Les «Mackies» sont redoutés. Partout où les conseillers de McKinsey apparaissent, la peur se répand parmi le personnel. Et ce n'est pas un hasard: le cabinet de conseil est réputé pour couper sans retenue dans les dépenses de personnel.
La réputation du cabinet, qui consiste à orienter radicalement les entreprises vers l'efficacité, a également précédé sa dernière grosse commande. Les conseillers suisses doivent remettre sur les rails la Migros en crise. Le distributeur a fait appel à McKinsey pour «la conception de nouvelles structures organisationnelles et l'élaboration de stratégies».
Dans le cadre de son programme d'économies, Migros veut supprimer 1500 emplois et se concentrer sur son activité principale. C'est pourquoi elle se sépare de l'entreprise industrielle Mibelle, du marché spécialisé Melectronics ou du voyagiste Hotelplan. Le type de vente sent «très fort le cabinet de conseil McKinsey», a déclaré un ancien cadre de Migros à ce journal.
Le fait que le patron de Migros, Mario Irminger, fasse appel à McKinsey montre à quel point le besoin de réforme du distributeur est massif. En effet, en tant que patron de Denner, Irminger avait déjà fait appel aux services de McKinsey il y a cinq ans – avant de mettre la firme à la porte. C'est ce que l'on entend de sources bien informées. A l'époque, McKinsey avait suggéré à Denner des mesures d'économie drastiques en matière de personnel afin de réduire les coûts. Les propositions étaient alors allées trop loin pour le patron du géant orange.
Cet épisode est désormais oublié. Dans le cadre de la transformation historique de Migros, McKinsey est à nouveau en première ligne. Et ça soulève la question de savoir comment fonctionnent les conseillers et ce qui se cache derrière le modèle commercial. Car les programmes d'économie ne sont souvent que la partie du travail des consultants qui fait le plus de vagues dans l'opinion publique.
On élabore pour les clients des «bases de décision basées sur des faits», explique Michael Steinmann, chef de l'activité suisse de McKinsey, dans un entretien avec le journal Schweiz am Wochenende. Cela comprend par exemple une réorientation stratégique. Par principe, McKinsey ne s'exprime pas sur des relations d'affaires concrètes. Par ailleurs, McKinsey examine également les processus de production ou traite les questions de numérisation.
Elaborer un programme d'économies pour une entreprise n'est qu'une petite partie de ce que l'on propose.
Steinmann souligne que l'on présente à chaque fois «des plans et des stratégies basés sur sa propre expertise et ses analyses». C'est finalement le client qui doit décider. Il répond ainsi au reproche souvent adressé à McKinsey et à ses concurrents comme Boston Consulting Group ou Bain. Selon ce dernier, les chefs d'entreprise font volontiers appel aux conseillers pour légitimer des décisions stratégiques impopulaires et se tirer d'affaire. Selon la devise:
En effet, la cabinet collabore souvent à la mise en œuvre pratique de ses propres propositions. D'une manière générale, le fait que même les grands groupes ne disposent généralement pas de ressources suffisantes pour mener à bien des restructurations complexes aide le géant du conseil. Les conseillers gagnent leur argent de deux manières. Soit ils élaborent une stratégie pour des honoraires fixes. Soit ils remplissent la caisse avec une participation aux résultats.
Ainsi, McKinsey réalise un chiffre d'affaires de 15 milliards de francs suisses avec ses quelque 45 000 collaborateurs dans le monde dont plus de 500 personnes en Suisse.
Mais ces derniers temps, les taux de croissance se sont affaiblis. Certes, les bouleversements et les changements font partie du cœur de métier du conseil en entreprise. Et McKinsey a déjà connu une forte croissance, selon ses propres indications. Mais la pandémie et ses conséquences ainsi que les crises géopolitiques ont été un peu trop bouleversantes, certaines entreprises ont réduit leurs dépenses pour le conseil externe.
Mais l'économie suisse est heureusement résiliente et les affaires se portent donc bien dans notre pays, explique Steinmann.
On entend néanmoins en interne que l'un ou l'autre conseiller se demande combien de temps la Suisse restera encore une île de bienheureux.
