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Guerre contre l'Ukraine

Guerre en Ukraine: «La Russie peut tenir jusqu'en 2046»

«Poutine joue gros avec cette offensive»

L'armée russe a lancé son offensive estivale et fait reculer les troupes ukrainiennes. Vladimir Poutine prévoit-il de s'emparer d'une grande ville? L'expert militaire Gustav Gressel fait le point.
19.05.2024, 06:4919.05.2024, 11:46
Patrick Diekmann / t-online
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Les choses se corsent pour l'armée ukrainienne. Les troupes russes ont lancé une nouvelle offensive de grande envergure et Vladimir Poutine continue d'envoyer des vagues de soldats contre les positions de la défense adverse - sans se soucier des pertes pour son propre camp. Outre de violents combats à l'est, les troupes envahissent actuellement la région de Kharkiv.

Poutine veut-il conquérir cette ville de plusieurs millions d'habitants? L'expert militaire Gustav Gressel détaille les intentions des dirigeants russes qui ont planifié ces attaques au nord. Par ailleurs, il estime que la destitution de Sergueï Choïgou, le ministre de la Défense, vise à renforcer la participation de la Chine dans ce conflit.

L'armée russe intensifie ses attaques en Ukraine et gagne du terrain sur plusieurs sections du front. Mais les Etats-Unis, eux, ne voient actuellement aucun risque de percée. Partagez-vous cette analyse?
Gustav Gressel: Une percée n'est actuellement pas très probable, ce qui ne veut pas dire qu'elle soit impossible pour autant.

«Dans le Donbass surtout, l'armée ukrainienne ne se défend finalement pas si mal»

Comment cela se traduit-il sur le terrain?
La technique des «combats à retardement» de l'armée ukrainienne fonctionne relativement bien là où elle doit se replier. Mais cela n'est que temporaire, dans les guerres, beaucoup de choses peuvent mal tourner. Tous les camps doivent se préparer à faire à des erreurs, sinon cela peut mener à des percées.

Gustav Gressel
Image: European Council on Foreign Relations
A propos
Gustav Gressel est Senior Policy Fellow auprès du groupe de réflexion politique European Council On Foreign Relations (ECFR). Ses recherches portent principalement sur les structures militaires en Europe de l'Est et plus particulièrement sur les forces armées russes.

Quelles sont les dimensions de l'offensive actuelle de l'armée russe?
Nous assistons à l'opération estivale tant redoutée, qui se déroule en majorité sur les mêmes axes que les attaques de l'hiver. A l'est, près de Krasnohorivka, Tchassiv Yar ou Otcheretyne. Au nord, cela se poursuit en direction de Koupiansk. Nous observons des combats de très haute intensité sur ces corridors principaux.

Quelle est la nature de ces affrontements?

«Les Russes préparent le terrain avec des tirs d'artillerie et des bombardements aériens»

Ensuite, il y a encore des attaques sur d'autres parties du front pour y coincer les troupes ukrainiennes et pour entraver la réaction des dirigeants ukrainiens.

Combien de soldats sont engagés aujourd'hui?
Au total, les forces armées russes comptent environ 520 000 soldats, 3400 chars et 5000 véhicules d'infanterie.

Mais tous les engagés ne participent pas à l'offensive.
Non. Des divisions s'activent dans chaque secteur du front - ce qui représente jusqu'à 30 000 soldats - mais jamais simultanément: il y a la préparation de l'artillerie, les troupes de choc, puis des renforts arrivent pour que l'artillerie s'attaque à la prochaine tranchée. L'engagement actuel dans cette offensive est certes important, mais il se répartit entre de nombreux endroits et de nombreuses manœuvres de types différents.

Est-ce que cela se traduit aussi par des pertes?
Tout à fait. L'armée de Poutine subit de lourdes pertes, l'Ukraine les estime à 2000 soldats par jour. L'expérience montre que ce devrait être légèrement inférieur en réalité, mais la Russie enregistre quoi qu'il en soit des pertes nettement plus élevées qu'en hiver.

