On a failli s’impatienter. Puis J Balvin est enfin arrivé.
Il est 22 heures et des poussières au Montreux Jazz Festival. La scène est vide, la foule est pleine. Pleine d’attente, de chaleur, d’énergie qui ne demande qu’à exploser. Et pleine de doutes aussi: «Mais il fait quoooooi, J Balvin?»
Voilà trois bons quarts d’heure que la première partie, l’Argentin Trueno, a fini de chauffer le public. Depuis, les enceintes balancent du latino façon «Hot 100 Caliente Reggaeton» sur Spotify, comme pour garder la foule mi-cuite sur chaleur tournante. Le genre de playlist – Bad Bunny, Don Omar, Daddy Yankee et consorts – que je balance chaque matin dans la salle de bain pour me réveiller.
Autour de moi, une moitié de la foule danse sans se poser de questions sur Gasolina, et l’autre commence à regarder sa montre. On tente de rester patient, on chante un peu, mais on sent bien que l’ambiance aurait pu basculer du côté morose si ça avait encore trop traîné.
Et puis, 22h15. Boom. Lumières, cris, intro. Mi Gente. D’un coup, tout le monde oublie l’attente. J Balvin débarque dans un ensemble rouge vif et vient nous cueillir avec l'un de ses plus gros tubes, c'est presque de la triche.
Il saute, il danse, il harangue la foule, il sourit comme un gamin heureux d’être là. A tel point que ça devient presque embarrassant d’avoir été si ronchon quelques minutes plus tôt.
La setlist, c’est un best-of sans temps mort: Amarillo, Morado, Azul, Loco Contigo, 6 AM, Ginza, X, I Like It… L’artiste enchaîne les tubes en duo avec le public. Autour de moi, ça ne chante pas toujours très juste, mais ça chante avec le cœur et les tripes.
Sur scène, il n’est jamais seul: le Colombien est entouré de danseurs déchaînés, sapés à mi-chemin entre le motard et le clip de Thriller, puis plus tard en mode rétro-argenté futuriste. A mi-parcours, il troque son total look rouge pour un pantalon et un marcel blanc. Sobre, mais stylé.
Chaque morceau est mis en scène avec soin, visuellement pensé pour offrir un moment distinct, presque comme une mini histoire dans le grand film de la soirée. Les décors sur les écrans évoluent constamment, jouant sur les ambiances chromatiques liées aux titres (Amarillo, Morado, Azul…).
Des écrans qui diffusent des visuels pop ultrasaturés, entre graffiti animé, animations pop et drapeau de la Colombie, créant une esthétique kitsch, acidulée, totalement assumée. Le tout est fluide, joyeux, calibré pour faire danser.
Et ça marche. Les rives du Léman vibrent sur du reggaeton comme une boîte de nuit de Medellín. J Balvin, lui, occupe chaque mètre carré de la scène, joue avec le public, se filme avec le téléphone qu’on lui tend au premier rang. Il ne se contente pas de performer: le Colombien partage. Et il sourit, tout le temps.
D’ailleurs, ce qui frappe, au-delà de la machine à tubes, c’est la sincérité de l’artiste. Il a l’air heureux. Vraiment heureux. Le genre de gars qui s’est manifestement levé le matin en se disant: «Ce soir, je vais kiffer et faire kiffer». Il s’adresse au public en espagnol, interpelle les Latinos sur cette place du marché de Montreux, s’amuse de l’image des Suisses soi-disant trop sages.
Et c’est vrai. Ça danse fort. Devant, derrière, sur les côtés. Il y a de la sueur, des bras en l’air, des refrains hurlés en espagnol, un samedi soir à Montreux. Et ça, ça n'est pas (encore) banal.
On aurait pu croire que le Montreux Jazz Festival, institution vieille de près de soixante ans, resterait frileux face aux tendances. Pourtant, depuis quelques années, il tend les bras et le micro aux sons urbains, aux musiques latines, au reggaeton. Avant J Balvin, d’autres artistes du genre, comme Maluma ou Anitta pour ne citer qu’eux, avait déjà mis le feu aux rives du Léman. Et ce samedi 5 juillet, le Colombien confirme que ce virage n’est pas une exception, mais une évolution assumée et bien jouée.
Voir un artiste reggaeton sur une scène aussi prestigieuse, c’est reconnaître que ce genre musical n’est plus cantonné aux soirées «caliente» des boîtes de nuit ni aux playlists estivales. C’est comprendre qu’il fait partie du paysage musical mondial. Et que ses artistes – quand ils sont aussi généreux et charismatiques que J Balvin – ont toute leur place dans un festival de cette envergure.
Alors oui, on a attendu. Mais ça valait chaque minute. Parce qu’une fois lancé, l'artiste n’a pas seulement donné un concert. Il a offert un moment de fête, de connexion, de communion. Et en longeant les quais sur le chemin du retour, on s’est dit qu’on en redemanderait bien, de ces soirées où le reggaeton vient tutoyer le blues et le jazz originels du festival.