Les employés du cabinet sont de toute façon habitués à supporter l'incertitude. L'entreprise est toujours en mouvement. La devise est «up or out»: soit on gravit les échelons de la pyramide jusqu'au statut de partenaire, soit on part, volontairement ou non. Car même après avoir passé la période d'essai, un jeune conseiller n'est jamais en sécurité.
Une fois par an, les chefs vérifient si la jeune recrue remplit les objectifs fixés en matière de compétence de résolution de problèmes, de capacité de communication ou de travail en équipe. Celui qui n'en fait pas assez est renvoyé. Mais il y a tout de même une compensation pour les semaines de 60 heures et le travail de nuit: un salaire de départ confortable de 10 000 francs par mois.
Ces conditions de travail exigeantes ne découragent pas la jeune génération. Même la génération Z, soi-disant peu résistante, postule assidûment chez McKinsey, malgré un processus d'évaluation très dur. Pour y travailler, il faut d'abord passer un jeu en ligne qui teste les «capacités de résolution de problèmes». Suivent ensuite quatre entretiens d'une heure chacun.
«Une partie de la génération Z est également prête à faire plus que la moyenne», explique Michael Steinmann. On recrute continuellement un grand nombre de «top talents». La qualité des candidatures n'a pas diminué et on prête attention à la personnalité et aux traits de caractère.
Dans le monde entier, McKinsey reçoit plus d'un million de candidatures par an. Environ 10 000 d'entre eux obtiennent un emploi, soit 1%. Il paraît qu'en Suisse, on est encore plus sélectif.
Le fait que seuls quelques-uns de ces conseillers parviennent à atteindre le sommet semble à première vue inefficace. Après tout, l'entreprise a déployé des efforts considérables pour recruter ces personnes très bien formées. Pourquoi l'entreprise en laisse-t-elle partir autant?
C'est là qu'intervient une autre particularité de l'univers McKinsey: l'entreprise tisse ainsi un réseau très étendu. La sélection interne sévère conduit - volontairement ou involontairement - à ce que des ex-McKinsey passent à la politique et à l'économie et y occupent des postes importants. Là, ils ne se contentent pas de redistribuer des missions à leur ancien employeur. La plupart du temps, ils restent étroitement liés à McKinsey.
Il y a des années, le quotidien allemand FAZ a qualifié ce réseau de «club du pouvoir». Deux journalistes d'investigation du New York Times l'ont récemment résumé de manière encore moins flatteuse dans le Livre noir McKinsey. Ils reprochent à l'entreprise de placer les profits au-dessus de la morale.
Pour cela, ils analysent le rôle de McKinsey dans différents scandales économiques, de la faillite d'Enron à la crise des opioïdes aux Etats-Unis. En Suisse, le rôle des gens de McKinsey dans la débâcle de Swissair est particulièrement resté dans les mémoires, un rapport d'enquête ayant par la suite disculpé les conseillers. De manière générale, la population n'est guère consciente de l'influence considérable de McKinsey sur sa vie quotidienne, des coûts de la santé à la garde des enfants, concluent les deux auteurs du livre.
Ce ne sont pas tant ces révélations qui nuisent au modèle commercial de McKinsey. C'est plutôt le changement qu'elle aime imposer à ses clients qui pose problème à l'entreprise. L'année dernière, le numéro un des cabinets de conseil a annoncé un exercice d'économie sensible. 1400 employés, principalement dans le back-office, ont dû partir.
Parallèlement, la direction américaine a expliqué qu'elle voulait être «plus légère». Après des années de forte croissance, les fonctions sans contact avec les clients ne seraient plus positionnées de manière optimale. McKinsey a donc corrigé le tir et revu ses prestations en profondeur pour la première fois depuis plus de dix ans.
A l'avenir, on veut être «mobile, simple et sûr». Ce sont des phrases de ce genre qui tirent la sonnette d'alarme au sein du personnel des clients de McKinsey. Cette fois-ci, ce sont les «Mackies» eux-mêmes qui font les frais de leur propre médecine. Une fois de plus, c'est pour eux: «up or out».
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)