Trump se brûle avec son propre brasier
Mercredi, quelques minutes avant de décapsuler son célèbre late-show, Jimmy Kimmel a été privé d’antenne. La star, meilleur ennemi de Donald Trump, a été écartée pour «une période indéterminée» par ses patrons de ABC et les propriétaires de la chaîne, The Walt Disney Company.
Une véritable détonation dans le paysage audiovisuel américain. En cause, un commentaire politique, en direct, sur le mouvement MAGA, «qui s'efforce désespérément de présenter ce jeune qui a assassiné Charlie Kirk comme quelqu'un d'autre qu'un des leurs et qui fait tout son possible pour en tirer un avantage politique».
Selon le magazine Rolling Stone, qui citait jeudi matin deux sources bien placées au sommet des tensions, les huiles de la chaîne semblaient moins échaudées par l’opinion de Jimmy Kimmel qu’effrayées par les répercutions financières d’un pouvoir américain en colère. Une menace de Brendan Carr, patron de la Commission fédérale des communications (FCC), a précédé de peu la décision d’ABC de mettre l’humoriste en sourdine.
A demi-mot, ce proche de Donald Trump a ainsi «suggéré que les radiodiffuseurs pourraient être condamnés à des amendes ou perdre leur licence», comme l’a expliqué l’agence Reuters.
Y a-t-il eu d’autres pressions en coulisses? Brendan Carr ou Donald Trump, alors en Angleterre et en smoking avec Charles III, ont-ils posé un ultimatum aux dirigeants de la chaîne ABC? Toujours est-il que le président des Etats-Unis s’est goulûment réjoui de l’éviction d’un blaguiste «SANS TALENT».
De nombreux apôtres du mouvement MAGA, pourtant chantres d’une liberté d’expression débridée, en ont fait de même, ravis de l’éviction de l’une des personnalités du petit écran les plus critiques envers leur gourou.
L’hôpital qui se fout de la charité? C’est aussi ce que pensent d’autres élites conservatrices, agacées de voir l’entourage de Donald Trump se défouler sur un premier amendement qu’ils défendent depuis toujours. Ce fut notamment le cas lorsque Pam Bondi, procureure générale des Etats-Unis, a annoncé vouloir attraper et punir tous ceux qui critiqueraient Charlie Kirk, assassiné mercredi dernier en plein meeting.
Trump s’est-il simplement offert une revanche sans grand effort contre Jimmy Kimmel ou est-ce le début d’une sérieuse mainmise autoritaire sur des médias mainstream, qu’il a toujours détesté, à l’instar de Viktor Orbán en Hongrie? Sur CNN, jeudi, un professeur et ancien membre du parlement hongrois a d’ailleurs tenu à faire le parallèle avec «les actions de l'administration Trump, combinées à la capitulation d'ABC».
En jetant un œil furtif dans le rétroviseur, on pourrait penser que le milliardaire de Mar-a-Lago serait plus volontiers disposé à éliminer le métier de journaliste qu’à le maîtriser. Une perspective qui effraie donc logiquement les empires médiatiques, puisque Trump n’est plus un candidat allergique aux médias, mais l’homme le plus puissant de la planète, capable d’ingérence.
Selon les sources du magazine Rolling Stone, la décision de couper la chique à Jimmy Kimmel, avec celles d’arrêter l’émission de Stephen Colbert sur CBS ou de licencier des éditorialistes de presse écrite critiques envers les idées de Charlie Kirk, sont avant tout financières.
En d’autres termes, ne pas froisser le patron, quitte à censurer à tour de bras, histoire de ne pas se retrouver comme le New York Times, traîné en justice avec 15 milliards de dollars sur le dos.
Au-delà d’une menace majeure pour l’exercice démocratique (lorsque ce type de pressions provient d’en haut), l’envie de bâillonner celui qui ne nous plait pas est plus largement à la mode. Pour une raison simple: alors que l’opinion nourrit les poches des médias, ses conséquences attisent le clivage politique au sein de la population,
Et les téléspectateurs dans tout ça?
T’en as pensé quoi?»
Cette palabre de machine à café n’existe pour ainsi dire plus. Le téléspectateur qui regardait «la télévision» a lui-même disparu. Aujourd’hui, chacun se branche sur sa chaîne, son émission, sa vedette préférées, pour en boire cul sec des opinions qu’il partage, sur des faits d’actualité dépouillés de leurs valeurs.
Une valeur intrinsèque, doublée d’une réalité financière: en 2025, diffuser une information rapporte beaucoup moins de pépètes aux patrons de médias que de la commenter. Et les chaînes l’ont bien compris, puisqu’elles préfèrent les éditorialistes aux avis bien tranchés, aux enquêtes qui coûtent chers.
Autrement dit, celui qui se réveille avec France Inter ne se couche jamais avec CNews et la groupie de Cyril Hanouna ne tape plus la discute avec celle de Yann Barthès. A ce petit jeu, aussi rentable qu’explosif, force est de constater que les chaînes conservatrices s’en sortent actuellement mieux que leurs adversaires. CNews et Fox News confortent leur audience avec une ligne très à droite, alors que CNN ou MSNBC, privilégiées par les électeurs démocrates, perdent des plumes, selon les derniers pointages.
Or, si tout le monde semblait pouvoir se contenter, il y a encore quelque temps, de lamper ses propres opinions en ignorant doucement l’abreuvoir d’à côté, la paroi politique ne semble plus suffisamment hermétique pour qu’il soit possible de tolérer le tapage du voisin.
De chaque côté du spectre politique, une fois devant le poste, on évite la dispute et on espère (réclame?) le bâillon. Souvent avec un même objectif dans le baluchon: en finir avec le «hate speech». En 2024, plusieurs élus de gauche s’étaient par exemple réjouis publiquement de la fin de C8 et, avec elle, de Cyril Hanouna.
Bien sûr, ABC et Jimmy Kimmel n’ont pas collectionné les amendes du gendarme de l’audiovisuel, pour de multiples dérapages à l’antenne, comme C8. D’autant que, comme le disait Charlie Kirk avant de mourir, «les discours haineux n’existent pas légalement en Amérique». Contrairement à la Suisse, «qui possède par exemple un cadre pénal pour encadrer ce genre de discours», rappelait Le Temps jeudi matin.
Si Emmanuel Macron irrite la gauche française à chaque fois qu’il décide de s’exprimer dans un média conservateur, avec Donald Trump, mais aussi face aux résultats de l’élection de novembre 2024, les médias mainstream américains sont projetés face à un choix titanesque: résister ou capituler. Une bataille qui pourrait s’avérer difficile, avec des finances et des audiences fragiles et face à un président qui s’assied manifestement sur le premier amendement pour défier ses adversaires.
Ironie du calendrier, dans la quatrième saison de la série The Morning Show, sortie mercredi, la nouvelle patronne de la chaîne UBN balance une réplique à sa présentatrice phare, Jennifer Aniston, qui pourrait s’avérer prophétique: