Rappelez-vous: il y a 20 ans, au début des années 2000, les Etats-Unis étaient connus pour leur ligne dure en matière de politique étrangère. Nous sommes quelques années après les attentats du 11 Septembre et les républicains de George W. Bush Jr ont formé une union sacrée autour des questions de défense de la nation.
Ceux qu'on appelait alors «les faucons» plaidaient régulièrement pour des interventions militaires musclées aux quatre coins du globe. La plus fameuse et délétère d'entre elles fut l'invasion de l'Irak de 2003, qui a conduit à la chute du régime de Saddam Hussein. La «Pax americana», la paix américaine régnait sur le Moyen-Orient et le globe — par la force, certes.
Si à cette époque, les néo-conservateurs américains faisaient la pluie et le beau temps à Washington, en Europe, c'est une autre histoire. Bien qu'également traumatisés par le 11 Septembre, plusieurs gouvernements européens refusent de céder à la panique. En France, Jacques Chirac décide de ne pas suivre George W. Bush en Irak. En Allemagne également, le chancelier de l'époque, le social-démocrate Gerhard Schröder, refuse.
En 2008, le démocrate Barack Obama est élu à la présidence des Etats-Unis. Les électeurs, las de la guerre, apprécient sa promesse de retirer les troupes américaines d'Irak. Il le fera en 2011, laissant derrière un terreau fertile pour l'émergence de l'islamisme le plus moribond — mais ceci est une autre histoire.
Vingt ans plus tard, alors que la Russie tente péniblement d'envahir son voisin ukrainien, les rôles se sont inversés. Ce sont les démocrates, menés par Joe Biden, qui soutiennent tant bien que mal le gouvernement de Volodymyr Zelensky face aux troupes de Poutine. En face, les républicains Donald Trump et le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, souhaitent mettre fin immédiatement à tout soutien à l'Ukraine.
Les choses ont changé depuis l'époque des «neo-cons» de Bush. Trump et DeSantis, tous deux candidats à l'élection présidentielle de 2024, n'ont plus grand-chose à voir avec les républicains d'antan. Isolationnistes, ils estiment que la guerre en Ukraine n'est pas dans la sphère d'intérêt des Etats-Unis. Pour Ron DeSantis, il ne s'agit que d'un simple «conflit local». Trump, de son côté, fait du Trump et accuse Joe Biden de mener les Etats-Unis tout droit dans la Troisième guerre mondiale.
Pour le président démocrate, l'influence des Etats-Unis en Europe est pourtant d'importance et au niveau mondial, il tient à se positionner comme un garant des valeurs occidentales face à la Russie et à la Chine. De plus, il tient à faire oublier la catastrophe afghane de l'évacuation américaine de Kaboul, en août 2021.
Donald Trump et Ron DeSantis ne sont pas les seuls à critiquer la politique extérieure de Joe Biden. De nombreux autres républicains de haut rang tiennent des propos similaires. Avec une musique de campagne qui vise l'horizon 2024: eux seuls représentent les véritables intérêts des Etats-Unis.
Se présenter comme des faiseurs de paix est un calcul électoral efficace, qui fonctionne auprès d'une partie importante de l'électorat. Car après des décennies de guerres en Irak, en Afghanistan, mais aussi au Vietnam et — pour les plus âgés — en Corée, la lassitude à s'engager militairement à l'étranger a gagné les Etats-Unis.
Pour autant, DeSantis et Trump ont bien un point commun avec les «faucons» des années 2000: leurs lignes de politique étrangère, bien qu'opposées, sont radicales. Si ces derniers voulaient faire la guerre au monde entier, les républicains d'aujourd'hui rejettent systématiquement tout projet de défense des intérêts américains à l'étranger.
Car aujourd'hui, plus personne chez les républicains ne veut entendre parler de l'ère Bush. Le terme «neo-con» est presque devenu une insulte. Certains républicains attisent sciemment la crainte que Joe Biden se décide pour une intervention étasunienne et fasse couler le sang américain sur le sol ukrainien. Le président en exercice maintient pourtant qu'il n'enverra pas de troupes américaines se battre contre la Russie.
Alors que les faucons faisaient autrefois la loi chez les républicains, c'est aujourd'hui l'isolationnisme qui prévaut au sein de la droite américaine. Certains s'en inquiètent: si Trump ou DeSantis devait finir à la Maison-Blanche, les Etats-Unis se retireraient-ils des jeux d'influence européens et asiatiques?
