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La poutinisation de l'Amérique | Analyse

La poutinisation de l'Amérique
Le nouvel ordre mondial selon Trump se dessine de plus en plus clairement.Image: watson/keystone/imago
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La poutinisation de l'Amérique

Les Etats-Unis ne sont plus les leaders du monde libre.
27.02.2025, 16:5927.02.2025, 16:59
Philipp Löpfe
Philipp Löpfe
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Depuis lundi, c'est officiel: les Etats-Unis ne défendent plus la démocratie et l'Etat de droit. Aux côtés de pays comme l'Iran et la Corée du Nord, ils ont refusé de soutenir une résolution de l'ONU condamnant l'invasion russe de l'Ukraine. «C'est un moment de vérité, un moment historique», a déclaré Mariana Betsa, la vice-ministre ukrainienne des Affaires étrangères, devant l'Assemblée générale des Nations unies.

Mariana Betsa, Deputy Foreign Minister of Ukraine, left, addresses the UN Security Council, as Poland Foreign Minister Radoslaw Sikorski, right, listens Monday, Feb. 24, 2025, at the United Nations he ...
Mariana Betsa, vice-ministre des Affaires étrangères de l'Ukraine, à l'Assemblée générale de l'ONU.Image: keystone

Même le quotidien conservateur Wall Street Journal est consterné et fait référence à l'ancienne figure emblématique du parti républicain. «Ronald Reagan voulait lui aussi instaurer la paix, et il y est parvenu», commente le journal.

«Mais il n’a jamais hésité à dire la vérité à l’Union soviétique. C’est aussi cette vérité qui a largement contribué à sa victoire contre "l’empire du mal"»
Wall Street Journal

Le nouvel ordre mondial, selon Trump se dessine de plus en plus clairement. Il ne s'agit plus de protéger la souveraineté des petites nations ni de faire respecter le droit international. Désormais, le monde est divisé en trois blocs de puissance: les Etats-Unis, la Chine et la Russie. Ces derniers dictent les règles, et les plus petits doivent obéir.

La puissance des grandes nations s'accompagne d'une exploitation à peine dissimulée. L'Ukraine doit céder une partie importante de ses ressources naturelles si elle ne veut pas être totalement dévorée par Poutine. De la même manière, Trump semble prêt à appliquer cette logique à Taïwan.

«A Washington, des rumeurs suggèrent que les Etats-Unis menaceraient Taïwan de droits de douane punitifs, à moins que l'île ne consente à céder une part importante de TSMC, le premier fabricant mondial de puces, à un acheteur américain.»
Gideon Rachman dans le Financial Times.

Ce n'est pas seulement l'ordre mondial qui se façonne selon une logique mafieuse, mais aussi l'organisation interne des Etats-Unis, qui semble s’inspirer du modèle russe. La journaliste renommée Susan Glasser le résume dans le New Yorker sous un titre évocateur:

«La poutinisation de l’Amérique par Trump»

Et elle sait de quoi elle parle. Ancienne correspondante à Moscou, elle a observé de près l’ascension de Vladimir Poutine. Ce qui se passe actuellement aux Etats-Unis surprend même les faucons les plus endurcis du Kremlin. Ainsi, Dmitri Medvedev, ancien président russe de façade, a commenté sur X la déclaration de Trump qualifiant Zelensky de dictateur en ces termes:

«Si quelqu’un m’avait dit il y a trois mois que ces mots viendraient d’un président américain, j’aurais éclaté de rire»

Mais Trump aspire sans doute lui-même à être un dictateur et ne s’en cache plus. Récemment, il a même publié une image de lui affublé d’une couronne royale et a justifié ses violations répétées de la loi par une citation attribuée à Napoléon:

«Celui qui sauve son pays ne viole aucune loi»
epa11899481 A float with figures depicting US President Donald J. Trump, North Korean leader Kim Jong Un and Russian President Vladimir Putin passes by the crowd during the 152nd annual Carnival of Ni ...
Trump en caricature avec Kim Jong-un et Poutine lors d'un défilé de carnaval à Nice.Image: keystone

Elon Musk, véritable président de l’ombre, mène une purge méthodique au sein de l’administration, ciblant les fonctionnaires qu’il considère comme trop «woke». Fidèle à son style impitoyable, il assume pleinement sa vision du management. Comme le rapporte Walter Isaacson dans sa biographie, Musk affirme: «Ce n’est pas ton rôle d’être apprécié par les autres ou par ton équipe. En réalité, c’est même contre-productif.»

Trump et les idéologues MAGA (Make America Great Again) prétendent que les qualifications ne devraient plus reposer sur la diversité, l'égalité et l'inclusion (DEI), mais sur les performances professionnelles. Cependant, en pratique, cela se traduit par le licenciement de personnes compétentes au profit de ceux qui sont entièrement loyaux, mais souvent moins qualifiés.

Un exemple typique est la récente purge au Pentagone. L'ancien commandant en chef, Charles Brown, a été licencié pour avoir soi-disant mis en œuvre une politique de DEI. Brown est un général quatre étoiles hautement décoré, dont les compétences n'ont jamais été remises en question. Il doit être remplacé par un général trois étoiles moins connu et un admirateur de Trump.

epa11856646 US Chairman of the Joint Chiefs of Staff, Charles Q. Brown Jr. listens as Secretary of Defense Pete Hegseth (not pictured) responds to a question from the news media as he arrives for his  ...
Le commandant en chef Charles Brown.Image: keystone

Ce qui est encore plus inquiétant, c’est le fait que Trump a licencié tous les généraux précédents chargés de veiller au respect de la Constitution. Dans le New York Times, Frank Kendall, l'ancien chef de l'Armée de l'Air, exprime son horreur.

«L'Amérique a désormais un président malhonnête»
Frank Kendall

Avec la poutinisation de l'Amérique, les valeurs jusque-là en vigueur sont renversées. A l'instar de l'admiration d'Elon Musk et de JD Vance pour l'AfD allemande. Ironiquement, ce sont justement les populistes de droite qui ont inscrit l'anti-américanisme sur leur bannière.

Alice Weidel, députée allemande, a encore récemment déclaré dans une interview accordée à l'American Conservative que les Allemands étaient les «esclaves» des Américains et que leur pays était «une colonie». Son co-président Timo Chrupalla a, quant à lui, déploré que l'Europe soit «obligée de représenter les intérêts américains». A l'extrême droite, chez les Daniele Ganser et Jürgen Elsässer, l'anti-américanisme est encore bien plus extrême.

La poutinisation de l'Amérique s'accompagne d'une brutalisation de la société qui rappelle les années folles des années 1920. Dans son roman The Great Gatsby, Scott Fitzgerald décrit le comportement de ses deux protagonistes comme suit:

«C'étaient des imprudents, Tom et Daisy — ils brisaient les gens et les choses, puis se retiraient (...) laissant aux autres le soin de nettoyer le bazar qu'ils avaient mis»

Traduit et adapté par Noëline Flippe

Ces moments lunaires de l'investiture de Trump
Video: watson
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