Outre les fronts à l'est, la région de Kharkiv, au nord, est également prise pour cible. Faut-il y voir une avancée sérieuse qui permettrait de prendre la ville?
Dans la région de Belgorod-Kursk, il y a environ 50 000 soldats russes, qui disposent de 1000 véhicules blindés et de 1200 systèmes d'artillerie. Vu de l'Occident, cela semble énorme, mais ce n'est définitivement pas suffisant pour conquérir une ville comme Kharkiv. Ce n'est d'ailleurs pas l'objectif des Russes.

Que cherchent-ils alors?
Il s'agit de forcer l'Ukraine à puiser dans ses réserves dans cette région.

«C'est une manœuvre de diversion pour bloquer les forces ukrainiennes»

Celles-ci ne peuvent alors pas être déployées ailleurs. La région est intéressante pour la Russie parce qu'elle la connaît et qu'elle peut y opérer librement à proximité de la frontière.

Les Ukrainiens ont-ils été surpris par cette attaque au nord de Kharkiv?
Non. L'état-major avait déjà lancé un avertissement la veille. C'était prévisible, car la frontière n'est pas défendue à cet endroit - il n'y a que des avant-postes et des champs de mines. Etant donné que les localités frontalières sont constamment bombardées et surveillées par des drones russes, cela ne vaut pas vraiment la peine de défendre la zone. C'est pourquoi les lignes de défense ukrainiennes se trouvent à quelques kilomètres à l'intérieur du pays. Mais les Russes ont réussi à percer l'une de ces lignes.

Comment cela s'est-il passé?
C'est probablement là que l'Ukraine a commis une erreur tactique. C'est la raison pour laquelle le commandant du corps en question a été remplacé, ce qui montre que l'état-major de Kiev n'était pas non plus satisfait de la situation. Voilà où je voulais en venir quand je disais que des erreurs peuvent se produire, et que les choses peuvent mal tourner. Les Ukrainiens doivent désormais tenter de repousser les forces russes derrière cette ligne. Ce ne sera pas simple.

«A Kharkiv, l'armée ukrainienne doit composer avec des troupes moins expérimentées et moins formées que dans le Donbass»

Des combats acharnés semblent avoir lieu notamment autour de la ville de Vovtchansk, toujours près de Kharkiv. Pourquoi les Russes tentent-ils de s'emparer de cette ville s'il s'agit simplement d'une manœuvre de diversion?
Parce qu'ils sont parvenus à leurs fins relativement facilement jusqu'à présent. Les deux camps se partagent le contrôle de la ville. Les Russes vont maintenant s'efforcer de garder le terrain qu'ils ont pris. Ils sont au-delà de la ligne de défense ukrainienne et c'est une bonne position de départ pour de nouvelles avancées. Vovtchansk peut être un bon moyen de défense, avec les caves de ses bâtiments, eux-mêmes en béton. C'est donc une bonne idée de s'y installer dans un premier temps.

«Si l'Ukraine tente maintenant de repousser les Russes, elle subira probablement des pertes considérables. C'est ce que prévoit le commandement de l'armée russe»

C'est particulièrement ennuyeux pour l'Ukraine, qui doit mobiliser ailleurs et en urgence le peu de forces de réserve qu'elle a.
Exactement, dans la région d'Avdiïvka par exemple. Là-bas, l'armée russe a réussi à percer une ligne bien construite et nous assistons actuellement à de très fortes attaques, car elle veut évidemment tirer profit de la faiblesse de son adversaire à cet endroit. La prochaine ligne de défense ukrainienne se trouve désormais à quelques kilomètres à l'ouest. Les Russes ont bien progressé ces derniers jours, et ça explique que l'Ukraine aussi joue la montre. Sa défense ne peut pas se cramponner à une deuxième ligne.

Les armes occidentales pourraient-elles changer la donne? Les Etats-Unis viennent de débloquer de nouveaux paquets d'aide.
Cela prend du temps, du moins pour les équipements lourds, avant qu'ils n'arrivent sur les champs de bataille.

«Les munitions sont au moins déjà là, ce qui fait une différence»

L'armée ukrainienne peut désormais faire feu comme avant les pénuries des derniers mois. Mais la priorité maintenant, c'est d'intégrer le gros matériel.

