inachevé.
Ce sont les grandes fiertés du pontificat de François: avoir fait entrer les femmes dans les arcanes du Vatican. Il en a nommées à des postes jusqu’alors inaccessibles: Raffaella Petrini, première femme gouverneure de la cité du Vatican; Francesca Di Giovanni, au sein de la diplomatie vaticane; ou encore la sœur Nathalie Becquart, première femme avec droit de vote à un synode.
François ne manquait pas une occasion de saluer la compétence des femmes. Il l'affirmait encore l’an dernier, lors d’une visite à l’hôpital Gemelli, comme le rappelle le média italien Il Post:
Un slogan séduisant, mais qui ne s’est jamais traduit par une refonte structurelle du rôle des femmes dans l’Eglise.
Car malgré ces gestes inédits, les femmes sont restées à la porte des véritables cercles de pouvoir. Elles peuvent, aujourd’hui, lire les textes liturgiques, être acolytes ou voter lors des synodes, mais en réalité, aucune n’a été intégrée dans les vrais centres névralgiques du pouvoir ecclésiastique. Le Collège des cardinaux, la Congrégation pour la doctrine de la foi, ou le dicastère pour les évêques. Ce sont toujours des hommes – prêtres ou évêques – qui y siègent.
Résultat: elles n'ont aucune voix au chapitre pour élire le prochain pape, même après avoir été associées aux réflexions du Synode sur la synodalité, comme le souligne The New York Times:
En 2016 puis en 2020, François avait pourtant créé deux commissions pour étudier la possibilité d’ordonner des femmes au diaconat. En vain. Aucun changement. En 2024, il a même refermé la porte de manière quasi définitive, provoquant l'amertume d’une partie de la base catholique, notamment en Europe et en Amérique latine. La montagne a accouché d’une hostie.
Ce pape argentin a, toutefois, fait avancer certains combats en lien avec les femmes. Il a par exemple encouragé la lutte contre les féminicides en Amérique latine, n’hésitant pas à dénoncer la «culture du machisme».
François a aussi renforcé les dispositifs contre les abus sexuels dans l’Eglise, dont sont également victimes des religieuses, longtemps invisibilisées.
Il a, par ailleurs, reconnu en 2021, dans un document interne, que des sœurs avaient été exploitées comme main-d’œuvre domestique au Vatican, appelant à des réparations.
Mais là encore, ces gestes restent isolés, souvent non suivis d’actes ou de mécanismes concrets. La Croix notait récemment que «malgré une prise de conscience, aucune politique de justice réparatrice n’a été mise en place pour les religieuses abusées ou marginalisées».
S’il a offert aux femmes davantage de visibilité, François n’a jamais vraiment quitté une vision très traditionnelle – voire figée – de la femme. Mère, consolatrice, gardienne de la foi: dans ses discours, la femme était souvent placée sur un piédestal, mais rarement invitée à gouverner. Il aimait tout particulièrement évoquer Marie comme modèle de la femme chrétienne, une «figure maternelle pour le monde».
A noter aussi que ses critiques du féminisme, sa méfiance envers les débats sur le genre, son rejet virulent de l’avortement, ont régulièrement fait polémique.
Même face à des pays en guerre ou à des femmes victimes de viol, il n’a jamais infléchi sa position. Forbes évoquait déjà, l’an dernier, les «limites flagrantes» de ses références féministes, décrivant un pontificat «progressiste sur le plan rhétorique, mais paralysé dès qu’il s’agissait de bousculer les dogmes».
François s’est par ailleurs également attaqué, en 2021, à la «théorie du genre», qu’il décrit comme «un danger pour la famille humaine».
Progressiste aux yeux des conservateurs, trop tiède pour les féministes, ce pape a souvent navigué dans l’entre-deux. Il a amorcé des discussions, ouvert des portes, sans jamais les franchir totalement.
A la fin de son pontificat, beaucoup de fidèles engagés pour une Eglise plus égalitaire se sont sentis trahis. Un édito du New York Times décrivait très justement François comme un leader qui a amorcé des discussions et ouvert des portes, sans jamais les franchir totalement, façon «pape du presque».
Alors que les cloches de Rome sonnent en mémoire de François, l’Eglise enterre un pape qui a su bousculer les habitudes, mais sans en renverser les fondations. Sur la question des femmes, il restera celui qui a fait bouger les lignes, mais sans jamais vraiment redessiner la carte. Le prochain pape sera-t-il celui du renouveau de l'Eglise, ou reviendra-t-il à une vision encore plus conservatrice?