Le patron de Novartis, Vasant Narasimhan, a récemment lancé le débat sur les salaires outrageusement élevés des managers dans notre pays. Le rapport annuel publié en février par le groupe pharmaceutique bâlois a révélé une augmentation spectaculaire de plus de 90% pour le CEO. Le conseil d'administration a accordé à l'Américain un salaire de 16,2 millions de francs pour l'exercice écoulé, soit 7,7 millions de francs de plus que l'année précédente.
Mardi prochain, les actionnaires de Novartis pourront s'exprimer sur la politique salariale de leur entreprise lors de l'assemblée générale ordinaire. Vincent Kaufmann, directeur de la fondation d'investissement genevoise Ethos, devrait assez probablement être l'un des rares à rejeter le paquet salarial pour Vasant Narasimhan et les possibilités d'augmentations supplémentaires qu'il prévoit, le jugeant «excessif».
Selon le rapport de rémunération, le salaire de Vasant Narasimhan se situe dans le quart inférieur en comparaison avec des entreprises similaires en taille. Le conseil d'administration explique qu'il a eu des discussions avec les principaux actionnaires et représentants des droits de vote, et qu'il a également discuté des défis auxquels sont confrontées les entreprises européennes dans la course aux meilleurs talents, et qu'il estime donc nécessaire d'avoir une vision globale de la concurrence en matière de talents.
Mais ce que ce dernier entend par «vision globale» est en fait surtout la perspective américaine. Et aux Etats-Unis, les salaires des patrons, de toute façon toujours nettement plus élevés qu'en Europe, ont récemment à nouveau fortement augmenté.
Alors que le salaire médian des patrons des 30 plus grandes entreprises cotées en Suisse a augmenté d'environ 15% entre 2018 et 2022 pour atteindre 6,1 millions de francs, la valeur de référence européenne a augmenté d'un peu plus de 20%, selon les propres enquêtes de CH Media. Aux Etats-Unis, la valeur moyenne des salaires les plus élevés a augmenté de plus de 40%.
Aujourd'hui, l'inflation des salaires des managers américains semble entraîner l'Europe dans son sillage.
On ne voit tout simplement pas d'amélioration aux Etats-Unis, se plaint le représentant des droits de vote de nombreuses caisses de pension suisses. Il évoque la puissance internationale des véhicules d'investissement gérés passivement par des sociétés américaines comme Blackrock, Vanguard ou State Street, qui approuvent généralement les propositions des conseils d'administration.
Les signes avant-coureurs d'une nouvelle vague d'augmentations de salaire des CEO en Europe n'est pas propre à la Suisse. Le Royaume-Uni vit actuellement un débat sur les salaires des patrons, comme celui qu'avait déclenché ou du moins fortement alimenté il y a 20 ans Jean-Pierre Garnier, alors CEO du groupe pharmaceutique GSK, avec son parachute doré d'une valeur de 22 millions de livres. Jean-Pierre Garnier est entré dans l'histoire des rémunérations excessives des managers sous le nom de «Fat Cat».
L'ancien manager de Roche, Pascal Soriot, pourrait désormais suivre ses traces. Il a gagné près de 17 millions de livres en 2023 - 10% de plus que l'année précédente, 1000 fois plus que le salaire minimum britannique.
Adapté aux conditions suisses, cela correspond à un salaire de CEO d'environ 40 millions de francs. Et Pascal Soriot pourrait même monter jusqu'à 18,6 millions de livres en 2024 s'il atteint certains objectifs de performance.
Bien que Pascal Soriot ait acquis une grande reconnaissance au cours de ses dix années passées chez Astra Zeneca, il semble qu'il pourrait désormais franchir une ligne rouge en matière de rémunération. Selon The Guardian, le porte-parole du groupe de réflexion High Pay Centre, qui se concentre sur les questions d'inégalité économique, estime que la rémunération est injustifiable. Astra Zeneca justifie également la rémunération de son PDG par la concurrence mondiale pour attirer les meilleurs talents.
Parallèlement à l'annonce du paquet salarial de Pascal Soriot, la Bourse de Londres a rendu publique la proposition faite aux actionnaires d'augmenter le salaire du CEO David Schwimmer de 6,25 millions à 11 millions de livres. A la City de Londres, l'opinion se répand que les restrictions salariales limitent la compétitivité de la place financière. L'autorité britannique de surveillance des marchés financiers avait déjà supprimé le plafond des bonus des banquiers en octobre. Adena Friedman, la directrice de la bourse technologique américaine Nasdaq, avait gagné plus de 28 millions de dollars en 2022.
Mais Wall Street n'est pas seulement le point de référence mondial pour les salaires des managers. La bourse américaine évalue aussi souvent les entreprises à un niveau nettement plus élevé que les marchés européens par exemple. C'est notamment le cas pour les entreprises dont l'empreinte carbone est importante, ce qui dissuade de nombreux investisseurs du Vieux Continent d'investir.
Ainsi, le groupe cimentier Holcim estime que ses activités nord-américaines seront valorisées presque deux fois plus à la Bourse américaine qu'en Europe. En conséquence, il envisage de scinder ses activités américaines et de les introduire à la bourse américaine en tant que société indépendante.
Le groupe de matières premières Glencore voit lui aussi une forte demande aux Etats-Unis pour son activité charbon, qu'il souhaite séparer du reste de ses activités dans les deux années à venir et rendre également autonome via la bourse américaine. Qu'il s'agisse de la politique climatique ou des salaires des managers, la politique économique libérale confère manifestement au Nouveau Monde des avantages concurrentiels considérables par rapport à l'Europe.