Netflix explore cette Amérique qui sombre dans la violence
35 minutes, pas plus. Mais durant ce court-métrage réalisé par Joshua Seftel, ces dizaines de minutes portraiturent une Amérique empêtrée dans ses problèmes récurrents liés aux armes; ces fusillades qui se multiplient et tuent des enfants, des adolescents.
Après plus de sept ans de reportage, Steve Hartman, un journaliste qui se retrouve devant la caméra pour faire de la good news, pour «redonner foi en l'être humain», selon son propre aveu, ne se contente pas d'éponger les larmes des parents meurtris, mais bien de donner une voix. Rompu à la tâche, après ses multiples reportages sur ces tueries de masses dans les établissements scolaires américains, Hartman parcourt depuis 1997 le pays en compagnie de son partenaire, le photographe Lou Bopp.
Pourquoi maintenant? Le journaliste américain a cette sensation que «l'histoire se répétait», lâche-t-il, plein d'humilité. Il a vu les morts s'additionner, passant de 17 à 132 par année; il a vu une Amérique enlisée dans le gouffre de la folie meurtrière.
A partir de ce constat, Toutes les chambres vides est aussi furtif qu'une balle qui vous transperce le coeur. La bobine véhicule cette sensation profonde qui vous remue les entrailles lorsque des familles se succèdent devant l'objectif pour évoquer leur perte.
Elles s'appelaient Jackie, Gracie, Hallie, elles avaient entre 9 et 15 ans, elles pulsaient la vie et la naïveté. Mais le destin en a décidé autrement. L'animalité de l'homme s'est chargée de creuser les tombes de ces jeunes filles. Et plus largement, de centaine d'enfants innocents.
Les chambres sont restées comme figées dans le temps, les années et la poussière s'empilent; les peluches Bob l'éponge, les posters, les habits sont encore là, déposés, sans être déplacés. Les chambres sont un sanctuaire, une manière de garder ces êtres perdus encore vivants. «Chaque jour je lui dis bonjour et chaque soir je lui dis bonne nuit», avoue la mère de Gracie - la tireuse à larmes est activée.
On aperçoit également un grand frère, celui d'Hallie, qui s'effondre face caméra, au moment où il faut évoquer sa petite soeur - autre instant où les mouchoirs sont de sortie.
Mais c'est avant tout une (trop) courte exploration du deuil. Personnel avant tout, il est aussi collectif. On devine même les cinq étapes du deuil. C'est un pays qui ne sait que faire de ses morts et de ses infinis problèmes sociaux, coincé entre la colère et la dépression, qui n'arrive pas à gommer cette violence qui dégouline de toutes parts. Steve Hartman décide d'affronter une vérité: celle de réaliser que les Etats-Unis sont malades et que l'étape de l'acceptation est bien lointaine.
Investir ces chambres est un premier pas, mais le pays est aujourd'hui planté sur le pas de la porte. Aussi étonnant que cela puisse paraître, Toutes les chambres vides évoque un pays sans âme, déshumanisé par sa violence crasse, tout en capturant des familles qui ont, a contrario, gardé leur âme. Le geste est puissant, la critique sentie.
Hartman conclura son voyage au fond du cratère de la sauvagerie américaine par une phrase:
Ces mots sont choisis et couronnent un court-métrage qui a le mérite d'évoquer la douleur avec une retenue bienvenue. Ces 35 minutes soulignent la fracture d'un pays qui doit retrouver un semblant de calme pour ne pas perdre la raison et vider pléthore de chambres.
