Quand on voit le prix d'un produit, on est en droit de s’attendre à ce que ce prix soit basé sur quelque chose de réel: du travail, des ressources rares, bref de la valeur qui justifie ce qu’on paie. Normalement, si j’achète un litre d’essence ou un kilo de pommes, je m’attends à permettre aux personnes qui ont fourni un effort pour que je puisse bénéficier de ce bien d'être rémunérées avec cet argent.
Et c’est logique: il ne faut pas seulement fournir un effort pour produire la pomme, mais aussi pour l’amener jusqu’à mon assiette. Cela explique qu’il y a des intermédiaires entre producteurs et consommateurs et qu’il est évidemment logique que ces intermédiaires soient payés pour leur travail.
Ce qui serait juste, c’est que le prix corresponde à la somme des efforts pour produire un bien. En réalité, quel que soit le coût réel de production, les intermédiaires avec une position dominante choisissent le prix maximum qu’ils peuvent facturer. Cela amène deux sortes de problèmes assez graves. D’abord, dans certains cas, les prix sont trop bas pour que les producteurs puissent vivre décemment.
Dans d’autres cas c’est le contraire: les gens sont prêts à payer plus que le coût de production, et il est donc possible de fixer le montant pour acquérir un produit très haut. En théorie, si le prix est trop bas, il suffit aux producteurs d’arrêter de travailler dans ce domaine. Et si c’est trop haut, la concurrence permettra de pousser les vendeurs à baisser leurs prix.
Mais la réalité est bien différente. Si les prix sont élevés, ce sont les intermédiaires qui s'approprient les marges. Et si les prix sont trop bas, les producteurs ne peuvent pas forcément facilement changer de métier et doivent vivre dans le stress et la misère, malgré des conditions de travail franchement dures. Pourquoi? Parce que les règles ne sont pas fixées pour que les choses soient les plus justes possibles, mais plutôt en fonction de celles et ceux qui ont le plus de pouvoir.
Pourquoi? Imaginez un sablier. En haut c’est grand, au milieu il y a une toute petite ouverture, et en bas, c’est grand. En haut, ce sont les producteurs. En bas, les consommateurs, et au milieu les intermédiaires. Ça ressemble souvent à cela: beaucoup de producteurs, un ou quelques intermédiaires, et énormément de consommateurs.
Dans ce contexte, l'exemple qui vient le plus souvent en tête est celui de Migros et Coop. Encore récemment, l’émission A Bon Entendeur a montré que les marges brutes prises par les grands distributeurs peuvent dépasser les 50% du prix du produit. Par ailleurs, les producteurs sont très dépendants de ce duo très fort et n’ont donc pas une grande force de négociation pour exiger des prix justes.
En effet, dans cette situation, les intermédiaires sont super forts: ils peuvent mettre en concurrence les producteurs pour maintenir la pression sur les prix. Comme il y a peu d’intermédiaires, si l’un d’entre eux renonce à vendre le produit d’un producteur, ce dernier est dans une situation impossible: il ne peut plus vendre et n’a pas d’accès au marché. Il est coincé.
D’un autre côté, les consommateurs n’ont, dans beaucoup de domaines, pas vraiment de choix. Si les intermédiaires ne sont pas assez nombreux pour qu’émerge une vraie concurrence, ou s’ils se mettent d’accord pour fixer des prix trop élevés, les acheteurs n’ont pas vraiment d’options. Bien sûr, les lois devraient nous protéger en théorie contre certains abus, mais le surveillant des prix a déjà démontré son impuissance dans ce cadre.
L’exemple de l’explosion des prix de l’essence est édifiant. Bien sûr que les gens comprennent qu’en cas de crise internationale, les prix de l’essence augmentent, car il y a une rareté. Mais le travail que fournissent les intermédiaires est strictement le même avant ou pendant la crise. Pourtant, s’ils gardent la même marge en pourcentages, ils engrangent des profits bien plus importants, sans la moindre justification.
C’est pourquoi les intermédiaires de l’essence ont fait exploser leurs bénéfices grâce aux crises internationales.
Voilà comment il est possible d’avoir en même temps des consommateurs qui ont le sentiment que tout coûte plus cher et des producteurs qui estiment qu’ils ne peuvent pas vivre de leur métier.
Heureusement, de plus en plus de personnes et de médias se sont intéressés à cette question des marges. A travers des enquêtes il a été possible de déterminer que les marges étaient parfois de plus de 50% sur certains produits de base. Cette information simple devrait déjà nous pousser à agir. La première mesure à mettre en place, c’est la transparence:
Etant donné que ce problème a tendance à survenir principalement dans des situations où quelques gros acteurs profitent d’une situation dominante, il serait possible de mettre en place une obligation de transparence qui ne s’appliquerait qu’aux acteurs d'une certaine taille. Cela éviterait de surcharger de petites et moyennes entreprises avec des obligations de collecter et communiquer des données.
Le but n’est pas seulement de savoir à quelle sauce on se fait manger. Il faut trouver une solution pour que le pouvoir d’achat de la population ne disparaisse pas dans les poches d’intermédiaires, sans que ceux-ci ne donnent la moindre justification. Plusieurs solutions sont envisageables, comme celle d'imposer les bénéfices excessifs.
Une telle mesure serait assez simple à déployer. En schématisant, une entreprise gagne de l'argent et paie des charges (les salaires, les assurances, les loyers, etc.). L'argent qu'il reste à la fin, c'est ce qu'on appelle le bénéfice. Dans une logique analogue à celle du droit du bail, où les rendements abusifs sont interdits, la loi pourrait déterminer ce qu'est une marge acceptable.
Tout bénéfice supérieur au taux fixé serait alors imposé de façon supplémentaire et pourrait être redistribué aux producteurs, soit directement, soit à travers des programmes de soutien. Si les producteurs ne sont pas lésés, par exemple dans le cas du pétrole, les recettes peuvent être employées à d’autres buts d’utilité publique ou à des mesures d’amélioration du pouvoir d’achat.
Souvent, on veut combattre la perte de pouvoir d’achat avec des mesures qui n’apportent que peu de soulagement et qui font très mal: par exemple en voulant réduire de 3 francs la redevance mensuelle payée pour les médias de service public. Imposer les marges abusives et les rendre transparentes, pourrait soulager massivement les budgets des ménages sans avoir d’impact sur le bien-être de la population ni sur celui des producteurs.
En somme, la démocratie, c'est le pouvoir au plus grand nombre. L’économie de marché dans laquelle nous vivons actuellement, c’est exactement le contraire: le pouvoir à ceux qui sont les moins nombreux, mais les plus gros.