Pour l'instant, il s'agit donc surtout pour l'Ukraine de tenir bon?
Ce matériel-là permettra de compenser les pertes des mois précédents, mais il est insuffisant pour permettre à l'Ukraine de passer à l'offensive. L'objectif, c'est d'infliger aux Russes des pertes aussi élevées que possible. Mais l'armée russe est actuellement si bien positionnée qu'il sera difficile pour Kiev de reprendre l'avantage. Pour cela, le potentiel offensif russe doit d'abord s'essouffler.

Voilà qui n'est pas très encourageant.
Néanmoins, tout n'est pas encore perdu. La guerre sera longue et pour l'Ukraine, beaucoup de choses dépendent du soutien de l'Occident. Nous savions que 2024 serait une année difficile pour Kiev, car l'aide occidentale a été retardée. Plus l'Ukraine se défend, plus elle gagne du temps pour résoudre ses problèmes. Il lui faut par exemple du temps pour mieux former les unités les plus faibles ou pour développer de nouvelles armes. La question est de savoir dans quelle mesure l'Occident souhaite la soutenir dans cette démarche - et je suis de plus en plus sceptique à ce sujet au vu des récentes évolutions.

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Mais même ainsi, les Russes ne sont pas encore à Kiev?
Non, les Russes n'y arriveront pas avant longtemps.

Jusqu'à présent, Poutine n'a pris que peu de grandes villes.
Ce n'est pas non plus son objectif. Les dirigeants russes savent qu'ils ne peuvent pas à la fois obtenir des percées importantes et rapides et conquérir le pays.

«Poutine veut soumettre l'ensemble du pays en étouffant lentement sa résistance militaire»

Du point de vue du Kremlin, peu importe où les Russes écraseront l'armée ukrainienne. C'est pourquoi ils n'attaqueront pas de grandes villes tant que l'ennemi peut encore se défendre sur toutes les parties du front. De son côté, Kiev sait qu'elle n'obtiendra gain de cause sur le terrain ou la table des négociations, que si l'armée russe s'effrite. Mais le chemin est encore long.

Avec la nomination d'Andreï Beloussov comme nouveau ministre de la Défense, Poutine se prépare-t-il à une campagne encore plus longue?
Beloussov est non seulement économiste, mais il entretient également de bonnes relations avec la Chine. C'est précisément sur ce point que mise Poutine. Les dirigeants chinois soutiennent la Russie, ils fournissent des composants, des matières premières chimiques et des machines:

«Moscou n'est pas en mesure de produire elle-même tous les véhicules et toutes les armes dont elle a besoin»

Poutine cherche donc à obtenir des armes et des munitions chinoises et il est tout à fait possible qu'il souhaite obtenir un soutien plus large de Pékin avec sa rocade ministérielle. C'est également important pour l'Europe.

Pourquoi?
Parce que les Chinois auront toujours besoin du marché européen. L'Occident dispose donc encore d'un levier auprès de Pékin. En tout cas, les Européens devraient faire comprendre à la Chine que la livraison directe d'armes à la Russie a des conséquences.

On dirait que beaucoup de choses se déroulent comme prévu pour Poutine cette année. Voyez-vous aussi des revers pour le Kremlin?
Il y a des pertes élevées, pas seulement en termes de vies humaines, mais aussi de matériel.

«Le matériel de guerre engagé dans les combats dépasse les capacités de production»

C'est logique, puisque Moscou profite du passage à vide de son adversaire. Le problème, c'est que si l'Ukraine résiste et que les bénéfices opérationnels restent limités par rapport aux pertes, la vapeur pourrait s'inverser. L'enjeu est de taille pour Poutine.

Ce qui est à relever à cet égard, c'est que malgré les grandes pertes russes, il n'y a pratiquement pas de résistance contre Poutine.
400 000. C'est le nombre de morts et de blessés graves côté russe depuis février 2022. Il y aurait eu 150 000 morts au combat. Mais il faut voir aussi que les soldats gagnent de l'argent avec cette guerre et que leurs familles en reçoivent encore beaucoup après leur disparition. La Russie a assez de réservistes pour tenir jusqu'en 2046, Poutine peut donc encore sacrifier beaucoup de ses citoyens. Les chars et les autres équipements viendront en revanche à manquer bien avant cette échéance.

(Traduit et adapté de l'allemand par Valentine Zenker)

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