Oui, on est sur un coup de gueule. Cet été, certains magazines nous prennent un peu pour des jambons avec leurs «tendances printanières et estivales», même si, au final, ça fait les affaires des adeptes de la slow fashion. Je m'explique.
On est début juin, dans les boutiques, les fringues d’été sont en rayon depuis, grosso modo, le mois de décembre. Pour les magazines, comme il est déjà trop tard pour parler du maillot de bain qu’il faut «absolument» acheter, et trop tôt pour nous dévoiler le nom du cocktail à la mode cet été, à 18 balles le verre en terrasse.
Il faut donc trouver de quoi remplir les pages. On est dans cet entre-deux hybride, peu engagé, aussi croquant qu'une carotte vapeur. Et les magazines de mode nous pondent des articles du même acabit.
En feuilletant des magazines, je suis tombée sur plusieurs articles qui parlaient des chaussures qu’on allait porter cet été. Des sujets qui donnent un peu envie de jeter des sabots en bois massif sur les gens qui ont pondu ces conseils mode. Le premier disait qu’on allait porter, attention, suspense…
Et c’est un magazine de mode très connu qui a écrit ça, Vogue pour ne pas le citer. Quel est le problème, vous demandez-vous? Justement, il n'y a pas de problème. Il n'y a même pas de débat, en fait.
Merci, mais le commun des mortels n'a pas attendu que les magazines mode disent «portez des Birk». Le monde enfilait déjà ses pieds dans ces sandales orthopédiques en... 1886. Depuis, du bobo urbain lausannois au touriste allemand sur une plage de Majorque en passant par Kendall Jenner, il y a une paire de Birkenstock dans presque chaque dressing. Même mon papy en porte pour jardiner. C’est pas la chaussure de l’été 2023, c’est la claquette intemporelle, Vogue. Fais un effort, merde, ou on va tous finir pieds nus.
Plus plat qu'un conseil mode vous suggérant de «succomber à l'appel de la Birk»? Un article d'Elle.fr annonçant que la tong fait son come-back. Vous aussi, vous n'étiez pas au courant qu'elle avait disparu et que vous méritiez de vous faire sabrer les orteils à la scie rouillée pour avoir eu l'outrecuidance d'en porter depuis votre naissance sans discontinuer chaque été?
Ou alors, vous êtes des précurseurs de «la pièce du moment». Depuis toujours. Fun fact: au Brésil, on porte des tongs depuis les années 20. Les années 1920, hein, pas 2020.
Les Birkenstock et les tongs, bof bof? Alors songez aux espadrilles, cette chaussure en toile et en corde qui sent la paille dès qu'il pleut. Même vos ancêtres au 14e siècle étaient déjà stylés si on lit Cosmopolitan.fr. Vous n'allez tout de même pas décevoir le 117e étage de votre arbre généalogique?
Car oui, là encore, même s'il s'agit d'une «tendance printemps-été» de l'année 2023, la godasse en corde de chanvre ne date pas d'hier. En Catalogne et dans les Pyrénées, on en porte depuis longtemps.
Très longtemps: les premiers écrits attestant de l'existence de l'espadrille telle qu'on la connaît encore aujourd'hui remontent à 1322. Soit il y a 701 ans. Bon anniversaire, petite chaussure fraîchement découverte par la presse féminine!
La bonne nouvelle, c'est qu'il n'y a pas besoin de dévaliser les magasins cette année pour être «tendance». Il suffit juste de porter des Birkenstock qu'on utilise pour arracher les mauvaises herbes, des tongs qu'on réserve d'habitude à la sortie piscine, ou des espadrilles qu'on se transmet de génération en génération depuis le 14e siècle.
En tout cas, il semble que les magazines de mode se sont tous mis d'accord pour ne pas nous pousser à la consommation. Démarche écolo façon slow fashion ou inspiration au ras de la semelle? Quoi qu'il en soit, il sera assez facile d’être à la mode cet été, même si ça va vous coûter cher en magazines de le savoir. On attend plus que de connaître le nom du cocktail «innovant» qui viendra détrôner le Spritz. Youpi.