Le 6 septembre, je suis entré en Ukraine par la route, en provenance de Iasi, en Roumanie. C'était la première fois de ma vie que je visitais un pays en guerre. Ma destination était Tchernivtsi, dans l'ouest de l'Ukraine, où j'étais invité à la rencontre littéraire Meridian Czernotwitz. La situation générale dans la ville est jusqu'à présent considérée comme calme et entièrement sous contrôle, comme me l'a fait savoir l'organisatrice.
Fatigué par le voyage et la tension que je ressentais, j'ai dormi la première nuit malgré une alerte aérienne, dont je pensais au matin avoir seulement rêvé. En fait, j'aurais dû me rendre dans un abri en moins de dix minutes. Heureusement, la défense aérienne ukrainienne a fonctionné. Quand j'ai raconté cet épisode à une écrivaine ukrainienne, elle n'a pas pu s'empêcher de rire.
A Tchernivtsi, on ne se rend généralement plus dans les abris, car l'alerte aérienne fait partie du quotidien. Le quotidien, c'est aussi le couvre-feu qui règne dans tout le pays depuis deux ans et demi, de minuit à 5 heures du matin. Qu'on puisse vivre dans un pays attaqué par un autre depuis plus de dix ans, de manière de plus en plus brutale et avec de plus en plus de civils morts, c'est pour moi inimaginable. L'invasion de l'Ukraine par la Russie en 2022 n'était pas le début de la guerre, mais c'est seulement là que nous en avons pris conscience.
La gratitude à mon égard pour ma simple présence, que j'ai pu percevoir pendant mon séjour à Tchernivtsi, m'a parfois presque mis mal à l'aise. Moi, je n'ai fait qu'accepter une invitation à une rencontre littéraire. Mais, ce faisant, j'ai contribué à combattre l'une des plus grandes peurs des Ukrainiens: être oubliés par l'Europe.
Bien sûr, ils ont d'autres peurs. Là-bas, tous ont perdu quelqu'un ou connaissent quelqu'un qui a été mutilé, ou ont des parents ou des amis qui ont dû fuir. Des dizaines de milliers de morts et bien plus encore de blessés sont à mettre au compte de Poutine. Et des millions de personnes ont dû fuir à cause de lui, et des millions et des millions doivent vivre dans la peur. Tous les gens avec qui j'ai parlé sont fatigués de la guerre. Ce sont des conversations qui m'ont rendu triste, qui m'ont mis en colère, qui m'ont rendu humble.
Maintenant, je suis de retour en Suisse, où la plupart des gens ne savent pas ce que cela signifie de vivre dans un pays touché par la guerre depuis des années. Ce que cela signifie de vivre en permanence avec des coupures d'électricité, avec de l'eau qui n'est pas propre. Avec un couvre-feu, avec la peur d'être enrôlé par l'armée, avec la peur de perdre ses proches dans la guerre, avec la peur de perdre sa patrie au profit d'un impérialiste et d'un meurtrier de masse, avec la peur d'être tué soi-même.
Lorsque j'ai entendu Poutine affirmer dans les médias à Tchernivtsi que «s'il y a un désir de négocier, nous ne refuserons pas», alors qu'il continue de faire tuer chaque jour des femmes, des enfants et des hommes dans le pays où je me trouvais, ma colère contre lui et ses alliés dictatoriaux en Iran, en Biélorussie, en Syrie, au Venezuela, à Cuba, en Chine et en Corée du Nord, et ses autres soutiens, y compris chez «nous», n'a fait qu'augmenter.
Les supporters indirects, qui sont certes opposés à Poutine, mais ne veulent pas soutenir suffisamment l'Ukraine sur le plan militaire, constituent également un danger, car ils croient encore, en étant étrangers au monde et aveuglés par l'histoire, qu'un dictateur et meurtrier de masse comme Poutine peut être «calmé» par des négociations et des concessions. La seule chose qu'un dictateur et meurtrier de masse comme Poutine connaisse, c'est la loi du plus fort.
La phrase qu'on me répétait sans cesse dans les conversations à Tchernivtsi et qui m'a marqué, c'était:
Cela veut dire: libérez l'Ukraine de Poutine. Pour une Europe défensive, démocratique, ouverte, mais pas naïve, commune, solidaire et forte!
Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder