La France se remet lentement des violences qui ont suivi la mort de Nahel, ce jeune de 17 ans tué par la police lors d'un contrôle routier. En une semaine, le bilan est plus lourd que celui des trois semaines d'émeutes de 2005 ou des manifestations des gilets jaunes de 2019:
L'organisation patronale Medef estime le montant total des dégâts à un milliard d'euros.
Le policier fautif, âgé de 38 ans et sans antécédents judiciaires, reste en détention provisoire et encourt le risque d'une inculpation pour homicide volontaire. Des inconnus ont rendu public son nom et son adresse cette semaine et ont été immédiatement arrêtés.
La tension dans l'Hexagone est à son plus haut point. L'écrivain de gauche Serge Raffy, également rédacteur à l'Obs, y voit une ambiance «pré-révolutionnaire», qui règnerait dans certaines banlieues françaises. Celle-ci pourrait éclater le jour de la fête nationale.
Le 14 juillet marque aussi le point le plus important des vacances d'été. De nombreuses familles sont en plein repos estival, la chaleur tape et le classique défilé militaire sous la chaleur est emblématique d'un été à la française.
Depuis le temps, la fête nationale a perdu son caractère révolutionnaire et les sensibilités politiques ont changé. Si bien que, plus de 230 ans après la révolution, la gauche comme la droite sont attachées à la République et à la nation. Or, le 14 Juillet de cette année menace cette cohésion nationale. Il révèle les profondes divisions de la société française dans l'affaire Nahel, mais aussi au-delà.
Aujourd'hui, dans les anciennes colonies françaises en Afrique, qui sont en contact quotidien par téléphone portable avec les banlieues de Paris, Lyon ou Marseille, un sentiment très anti-français règne, parfois même sous la forme de slogans pro-Poutine, qui doivent être compris en premier lieu comme des attitudes anti-françaises.
Ce clivage est particulièrement visible dans la question des feux d'artifice. Depuis des années déjà, les jeunes de banlieue sortent un attirail complet de feux en tous genres. Cela débouche souvent sur des échauffourées avec la police. Lors des émeutes qui ont suivi la mort de Nahel, les désormais fameux mortiers d'artifices ont été massivement utilisés.
Certains ont une portée d'une centaine de mètres et ont été capables de tenir en échec des unités d'élite de la police comme le Raid. Cela permet notamment aux émeutiers, très mobiles, de gagner du temps pour prendre de nouvelles positions et lancer des cocktails Molotov ou des projectiles lourds sur la police.
La Première ministre Elisabeth Borne a interdit la vente et le transport de feux d'artifice en début de semaine. Cette nouvelle tentative risque toutefois d'être aussi infructueuse que deux arrêtés précédents du même genre, en 2019 et en 2021.
Dans les banlieues, le marché noir de feux d'artifice, organisé de manière professionnelle, est un business très lucratif et en plein essor. Les feux d'artifice, généralement fabriqués en Pologne, sont transférés et stockés dans les banlieues. Ils sont livrés à domicile dans la demi-heure qui suit la commande, passée via des applications de messagerie comme Telegram.
Ainsi, lorsque les feux d'artifice scintilleront et feront du bruit en France vendredi soir, les citoyens ne pourront pas savoir duquel il s'agit: le spectacle officiel des autorités municipales – ou celui des jeunes des quartiers populaires, qui allument la police?
De grandes villes comme Strasbourg ont décidé d'annuler leur feu d'artifice. D'autres, comme Nîmes, ont décidé de remplacer la pyrotechnie par des spectacles de drones plus silencieux. Perpignan, par des concerts de laser. Mais Paris tient à garder ce spectacle intact, le plus grand du pays, suivi à chaque fois par des dizaines de milliers de personnes, devant le cadre grandiose qu'est la tour Eiffel.
Le prix à payer est une présence policière massivement renforcée. 120 000 membres des forces de l'ordre seront mobilisés pour le 14 juillet, dont 45 000 rien qu'en région parisienne. C'est autant de policiers qu'au plus fort des émeutes de juin. Est-il vraiment possible d'avoir l'esprit à la fête dans ce contexte?
Pendant ce temps, le traitement politique des émeutes ne fait que renforcer les tendances à la division au sein de la nation. Pour défendre la police, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a énuméré cette semaine à l'Assemblée nationale les gardiens de la paix qui ont perdu leur vie en service ces dernières années: treize noms très franco-français.
En guise de réplique, la députée de gauche radicale Sandrine Rousseau a énuméré les décès «dus aux violences policières»: seize noms qui sonnent largement d'origine étrangère.
"M. le ministre de l'Intérieur, vous avez fait lever l'Assemblée sur les policiers morts en service et je me suis levée. J'aimerais que nous nous levions pour les victimes des actions policières", adresse @sandrousseau à @GDarmanin. #BravM #Nahel #DirectAN pic.twitter.com/JUHc5AnnTK
— LCP (@LCP) July 11, 2023
Contrairement à ce qui s'était passé après les émeutes de 2005, il n'est pas question d'une réponse massive, tous partis confondus, aux tensions dans les banlieues. Les politiciens n'ont pas fini de se tirer dans les pattes.
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci