On a regardé la version porno de «Love Island» et on a été bluffé
La toxicité des émissions de rencontre dans la télé-réalité est avérée. Est-il possible de faire mieux? «Oui», affirme, de manière surprenante, une réalisatrice de films pornographiques. J'ai visionné la version X de l'émission Love Island (pour le boulot) – et le résultat m'a étonnée.
Dans Love Island, on complote, on pleure et on séduit, et on s'envoie même parfois en l'air sous l'objectif nocturne. Tout ça pour l'amour (et surtout la célébrité, bien sûr). Pour l'industrie du porno, il était évident que ce concept était une mine d'or.
C'est précisément ce que Paulita Pappel a fait. Avec House of Love & Lustery, elle a conçu une version pour adultes de ces formats d'émissions de rencontre. Sa proposition garantit également des plages paradisiaques, du soleil et des drames, mais y ajoute du sexe non censuré.
Une version pimentée
Dans cette émission pour adultes, qui entame actuellement sa deuxième saison, quatre (vrais!) couples passent cinq jours ensemble dans une villa à Majorque. Ils s'affrontent dans des défis sexys pour décrocher un ticket d'or pour l'orgie de groupe lors de la finale de la saison.
Évidemment, une invitée surprise - un élément perturbateur - rejoint l'aventure: Sativa.
La bande-annonce 👇
Ce rapprochement avec la télé-réalité est intentionnel. Le concept doit être perçu avec un œil satirique, comme le précise Paulita Pappel, fondatrice de Lustery:
Les couples de l'émission porno passent à l'acte, à la fois au sein de leur propre relation, et entre eux. L'émission est ponctuée de drames cocasses (tel le mystère d'un plug anal dérobé, saison 1), de jeux érotiques, le tout commenté par la voix off à la patience infinie, comme il se doit.
Humour, consentement et volupté
Ce qui est fou? Bien qu'on voie à l'écran énormément de nudité, de fluides et de gémissements, l'émission porno donne une véritable leçon de morale aux séries de dating classiques.
Ce tour de force est l'œuvre de Paulita Pappel, réputée pour son érotisme produit de manière consensuelle, féministe et juste. Critique des émissions de rencontres classiques, elle déplore que les productions de télé-réalité présentent «souvent des structures qui exploitent les personnes, au lieu de les sécuriser». Son credo:
Il faut reconnaître que l'industrie du porno grand public ne brille pas non plus par son exemplarité en matière de représentations diverses, égalitaires et consensuelles de la sexualité – bien au contraire. C'est pourquoi le pari de mélanger deux genres potentiellement problématiques dans House of Love & Lustery, pour en créer quelque chose de «génial», est d'autant plus ambitieux.
Paulita, en tant que modératrice dans la villa, donne le ton et montre l'exemple. On rit et on s'embrasse, on fait même parfois semblant de s'énerver, mais l'ambiance reste bienveillante. Tout le monde se trouve mutuellement sexy, et les limites sexuelles sont respectées. C'est à la fois drôle et très excitant.
Relations toxiques et bodyshaming
Regarder les participants et les situations toxiques de Love Island ou Temptation Island devient choquant, par contraste. Le gaslighting, le slutshaming et le bodyshaming sont les saveurs principales et indigestes de ces émissions. Les candidats attribuent des notes aux baisers, feignent des sentiments, puis s'insultent violemment lors de confrontations et de saynètes dramatiques amplifiées par le scénario.
Même si nous partons du principe que la télé-réalité n'est qu'une version exagérée de notre «réalité», cela reste extrêmement bouleversant.
Les études prouvent que plus nous voyons des idéaux de beauté – corps minces, musclés, lèvres remplies de fillers – plus nous les normalisons. Au risque d'alimenter les troubles alimentaires et les dysmorphies corporelles. Pourquoi cette accoutumance ne concernerait-elle que «l'extérieur», et pas les comportements?
On en est convaincu: regarder sans cesse des comportements humainement abjects normalise la stupidité, l'irresponsabilité et la méchanceté. Si cela se produit dans le contexte de l'amour et du sexe, c'est d'autant plus problématique, car c'est précisément là que nous devrions pouvoir faire confiance et être pris au sérieux. Au lieu de cela, des sentiments sont blessés, des limites sont ignorées et des schémas relationnels toxiques sont consolidés, tout ça à l'écran et diffusé à un grand public.
La toxicité ne doit pas être normalisée
C'est également ce que critique l'organisation d'aide aux femmes britannique «Woman's Aid», qui dénonce la misogynie dans Love Island (Royaume-Uni). Selon l'association, les candidats hommes ont tendance à abuser de la confiance de leur partenaire et ne respectent pas leurs limites, tout en se félicitant pour ces agissements inacceptables.
Si ces «comportements toxiques à l'écran» n'étaient pas sanctionnés, cela enverrait à la société le message que l'abus émotionnel par les hommes «fait simplement partie du dating, ou pire, que les femmes devraient s'y attendre, voire l'accepter.»
Il est incroyablement réconfortant de voir, dans la version porno, des hommes se caresser affectueusement, des couples s'assurer du consentement avant le sexe, et des femmes se complimenter au lieu de se dénigrer. Juste pour rappel: une vie amoureuse, même très sexualisée, peut aussi se dérouler dans la sérénité la plus complète.
Où en sommes-nous, si des acteurs pornographiques transmettent de meilleures manières et une vision de la sexualité plus conforme à l'éthique que le commun des mortels dans les télé-réalités trash?
«C'est une question d'intention», est convaincue Pappel. «On peut mettre en scène du drama sans exploiter les gens.» Ainsi, ses acteurs et actrices participent au script, et ont en partie la main sur leur rôle:
Regarder des narcissiques perdre leur dignité sous l'oeil des caméras procure une sorte de joie malveillante, mais cela met malheureusement en lumière ce qui lasse les célibataires d'aujourd'hui: le jugement sévère sur leur corps, la stratégie de «garder toutes les options ouvertes» et les comportements opportunistes et irrespectueux.
Pourquoi devrions-nous nous farcir volontairement un tel comportement abject pendant notre temps libre? Autant choisir un peu de «dirty talk», lors d'une paisible partouze collective sur une île paradisiaque.
