On a goûté à cet infâme plat healthy américain qui fait jaser
106g de protéines, 60g de lipides, 48g de glucides et 2g de sucre, le tout, pour un total de 1020 calories dans la panse et 22 dollars en moins dans la poche (sans les tips). La nouvelle gamelle gargantuesque déployée par l’enseigne américaine Sweetgreen, il y a quelques jours, fait beaucoup de bruit. Sans doute parce qu’en la terminant (bonne chance), il y a de quoi se passer de protéines pour les dix années à venir.
Le petit nom de cette horreur? POWER MAX PROTEIN BOWL (en majuscule dans le titre, comme chez Donald Trump).
Lorsque l’on dit que les Etats-Unis sont capables du meilleur comme du pire, l’époque hygiéniste actuelle pousse le vice à devoir dealer avec un concept sournois: «le pire du meilleur». Car Sweetgreen, très bien installée dans cette tendance healthy qui fabrique des biceps instagrammables aux quatre coins du pays, largue une bombe majeure dans la guerre mondiale des protéines.
Ces acides aminés que l’on retrouve naturellement dans beaucoup d’aliments sont aujourd’hui plongés dans une surenchère qui peut faire de sérieux dégâts.
Alors que l’on retrouve désormais des protéines ajoutées dans le café ou les chocolats Kägi fret (si, si), la célèbre enseigne américaine fait au moins les choses proprement: pas de poudre magique dans ce POWER MAX PROTEIN BOWL. Mais ça ne l’empêche pas de participer activement à cette frénésie qui ferait bouffer 14 œufs à un adolescent en quête de pectoraux mieux galbés que ses notes à l’école.
Depuis une moitié de semaine, les réseaux sociaux s’étouffent, au propre comme au figuré, avec ce nouveau bowl de tous les excès. Il n’en fallait pas plus pour que watson, en mission américaine depuis un petit mois, se frotte à l’étouffe-chrétien du moment.
Et en poussant la porte du Sweetgreen de St. Petersburg, une agréable bourgade lovée sur la côte ouest de la Floride, un constat sans appel: l’imposant menu qui clignote au-dessus des employés mentionne le mot «protéines» une bonne vingtaine de fois.
En revanche, aucune trace de la star du moment. Quelque peu fébrile à l’idée d’avoir parcouru deux miles à pied sous le cagnard hivernal pour rien, on décide d’y aller franchement et de le commander, comme si de rien n’était, à la dame derrière le comptoir.
Sa réponse, aussi sèche qu’étonnée, nous donnera la sale impression de nous enquérir de la recette secrète du Coca-Cola ou des codes nucléaires américains.
«Internet», qu’on lui dit faussement assurés. «Oh, really? Already? Interesting». La voilà qui empoigne une auge recyclable et commence à empiler les ingrédients qui nous offriront d’agaçantes flatulences jusqu’au lendemain.
Il est l’heure de vous dévoiler tous les secrets de ce mystérieux POWER MAX PROTEIN BOWL.
Et vous allez être plutôt déçus, croyez-nous:
- 4 portions de poulet (sans antibiotique).
- 2 portions de quinoa aux herbes.
- 2 portions de brocoli épicé.
- 1 rasade de leur célèbre sauce Green Goddess Ranch, à base de yogourt, de jus de citron et d’herbes en tout genre.
Oui, c’est tout. Vous l’aurez compris, la mixture ne tient ses promesses en protéines qu’en fourrant l’équivalent (ressenti) de 122 poulets désossés dans une seule barquette pour coach de fitness en manque de sensations fortes.
Et voilà la bestiole:
Verdict?
Pour paraphraser Joey dans Friends, lorsque Rachel mélange les recettes d’un diplomate à l’anglaise et d’un hachis parmentier, on peut dire que la viande est bonne, le brocoli est bon, le quinoa est bon, la sauce est bonne. Le hic, c’est qu’au bout de trois fourchettes bien garnies, on a la cruelle impression que notre heure a sonné, là, comme des cons, sur la terrasse de ce Sweetgreen désert.
Aussi sec et monolithique que le jeu de batterie de Lars Ulrich dans Metallica, ce POWER MAX PROTEIN BOWL n’est définitivement pas né pour nous faire passer un bon moment. Vous ne serez donc pas surpris d’apprendre qu’après quelques photos et une série de rots discrets... nous ne finirons pas ce plat.
Notre collègue Marine Brunner, toujours prête à avaler ce que les autres délaissent, se chargera d’achever la victime protéinée pour la bonne cause, quelques heures plus tard, au bord de la piscine de l’hôtel:
Dans une critique qu’on dirait tirée d’une épreuve de Koh Lanta, un journaliste de GQ USA aura cette formule savoureuse, devant son bol à moitié terminé: «Si la nourriture est du carburant, mon réservoir est plein. Chaque bouchée est une épreuve, et j'ai du mal à avaler».
Bien sûr, un titan des salles de sport pourrait avoir besoin de plus de 106 protéines par jour pour nourrir ses grosses cuisses. Mais à ce jeu-là, mieux vaut siffler un shaker de champion qu’ingérer autant de chair animale d’un seul coup de fourchette.
Or, selon une nutritionniste américaine «horrifiée» par ce nouveau missile du géant de la salade, «les recherches suggèrent que les gens ne peuvent absorber que 30 à 40 grammes de protéines à la fois».
Le reste? Hop, évacué. Comme les 23 dollars qu’aura coûté l’expérience et toute espèce de sensation de faim pour les dix prochains jours.
