Au panthéon des grands cinéastes de notre temps, Sir Ridley Scott n'a pas volé sa place. Prolifique, l'homme aux 29 films compte dans sa filmographie des oeuvres qui ont bouleversé le 7e art. On citera évidemment Alien et Blade Runner, mais également Gladiator, qui, en 2000, redonnait ses lettres de noblesse au genre du péplum.
Un immense succès au box-office, sacré de cinq Oscars, dont celui du meilleur film et du meilleur acteur pour Russell Crowe. Avec ses répliques cultes et ses séquences iconiques, comme cette main caressant un champ de blé sur la mémorable partition d'Hans Zimmer, Gladiator fait partie d'un patrimoine intouchable où l'annonce d'une suite glacerait le sang de n'importe quel cinéphile.
Pourtant, il n'y a que Ridley Scott qui ose se réapproprier les œuvres qu'il a offertes au monde, quitte à se le mettre à dos comme il a pu le faire en 2012 avec Prometheus, le prequel de l'intouchable Alien.
Sans être un film historique, Gladiator se base sur des personnages réels pour raconter sa propre histoire, quitte à faire dans les incohérences pour le plaisir du grand spectacle. C'est exactement ce que propose Gladiator II, en se voulant plus impressionnant, mais aussi plus politique.
L'intrigue de Gladiator II prend place quinze ans après la mort de Maximus, le héros acclamé par le peuple romain qu'incarnait Russell Crowe. C'est désormais son fils caché Lucius (déjà présent en tant qu'enfant dans le précédant) qui prend le relais sous les traits de l'acteur Paul Mescal. Sa mère, Lucilla (Connie Nielsen), toujours présente au casting de ce deuxième volet, est la fille de l'illustre Marc Aurèle, ce qui fait de Lucius le prince de Rome et l'héritier légitime du trône.
L'assassinat de l'empereur Marc Aurèle par son fils Commode marquait le début de Gladiator. Son rêve d'une République démocratique n'est désormais plus qu'un lointain souvenir. La cité est en proie au despotisme de deux frères, les empereurs Geta (Joseph Quinn) et Caracalla (Fred Hechinger), dont les ambitions expansionnistes pourraient mener l'Empire à sa chute.
Menacé en raison de son sang impérial, Lucius a passé sa vie caché en Numidie, un ancien royaume nord-africain aujourd'hui disparu. Il se retrouve, bien malgré lui, réduit en esclavage à la suite d'une invasion romaine. Ses talents de guerrier lui valent d'être intégré comme gladiateur pour les jeux du cirque, devenant au passage le protégé de son maître Macrinus (Denzel Washington). Un accord se scelle alors entre les deux hommes : Lucius combattra pour lui afin d’asseoir ses positions dans la société romaine, en échange de la tête du général Acacius (Pedro Pascal), le mari de sa mère, responsable de l'invasion qui l’a réduit en esclavage et de la mort de sa femme.
Gladiator II a mis toutes les chances de son côté pour offrir au spectateur la même promesse que le Colisée faisait au peuple romain: du grand spectacle. Avec un budget dépassant les 250 millions de dollars, un casting bankable et une réalisation digne de l’âge d’or d’Hollywood, cette suite affiche des ambitions à la hauteur de l'héritage du héros Maximus, dont le fantôme hante le film de manière omniprésente.
Cette filiation crée d'ailleurs un sentiment de déjà-vu, tant le parcours des personnages et la structure du film rappellent le long-métrage original: une grande bataille en introduction, un noble guerrier et fin stratège devenu gladiateur, ainsi qu'une vengeance à accomplir sur fond de complot dans les hautes sphères du pouvoir.
Pourtant, le film parvient à nous surprendre dans son exploration d’un terrain familier grâce à ses séquences épiques et spectaculaires, embrassant pleinement le genre du péplum. Les scènes de combat sont si impressionnantes qu’elles frôlent parfois l’invraisemblable, comme dans cette bataille navale en arène où des requins se repaissent des malheureux tombés à l’eau. Gladiator II et ses joutes enivrantes nous captivent sans peine durant ses 2 h 28 min.
De prime abord, le film semble suivre le chemin de son prédécesseur avec son odyssée vengeresse centrée sur son personnage principal. Cependant, cette suite multiplie les intrigues en proposant un récit choral. Les arcs des personnages d'Acacius (Pedro Pascal) et de Lucilla (Connie Nielsen) permettent une immersion passionnante dans cette société corrompue, dont l'idéal est broyé par les horribles empereurs qui la dirigent.
Le point fort du long-métrage réside dans la présence du marchand d’esclaves Macrinus, interprété par Denzel Washington, qui donne toute sa saveur à la dimension politique du film. Ce personnage, déterminé à gravir les échelons de la société jusqu’aux oreilles de l’empereur, déploie une énergie de gangster joliment anachronique. L’acteur doublement oscarisé s’impose au centre de ce jeu de pouvoir, apportant à cette suite une identité unique et une originalité qui la distinguent de son prédécesseur. En plaçant les enjeux politiques au cœur de sa narration, Gladiator II gagne en profondeur, équilibrant subtilement ses moments calmes avec les scènes épiques attendues par le public.
À l'image de Megalopolis de Francis Ford Coppola, sorti il y a quelques mois et faisant l'analogie entre la chute de Rome et notre société contemporaine, Gladiator II évoque également la fin d'une civilisation. Il est difficile pour le spectateur de ne pas y voir des parallèles avec notre époque troublée. Ridley Scott semble avoir un message à transmettre, rêvant d'une Rome unie et pacifiée, à la fois rassurante et inspirante.
Si cette suite n'atteint jamais le sommet de son prédécesseur et n'a de loin pas la même puissance émotionnelle, Gladiator II reste un très bon divertissement. Malheureusement, il n'évite pas les écueils du «legacyquel», un anglicisme désignant ces suites tardives qui recyclent par nostalgie tout en passant le flambeau. Le film reste néanmoins un pur plaisir qu'il serait dommage de bouder, car les jeux du cirque n'ont jamais été plus jouissifs que sur grand écran.
Gladiator II de Ridley Scott est sorti sur les écrans le mercredi 13 novembre 2014. Durée: 2h 28