Le nouveau «Frankenstein» manque cruellement d'âme
Frankenstein fait partie du patrimoine mondial de la littérature. Plus de deux siècles après sa création, il reste l’un des plus grands chefs-d’œuvre de tous les temps: une aventure grandiose, grotesque, démente, un roman d’épouvante à la fois divertissant et d’une intelligence rare, où chaque page déborde d’une compassion immense pour l’homme et le monstre. Surtout pour le monstre. Pour l’œuvre d’un scientifique, bien moins fou dans le roman que dans la plupart de ses innombrables adaptations.
Souvenons-nous: Victor Frankenstein, jeune scientifique genevois issu d’une famille presque idyllique, découvre les pouvoirs de l’électricité, invente une sorte de défibrillateur primitif et redonne vie à un assemblage de morceaux de cadavres humains.
A sa surprise, l’être de 2,40 mètres qu’il a créé ne se contente pas de bouger, mais il pense, il ressent. Il comprend bientôt que les hommes, dont il voudrait se rapprocher, réagissent à sa vue avec horreur et le rejettent. Condamné à la solitude, il implore son créateur de lui donner un compagnon ou une compagne, mais Frankenstein refuse. Alors la créature, dévastée, se venge en tuant tous ceux que Frankenstein aime.
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Le roman se construit sur une correspondance entre un marchand britannique qui recueille Victor Frankenstein, gravement malade, sur son navire d'expédition dans l'Arctique et sa soeur, pour laquelle il documente son incroyable histoire. Ses lettres à sa famille constituent un roman-feuilleton habilement construit, plein de rebondissements.
Ce qui nous ramène à l'histoire de la création de Frankenstein ou le Prométhée moderne: le roman a été imaginé en 1816, année particulièrement sombre, dans une communauté créative de cinq jeunes Britanniques excentriques au bord du lac Léman.
À la tombée de la nuit, ils se racontaient des histoires effrayantes. Et Mary Shelley, âgée de seulement 18 ans, racontait comment Victor Frankenstein racontait son histoire à un marchand, qui la racontait à son tour à sa sœur. Comme un conte de fées. Car c'est l'histoire de l'incarnation miraculeuse d'un assemblage de cadavres, rien d'autre.
Le roman mêle le fantastique au philosophique. Dans une double lecture, Frankenstein est la création «abominable» (le mot est de Shelley) et bien-aimée de l'autrice, mais aussi le monstre de son inventeur. La fiction prend ainsi vie: roman et monstre sont à la fois effroyables et magnifiques.
Un film qui ne fait pas honneur au roman
Malheureusement, ceux qui adorent le roman de Mary Shelley seront amèrement déçus par le nouveau film grossier et sans âme de Guillermo del Toro. En revanche, il est beau à voir, avec un vacarme pompeux. À l'exception des animaux générés par l'IA, qui sont affreusement mal faits.
Pour ne rien arranger, les deux acteurs principaux sont tout autant mauvais: Oscar Isaac est un Frankenstein comique et surjoué (il a clairement regardé trop souvent les films Sherlock avec Robert Downey Jr.), et Jacob Elordi n'est vraiment pas fait pour jouer un monstre. En effet, il n'arrive pas à rendre l'atmosphère inquiétante, et ressemble davantage à un ours en peluche déguisé pour Halloween.
Les seconds rôles, par contre, sont excellents. Christoph Waltz, dans le rôle du mécène autrichien de Frankenstein (toutes les intrigues secondaires sont un peu, voire totalement inventées), est pour une fois excentrique juste comme il faut - un vrai plaisir.
Et l'icône de l'horreur Mia Goth, en Elizabeth, convoitée à la fois par l’homme et par le monstre, joue parfaitement une créature éthérée, mais déterminée, tout droit sortie d’un tableau préraphaélite.
Waltz - qu’on a vu dans le Dracula de Luc Besson - et Goth n'ont pas beaucoup de temps d'écran, mais le remplissent avec une subtilité, une intensité et une précision remarquables qui nous plongent dans leurs histoires désespérées. On s’attache à eux. Les autres, on les observe de loin.
C'est précisément l'aspect externe qui intéresse bien plus del Toro que le monde intérieur des personnages: il consacre une grande partie des deux heures et demie du film à l'atelier de momification de Frankenstein et à son laboratoire surchargé de décorations. Tout est surfait, des costumes de Mia Goth en passant par les funérailles des parents de Frankenstein qui sont illustrées de manière sensationnelle. Le film manque cruellement d'un système nerveux central qui relie le tout et qui fait circuler les émotions.
Toute subtilité semble éliminée. Victor ne vient pas d'une famille aimante comme dans le roman, non, il a été maltraité dans son enfance par son père (Charles Dance), raison pour laquelle il doit aussi être brutal avec son propre «fils». Et quand le calme menace de s'installer, on passe à une scène d'action. D'où ça sort et pourquoi? Peu importe. Quand vient un moment d'émotion, on a droit à un coucher de soleil, kitsch au possible.
On peut choisir cette voie: envelopper un classique d’un vernis historique, y investir toute son énergie visuelle. Robert Eggers l’a fait avec Nosferatu, mais avec une certaine fidélité à la matière d'origine.
Lors de sa parution, Frankenstein était une oeuvre d'avant-garde, hyper futuriste. Il aurait été intéressant de se pencher là-dessus. Guillermo del Toro semble avoir voulu réaliser une nouvelle version de La Forme de l'eau et de son Pinocchio, poursuivre son envolée Netflix de contes avec des monstres au grand cœur. Mais la puissance intérieure, étrange et bouleversante de Frankenstein lui a échappé.
«Frankenstein» sortira brièvement au cinéma à partir du 22 octobre et sera disponible sur Netflix à partir du 7 novembre.
