L'année dernière, les acteurs d'Hollywood ont fait grève. Ils demandaient notamment une meilleure réglementation de l'intelligence artificielle (IA) et une protection contre le risque d'être remplacé par une IA. Ces revendications sont-elles justifiées?
Manuel Hendry: Oui, tout à fait. Aux Etats-Unis, le syndicat des acteurs ne représente pas seulement les grandes stars, mais aussi les figurants. Ces dernières années, il est arrivé à plusieurs reprises que des figurants se fassent prendre en photo, sans savoir que ces images allaient servir à les numériser entièrement – y compris leur voix. Ces images numériques ont ensuite été réutilisées pour des scènes d'arrière-plan, sans que les figurants aient été consultés (ou payés).
De nombreuses personnes dans l'industrie du cinéma doivent survivre avec des petits boulots. Le risque est donc grand qu'ils soient dépassés par ces évolutions.
Quand les studios vont-ils trop loin?
L'utilisation respectueuse et responsable de ces technologies vis-à-vis des personnes qui vivent de leur créativité soulève beaucoup de questions. Les studios souhaitent bien sûr toujours obtenir le plus de prestations possible pour un faible coût. Mais si les studios ne font que maximiser leurs bénéfices et détruisent ainsi le capital social sans se soucier des conséquences, cela finira par leur retomber dessus – plus personne ne voudra travailler dans ce secteur.
Un nouveau film veut ramener James Dean à l'écran – malgré le fait que cet acteur est mort il y a presque 70 ans. Pourquoi ne pas faire appel à un acteur qui lui ressemble à la place de le «ressusciter» avec de l'IA?
Une grande tendance dans l'industrie du divertissement est de miser de plus en plus sur ce qui a déjà fait ses preuves. Disney a par exemple racheté Lucasfilm (Star Wars) et Marvel (Spiderman), et recycle depuis lors sans cesse leur matériel. Aujourd'hui, les films les plus vus au cinéma sont presque exclusivement des suites, des préquelles ou des adaptations de bandes dessinées. Il y a vingt ans, les films de cinéma étaient quasiment tous des œuvres originales.
La résurrection de James Dean s'inscrit parfaitement dans cette tendance. James Dean est une marque: faire revivre cet acteur connu est un retour sur investissement plus sûr que de miser sur une jeune star inconnue.
On ne peut pas payer un salaire à des acteurs morts. Ont-ils alors «travaillé» gratuitement?
Générer des images qui ont l'air réelles à l'écran demande un effort énorme et je ne sais pas si les studios économisent vraiment de l'argent. Et je suppose qu'il faut payer pour avoir le droit d'utiliser James Dean.
Les acteurs décédés ne peuvent ni choisir les films dans lesquels ils seront utilisés, ni donner leur consentement pour des scènes spécifiques. Comment les studios prennent-ils cela en considération?
C'est une question pertinente. Il faudrait effectivement demander à un juriste pour obtenir une réponse fiable. En principe, les cinéastes qui adaptent une histoire réelle et mettent à l'écran une personne réelle dont ils citent le nom sont responsables de dépeindre cette personne de manière véridique.
Au final, c'est aussi une question morale et – comme tout dans le cinéma – une question de goût.
Paul Walker et Carrie Fisher ont également été «ressuscités».
Mais il se peut que j'aie tort.
Les fans et les cinéphiles voient souvent ces pratiques d'un œil critique. Vont-elles quand même s'imposer?
L'histoire du cinéma a toujours été rythmée d'engouement pour les innovations technologiques du moment. Il y a dix ans, nous avons assisté à un renouveau de la 3D. La 3D existe toujours, mais à une échelle beaucoup plus petite que ce que l'on avait prédit. Il y a quelques années, même les réalisateurs de téléfilms ont commencé à faire des prises de vue de drone interminables qui n'avaient aucun sens narratif, mais c'était nouveau et ça faisait bien. J'imagine bien qu'il y a aujourd'hui aussi une tendance à exploiter les nouvelles technologies d'IA, mais que le public s'en lassera rapidement, parce que cela n'améliore pas vraiment le contenu ou l'émotion. Les grands univers narratifs comme Marvel ou Star Trek sont tributaires de leurs superfans. Les studios doivent réagir tôt ou tard si les fans ne sont pas contents.
Vous ne pensez donc pas que les acteurs seront complètement remplacés par des IA?
Il faut faire la différence entre les marionnettes et le marionnettiste. Ce qui est déjà parfaitement réalisable aujourd'hui, y compris sur le plan technologique, ce sont des duplications numériques de personnes réelles – en d'autres mots, des marionnettes numériques. D'énormes progrès ont été réalisés ces dernières années dans le réalisme de l'aspect de la peau, des cheveux et du corps, de sorte que les poupées numériques ressemblent de plus en plus à des êtres humains.
En d'autres termes: chaque poupée a besoin des données relatives aux mouvements et aux expressions faciales d'un être humain réel pour être animée. C'est pourquoi je considère qu'il est complètement irréaliste et irréalisable qu'une marionnette numérique entièrement automatique exprime également de manière entièrement automatique les émotions et le comportement d'un être humain.
Êtes-vous surpris par la rapidité de cette évolution technique?
Oui, absolument. Tout le monde est surpris. La vitesse de la recherche fondamentale jusqu'au produit fini a maintenant atteint un rythme qui n'a jamais été aussi élevé dans l'histoire de la recherche informatique. Et elle continue de s'accélérer.
Quels aspects positifs l'IA apporte-t-elle au film?
Il est peut-être utile de parler ici d'«apprentissage automatique» – l'«intelligence» artificielle est en effet plutôt un slogan publicitaire. L'intégration de ces outils dans le secteur du cinéma est une épée à double tranchant. Du point de vue de nombreux cinéastes, ils représentent un énorme soulagement. Les tâches répétitives et ennuyeuses – que ce soit dans la correction d'image, le traitement du son ou la synchronisation vocale – peuvent désormais être automatisées.
La situation est similaire pour les films d'animation. Avec l'IA, un narrateur pourrait donner éternellement sa voix au même personnage.
C'est en effet dans le domaine des voix que l'IA a le plus grand potentiel de disruption. Les possibilités qui existent déjà dans ce domaine – par exemple l'imitation presque parfaite de voix humaines – sont incroyables. C'est là que je vois le plus grand impact à venir dans le secteur du cinéma, du moins d'un point de vue social et économique,.
Le métier de comédien de doublage est-il donc en voie de disparition?
Il ne disparaîtra probablement pas dans les domaines avec les plus hautes exigences de qualité. Mais il y a tout simplement beaucoup de fois où les clients ne remarquent pas la différence entre «très bon» et «acceptable».
Donc, si les gens n'arrivent pas à reconnaître la qualité, ils ne sont pas prêts à payer pour cela. Une grande partie du travail sera supprimée et remplacée par des machines dans le domaine des livres audio et des vidéos de formation. Et de nombreux acteurs de doublage ne vivent pas de manière très glamour, mais exercent leur métier avec une grande passion – nous l'avons vu lors de la grève à Hollywood.
En tant que société, nous devons réfléchir à la manière dont nous voulons gérer le changement qui est en route.
Les cinéphiles n'iront-ils bientôt voir plus que des superproductions d'IA?
Je ne pense pas que cela arrivera. Il y a bien sûr des genres de films où l'intelligence artificielle et la «vidéoification» font sens. Mais à chaque mouvement, il y a un mouvement contraire.
Je suis sûr que l'IA complètera les méthodes traditionnelles de réalisation de films, mais qu'elle ne les remplacera pas.
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci