Musk compare l'UE aux nazis et ça arrange Poutine
L'amende de 120 millions d'euros infligée par l'Union européenne à la plateforme en ligne X d'Elon Musk et la publication de la nouvelle stratégie américaine en matière de sécurité ont eu l'effet d'un véritable cocktail Molotov. Et il a explosé le week-end dernier.
Tout a basculé en 48 heures. Elon Musk a comparé l'Union européenne à l'Allemagne nazie et a reçu un large soutien officiel de Washington. Dans le même temps, les sbires de Poutine à Moscou s'alliaient aux opposants américains à l'UE.
L'alliance transatlantique est-elle définitivement rompue? Et que penser des accusations de censure qui frappent l'Europe? Tour d'horizon des principales questions sur le sujet.
Comment l'UE réagit-elle à l'attaque?
Avec retenue. Ni le chancelier allemand, Friedrich Merz ni le président français, Emmanuel Macron ne se sont exprimés directement. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, dont l'institution est au cœur de la tempête, n'a pas non plus réagi.
C'est peut-être la haute représentante de l'UE pour les affaires étrangères, Kaja Kallas qui a le mieux résumé la situation:
Et d'ajouter que les Etats-Unis et l'Europe resteraient toutefois alliés, chacun s'occupant de ses affaires intérieures. Le message est clair: si l'Otan venait à voler en éclats, ce ne serait pas la faute des Européens.
De son côté, Donald Trump a notamment fait référence à la politique migratoire de l'UE devant des journalistes à la Maison-Blanche:
Pourquoi le Kremlin se frotte les mains?
En Europe, les opposants à l'UE ne sont pas les seuls à avoir saisi la balle au bond lancée par Musk. A Moscou, Kirill Dmitriev, l'émissaire de Poutine dans les négociations avec les Américains sur l'Ukraine, a abondé dans le même sens.
Il est même allé jusqu'à qualifier l'Europe «d'ennemie de la liberté d'expression», relayant une publication de Musk sur les «commissaires Stasi» qu'il a assortie d'un commentaire bien senti.
Cela est d'autant plus grotesque que les réseaux sociaux occidentaux comme X, Facebook et Instagram sont tous bloqués en Russie. En matière de liberté d'expression, le pays se classe 171e sur 180 pays dans le monde.
Mais derrière ces applaudissements russes se cache un calcul évident: tout ce qui contribue à affaiblir l'unité de l'Europe est bon à prendre. Les Etats-nations individuels sont plus faciles à manipuler qu'une union continentale. Voilà aussi pourquoi le Kremlin continue de soutenir les partis anti-européens en Europe.
L'enjeu de la liberté d'expression
Y a-t-il un problème avec la liberté d'expression? Cela dépend où. Les Etats européens occupent globalement la tête de tous les classements en matière de liberté d'expression, d'opinion et de presse. Les frasques de Musk lui-même démontrent une absence de censure: il peut publier une comparaison entre l'UE et Hitler sans que personne ne l'en empêche.
Les seules restrictions qui soient s'appliquent aux contenus illégaux: appels à la violence, propos passibles de poursuites judiciaires ou des violations des droits d'auteur. Il incombe ensuite aux Etats de chacun mettre cela concrètement en œuvre.
Le Royaume-Uni, particulièrement dans le viseur de Musk à cause d'une réglementation contre les discours haineux, n'est, par ailleurs, même plus un membre de l'UE.
Quel est le véritable enjeu de la bisbille avec X?
Ce n'est pas un problème de contenu, mais de transparence. L'Union européenne décrie le système des coches bleues du réseau social, censées attester de la fiabilité des comptes. De plus, les «bots» contrarient Bruxelles. Il s'agit de comptes robotisés qui produisent automatiquement du contenu et peuvent propager de la désinformation.
Une autre enquête est en cours, qui vise l'algorithme de X. Celui-ci donnerait la priorité à certains comptes et contributions, ce qui interroge en matière de transparence.
Par ailleurs, on peut aussi se demander ce qu'il en est du différend entre l'UE et les géants technologiques américains concernant leur position quasi monopolistique. C'est là qu'interviennent les règles numériques basées sur le droit des cartels.
Les Etats-Unis ont-ils raison?
Oui, mais pas à la manière de Musk et ses acolytes l'entendent, avec leurs critiques virulentes. Le «déficit démocratique» fait l'objet d'un débat académique depuis des décennies.
En bref, l'UE souffre d'un excédent de pouvoir exécutif. Les Etats membres ont trop de pouvoir, et non pas trop peu, comme on le prétend souvent. Car le Parlement européen, élu pour représenter le peuple, ne peut pas proposer de lois. A l'inverse, les gouvernements nationaux en élaborent à Bruxelles en tant que partie intégrante du législatif. La séparation des pouvoirs s'est évanouie.
L'argument du déficit démocratique n'est toutefois valable que si l'on considère l'Union européenne comme une confédération d'Etats. Or, comme chacun sait, elle en reste encore loin.
Bonus: la présidente de la Commission européenne et ses commissaires sont souvent décrits comme des «bureaucrates non élus». En réalité, ils sont nommés par des gouvernements démocratiquement légitimes et confirmés par le Parlement européen lors d'une élection.
Ce conflit profite-t-il à la Suisse?
Alors qu'elle n'est pas membre de l'UE, la Suisse se retrouve toujours plus sous pression. C'est ce que montrent les négociations sur les accords bilatéraux III et le rattachement institutionnel à l'UE.
Mais notre pays n'aurait pas d'intérêt à assister à un effondrement de l'Union. Au contraire, les conséquences économiques seraient graves. Sans parler de ce que la fin de l'ordre européen signifierait pour la sécurité du continent.
(Traduit de l'allemand par Valentine Zenker)
