Donald Trump reste convaincu qu'il est la seule et unique personne qui puisse instaurer la paix entre la Russie et l'Ukraine. «Regardez, il ne se passera rien tant que Poutine et moi ne nous rencontrerons pas en personne», a-t-il déclaré en marge de son voyage dans le Golfe persique en mai. En tant qu'homme d'affaires, le président américain est également convaincu que cette paix ne lui vaudrait pas seulement un prix Nobel, mais qu'elle créerait également des affaires lucratives pour son pays et l'Occident.
Ou peut-être que non? Deux articles parus récemment dans le magazine Foreign Affairs montrent pourquoi la réconciliation de l'Occident avec la Russie est une illusion. Le premier est signé par Andreï Yakovlev, Vladimir Dubrovskiy et Youri Danilov, trois experts reconnus de la Russie. Le second article a été écrit par Alexander Gabuev, le directeur du Carnegie Russia Eurasia Center à Berlin.
Les quatre auteurs s'accordent à dire que la guerre a fondamentalement changé la Russie, «bien plus que le gens ne peuvent le comprendre depuis l'extérieur», constate Gabuev. Il poursuit:
Yakovlev, Dubrovskiy et Danilov vont même plus loin. Ils écrivent:
L'analyse dystopique des experts russes s'explique par plusieurs raisons. D'une part, Poutine a perdu confiance en l'élite russe. La révolte d'Evgueni Prigojine, l'ancien chef de la troupe de mercenaires Wagner, a montré à Poutine «qu'il ne peut pas compter sur les principaux hommes d'affaires en cas de crise», constatent Yakovlev, Dubrovskiy et Danilov.
Parallèlement, Poutine a réorienté le pays vers une économie de guerre. Les dépenses de défense ont plus que doublé depuis le début de la guerre. Les salaires des soldats ont grimpé en flèche. «Même si les armes se taisent un jour en Ukraine, l'économie russe restera fortement militarisée», affirme Gabuev.
La perte de confiance dans l'élite du monde des affaires et le passage à une économie de guerre ont contraint Poutine à miser sur une économie planifiée, comme à l'époque de l'URSS.
Le Kremlin a commencé à «nationaliser agressivement le secteur privé», constatent Yakovlev, Dubrovskiy et Danilov. Comme la dépendance aux importations a été massivement réduite dans le même temps, les trois auteurs comparent le modèle économique russe à celui de la Corée du Nord.
Mais contrairement à l'économie planifiée de type soviétique, Poutine n'a pas de vision à long terme comme le communisme en avait autrefois avec la société sans classes. «Le Kremlin n'a donc guère d'autres options que de veiller à la déstabilisation globale et au chantage géopolitique, une stratégie pour laquelle le régime de Kim est un puissant modèle», constatent Yakovlev, Dubrovskiy et Danilov.
L'approche de Poutine en matière de politique intérieure devient de plus en plus répressive. Le scandale de «l'orgie russe» en décembre 2023 – des membres de la Jeunesse dorée moscovite avaient alors organisé une fête débridée – a fourni au président russe une excuse bienvenue pour serrer la vis dictatoriale.
Le régime a ainsi signalé qu'il surveillait rigoureusement la vie privée de ses citoyens avec des méthodes qui rappellent celles de la Corée du Nord et de l'Iran, selon Yakovlev, Dubrovskiy et Danilov.
Et si l'on regarde la politique étrangère de la Russie, il est indéniable que le pays s'est «allié de manière décisive à la Chine», comme le constate Gabuev. Rompre ce partenariat et viser une réconciliation avec l'Occident est illusoire dans un avenir prévisible. «Quoi que Trump puisse entreprendre, sous Poutine, la Russie ne deviendra jamais un pays qui ne représente pas une menace pour l'Occident», conclut l'expert. Yakovlev, Dubrovskiy et Danilov y voient également des raisons de politique intérieure.
«Cette confrontation est devenue une légitimation pour Poutine, tout comme la proclamation régulière de prétendues victoires dans cette lutte».
Poutine est bien en selle. Cela n'a donc aucun sens d'espérer un changement prochain en Russie. Le président russe joue au chat et à la souris avec l'Occident – les négociations de paix à Istanbul en sont un parfait exemple. «Si les tendances actuelles se poursuivent, l'Europe doit se préparer à la présence d'une autocratie entièrement militarisée à sa frontière, avec une structure similaire à celle de la Corée du Nord, mais bien plus dangereuse », constatent Yakovlev, Dubrovskiy et Danilov.
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci