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Le système Poutine est devenu défaillant

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Le système Poutine est devenu défaillant

La chute du chef de Wagner Evgueni Prigojine montre l'érosion d'un système présenté comme stable en Russie. Vladimir Poutine a décidé d'intervenir avec fermeté.
28.08.2023, 18:4928.08.2023, 18:49
Le système Poutine est devenu défaillant depuis l'avènement de Prigojine.
L'avènement de Prigojine ébranle le fonctionnement du pouvoir russe.Image: keystone/watson
Inna Hartwich, moscou / ch media
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Vladimir Poutine soupire, s'éclaircit la gorge puis parle d'un «homme talentueux» qu'il a connu depuis les années 1990. De quelqu'un qui a eu un «destin difficile» et qui a commis de «graves erreurs», mais qui a toujours été «orienté vers les solutions» et qui a apporté une «contribution essentielle à notre cause».

Notre portrait d'Evgueni Prigojine 👇

Il s'agit d'une oraison funèbre pour celui qui n'est devenu ce qu'il était que grâce au soutien du maître du Kremlin. Un homme qui s'est finalement retourné contre Poutine, et qui y a laissé sa vie. Des condoléances maladroites, mais totalement justifiées pour Evgueni Prigojine, que Poutine avait qualifié de traître après sa mutinerie. Et tout le monde sait ce que Poutine prévoit pour les traîtres: la mort.

epa10817923 A picture of PMC Wagner chief Yevgeny Prigozhin is seen at an informal memorial in downtown of Rostov-on Don, Russia, 24 August 2023. An investigation was launched into the crash of an air ...
Une photo du chef de Wagner, Evgueni Prigojine, lors d'une commémoration informelle dans le centre-ville de Rostov-sur-le-Don, en Russie, le 24 août 2023.Image: EPA

Maintenant que Prigojine est tombé et avec lui toute l'équipe dirigeante de son groupe Wagner dans son jet privé non loin de la résidence d'été de Poutine, le président se repose dans sa chambre aux boiseries et joue les innocents. La «tragédie», dit-il, sera «entièrement élucidée». Si «entièrement» que personne dans le public ne devrait connaître la vérité concernant l'«incident». C'est ainsi que Poutine qualifie le crash d'avion.

Aucune manifestation de tristesse. Même la télévision d'Etat russe parle soudain de la mort présumée de Prigojine, de manière tout aussi voilée que Poutine. C'est plutôt le crash en lui-même qui est au premier plan, et non le chef mercenaire qui a conquis des localités en Ukraine au prix du sang, qui a été honoré par Poutine lui-même comme un «héros de la Russie» et qui a osé marcher sur Moscou avec ses chars et des milliers de soldats.

Des attaques presque quotidiennes à Moscou

Les paroles pleines d'assurance de Poutine donnent quasiment l'ordre à ses propagandistes de ne pas maudire Prigojine. Et le programme se poursuit. Continuer la vie quotidienne dans laquelle beaucoup se taisent et s'adaptent.

Des drones tombent désormais presque quotidiennement sur la ville de Moscou. Les aéroports moscovites sont fermés presque toutes les nuits. Les administrations remplacent les fenêtres brisées comme si de rien n’était. Jusqu'au prochain drone. «Que pouvons-nous faire?», demandent les gens. L'élite se comporte elle aussi comme une souris grise, effrayée, qui n'est pas prête à émettre le moindre bruit.

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Au sein de l'élite économique russe et dans l'entourage de l'administration présidentielle, certains parlent bien de mécontentement, mais seulement en cachette. Personne n'ose critiquer les dirigeants, et encore moins s'opposer à la guerre.

La chute de Prigojine leur montre encore plus brutalement qu'il est inutile de résister. Le crash est d'une part considéré comme «un accident qui arrive», et d'autre part comme l'exécution publique d'une personne indésirable. Comme un rappel à l'ensemble de l'élite russe de ne pas s'opposer au président et de ne surtout pas remettre en question la guerre en Ukraine et la manière dont elle est menée.

