Le village de Pavlivka, dans le sud-est de l'Ukraine, a été récemment le centre de violents combats. Lors des attaques russes contre ce village, l'armée de Poutine aurait perdu 300 soldats en quatre jours. Si ce n'est pas la première bataille de cette guerre qui se solde par de lourdes pertes du côté russe, même le Kremlin ne peut pas ignorer ces événements et le coût humain élevé.
Une lettre de plainte a été envoyée par la 155ème brigade d'infanterie de marine, qui y a combattu. Elle est destinée au gouverneur du Primorié, à l'est de la Russie, Oleg Kojemiako. Désormais rendue publique, elle met le commandement russe sous une pression croissante.
Impossible de ne pas déceler la pointe de sarcasme dans la lettre de l'unité. Des images viennent confirmer l'intensité des combats, comme celles prises par un drone ukrainien, qui montre comment deux chars russes ont pris feu à Pavlivka:
Pavlivka, Donetsk region, the RF Armed Forces tried to advance into the settlement, but were ambushed pic.twitter.com/0fCDhAZ5uG— ТРУХА⚡️English (@TpyxaNews) November 7, 2022
Les auteurs de la lettre lancent de graves accusations contre leurs commandants, les généraux Mouradov et Akhmetov, ainsi que contre le chef de l'état-major russe, Valeri Guerassimov, un proche de Poutine.
Pour dissimuler leur échec, Mouradov et Akhmetov auraient falsifié les chiffres des victimes et les rapports militaires, affirme-t-on.
Le gouverneur Kojemiako a réagi aux accusations sur sa chaîne Telegram en minimisant l'affaire. S'il concède les pertes à Pavlivka, celles seraient loin d'être aussi importantes qu'annoncées, écrit-il lundi matin.
Mais le démenti de Kojemiako n'a visiblement pas suffi au Kremlin. Lundi après-midi, le ministère russe de la défense publie en effet sa propre déclaration.
Les troupes russes auraient progressé de cinq kilomètres derrière les lignes ukrainiennes:
Or les mensonges impuissants du commandement russe ne font pas disparaître pas le problème de Pavlivka.
Dans son dernier rapport de situation sur la guerre en Ukraine, le groupe de réflexion américain Institute for the Study of War (ISW) se montre critique sur cette situation:
«Depuis le début de la mobilisation fin septembre, l'ISW observe de plus en plus souvent que les mères et les femmes de militaires se plaignent envers l'armée, les autorités locales ou envers les blogueurs de guerre connus», poursuit le rapport.
En effet, les réseaux sociaux ont récemment multiplié les rapports faisant état de conditions catastrophiques au sein des troupes d'invasion russes. Les soldats mobilisés sont souvent envoyés comme «chair à canon» contre les positions ukrainiennes, sans préparation, sans équipement et sans armes appropriés.
Des vidéos documentent non seulement à quel point la formation fournie auprès des conscrits est un désastre, mais aussi la résistance de simples soldats russes contre leurs commandants.
Ces rapports coïncident avec les informations ukrainiennes selon lesquelles les troupes de Kiev font des centaines de tués parmi les soldats russes tous les jours, souvent manifestement lors d'attaques vaines sur des positions bien fortifiées, comme à Pavlivka.
Le mécontentement croissant face à la conduite de la guerre par l'armée russe alimente désormais également la lutte pour le pouvoir au sein des élites russes.
Le fait que la lettre de la 155ème brigade d'infanterie de marine au gouverneur Kojemiako n'ait été rendue publique que via une chaîne Telegram, «Grey Zone», est révélateur. On présume que «Grey Zone» est géré par des membres de la société de mercenaires «Wagner».
Leur chef, Evgueni Prigojine, ne cesse depuis des semaines d'accabler le commandement militaire russe de critiques acerbes, souvent à l'unisson avec le leader tchétchène Ramzan Kadyrov, qui dispose également d'une armée privée avec ses «Kadyrovites».
Début octobre, Prigojine et Kadyrov ont profité de la défaite russe à Lyman pour lancer une campagne médiatique contre le commandant en chef des armées russes en Ukraine, le général Alexandre Lapine, dont ils demandaient le licenciement.
Peu après, le Kremlin a renvoyé Lapine et l'a remplacé par le «général Armageddon» Sergueï Sourovikine, qui avait «gagné» son surnom de criminel de guerre en Syrie et était considéré comme le candidat favori de Prigojine et Kadyrov.
Selon l'ISW, Prigojine et Kadyrov veulent avant tout affaiblir par leurs attaques le ministre de la Défense Sergueï Choïgou et le chef d'état-major Guerassimov, deux proches de Vladimir Poutine. Tous deux disposent d'une des trois valises nucléaires russes.
De nombreux blogueurs de guerre russes, qui critiquent ouvertement le commandement militaire sur leurs chaînes Telegram, les tiennent pour responsables de la débâcle de la guerre en Ukraine.
En se plaçant à la tête de ces critiques, Prigojine et Kadyrov peuvent se mettre en scène comme des adversaires déterminés du commandement militaire sans pour autant s'opposer au chef du Kremlin: celui-ci l'accepte parce qu'il dépend de leurs combattants en Ukraine, écrit l'ISW.
Prigojine a longtemps été considéré comme un proche de Poutine. Les commandes du Kremlin auprès de sa société de restauration lui ont valu le surnom de «cuisinier de Poutine».
Aujourd'hui, cet homme de 61 ans se positionne peut-être pour des tâches plus importantes:
«Même si Prigojine rejette de telles ambitions, les questions à ce sujet montrent qu'il a créé une image publique de lui-même comme "chef en devenir"», note l'Institute for the Study of War.
Traduit et adapté de l'allemand par Anne Castella