Pour l'Europe, ce serait un énorme problème. Car les Etats du vieux continent n'ont jamais été aussi dépendants des Etats-Unis pour assurer leur sécurité depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, notamment les pays baltes et d'Europe centrale membres de l'Otan.
Une simple comparaison suffit à montrer à quel point les leaders actuels du parti républicain sont différents de ceux d'hier: Donald Trump a copié son cri de ralliement politique «Make America Great Again» sur l'un des présidents républicains américains les plus respectés. En 1980 déjà, Ronald Reagan avait utilisé le slogan «Rendons à l'Amérique sa grandeur» lors de sa campagne présidentielle de 1980.
Mais si Donald Trump s'est inspiré de Reagan sur le plan rhétorique, il s'est aussi éloigné de son ambition de défendre avec force les intérêts des Etats-Unis à l'étranger. Car Reagan ne voulait rien savoir de l'isolationnisme, bien au contraire. Jugez par vous-même:
Selon lui, ce sont les leçons amères que les Etats-Unis ont tirées des deux guerres mondiales. Sur les plages normandes, en 1984, pour les quarante ans du débarquement américain en France, il a déclaré, faisant référence au combat contre le nazisme:
C'est également à lui que l'on doit la fameuse phrase:
Nous sommes alors en 1987 et Reagan prononce ces mots à l'occasion d'un discours à Berlin-Ouest. C'était le discours d'un président américain qui voulait déterminer l'ordre mondial et qui croyait en la supériorité de son propre système.
Le désintérêt actuel de Donald Trump pour la bataille contre le nouvel impérialisme russe de Poutine est donc contraire à l'ambition de Reagan. Il y a des années, Trump avait déjà qualifié l'Otan, l'alliance militaire transatlantique datant de l'époque de la guerre froide, d'«obsolète». Il a récemment renouvelé sa critique de l'Otan.
Pour ce, Trump a engagé une rhétorique qui s'apparente à du chantage, sur le principe du «qui ne paie pas, n'est pas protégé». Des déclarations qui méconnaissent les réalités et ne prennent pas en compte l'intérêt des Etats-Unis dans l'Otan. Un «faucon» républicain particulièrement connu, l'ancien conseiller à la sécurité nationale de Trump, John Bolton, avait déclaré fin 2022:
John Bolton était pourtant, pendant une courte période, un des rares faucons de l'ère de George W. Bush à faire partie du gouvernement Trump. Mais il a lui aussi été rapidement limogé.
Les républicains purs et durs, autrefois influents, mènent une bataille presque perdue d'avance contre les courants isolationnistes au sein de leur propre parti. John Bolton a récemment déclaré qu'il était «très déçu» par les commentaires de Ron DeSantis sur la guerre en Ukraine.
Il existe une exception: les puissants républicains membres du Sénat, la Chambre haute du Congrès, ne sont pas concernés par les développements isolationnistes de la direction du parti. On y trouve de nombreux politiciens qui, conformément à la vieille tradition de la ligne dure, soutiennent la politique pro-ukrainienne de Joe Biden ou le critiquent même pour ne pas en faire assez. Pour les partisans de l'influence américaine dans le monde, ces républicains sont la dernière chance d'enrayer la tendance isolationniste au sein du parti.
A l'opposé, la stratégie de Trump et DeSantis semble déjà porter ses fruits auprès des électeurs. Dans un récent sondage du site d'information américain Axios, seuls 42% des républicains interrogés ont indiqué qu'ils soutenaient les livraisons d'armes et l'aide américaine à l'Ukraine. Chez les démocrates, 79% des personnes interrogées ont dit la même chose.
Le sondage a été commandé à l'occasion du 20e anniversaire de l'invasion de l'Irak. Il a révélé un paradoxe remarquable chez les républicains interrogés. Une personne sur trois a déclaré que les Etats-Unis avaient eu raison d'envahir l'Irak... mais qu'on ne devait pas soutenir l'Ukraine dans le conflit actuel avec la Russie.
Pourtant, quatre républicains sur cinq veulent que les Etats-Unis restent la première puissance mondiale. Mais la question de savoir comment atteindre cet objectif n'a pas été posée. Les Etats-Unis n'en ont pas fini de vivre leurs contradictions.