La punition au vu et au su de tous, mise en scène de manière quasiment théâtrale, est destinée à faire peur à l'élite. Chez ceux qui vivent déjà dans la crainte de perdre leurs prérogatives et d'être mis à l'écart, par un exil à l'étranger ou une procédure judiciaire pour je ne sais quoi, elle vise à les inciter encore plus à se tenir tranquilles et loyaux. Mais pour combien de temps?

Un système politique défaillant

Un système qui se targue d'être stable est en train de se dégrader. Et pas seulement depuis la chute de Prigojine. Il est politiquement malsain. Non pas parce qu'il n'est pas démocratique et libéral, même les plus grands partisans de la «verticale du pouvoir» de Poutine l'ont compris depuis longtemps. Simplement parce que même les dirigeants autoritaires devraient avoir à cœur de se protéger.

En fin de compte, ce système fonctionne en respectant les lois du pays qu'ils ont eux-mêmes créées. Les lois russes interdisent les armées privées, tout comme il est interdit de libérer des bagnards sans les gracier. Prigojine disposait d'une puissante armée privée (il existe également de nombreuses autres armées privées en Russie), pour laquelle il a fait recruter des dizaines de milliers de personnes dans les colonies pénitentiaires du pays.

Etant donné que la direction générale elle-même ne respecte pas les lois, qu'elle agit dans une zone de non-droit, qu'elle répand la terreur, d'autres acteurs se permettent d'agir de la même manière et de défier la direction. C'est ce qu'avait tenté de faire Prigojine avec sa mutinerie. Elle a échoué et a révélé aux yeux de tous les méthodes de gestion de l'Etat: les règlements de comptes.

Poutine se vante toujours d'avoir mis fin à de telles pratiques qui paralysaient le pays dans les années 1990. Il doit désormais y recourir lui-même, car il ne peut maintenir son pouvoir que par la violence. Une pratique qui prend de plus en plus d'ampleur. Il a effectivement le pouvoir de faire procéder à une exécution publique et de prétendre ensuite que tout cela n'a rien à voir avec lui. Ce n'est pourtant pas un signe de force.

Plus personne n'a confiance en Poutine

Poutine mise de plus en plus sur la dissuasion, puisque la confiance en sa force politique a finalement disparu, même dans son entourage. La politologue russe Ekaterina Schulmann, qui vit en exil en Allemagne depuis la guerre, qualifie de «règlements de comptes sous stéroïdes» les procédés de plus en plus brutaux utilisés pour se maintenir au pouvoir. Il ne suffit plus de mettre son adversaire derrière les barreaux, il faut recourir à des méthodes de punition plus démonstratives.

Et cela ne touche plus «seulement» les critiques apparentes. Ce ne sont pas les journalistes indépendants, qui sont humiliés, battus, tués, ni les hommes politiques de l'opposition qui sont diffamés, empoisonnés, abattus. Elle frappe également ceux à qui le régime était hier encore extrêmement reconnaissant d'avoir fait le sale boulot. Prigojine était une créature du système Poutine, ce n'était pas un opposant. Sa mort et la manière dont elle a été gérée permettent à l'élite de continuer à effectuer des calculs. Le statu quo lui suffit-il encore ou faut-il changer quelque chose?

L'élite russe est ancienne, elle s'est formée depuis les années 1990 et a continué à se multiplier depuis l'arrivée de Poutine au pouvoir. C'est du moins le cas pour les représentants qui ont voulu et veulent encore jouer le jeu de Poutine. Ce groupe ne s'est guère renouvelé. Il s'agit pour eux de conserver leurs privilèges, il s'agit aussi de les transmettre à leurs enfants.

Ils se contentent encore de ce que le système Poutine leur offre. Mais que se passera-t-il s'il existe quelqu'un qui est prêt à aller encore plus loin que Prigojine et si le projet d'y gagner quelque chose se concrétise aux yeux de certains? De telles perspectives ne sont bien sûr que des spéculations, mais elles rendent le système encore plus instable. Et Poutine fait face à l'instabilité par la répression, il n'a plus d'autres moyens d'être sûr de son pouvoir.

Traduit et adapté par Nicolas Varin

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Faces of war pour le New York Times.
source: alexander chekmenev
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