Interdire le Front national a longtemps été le rêve du camp démocrate opposé à l’extrême droite. Un rêve qui s’est évaporé avec les années. Le Front de Jean-Marie Le Pen est devenu le Rassemblement de sa fille Marine. Le parti a entamé sa «dédiabolisation», laissant aujourd’hui l’antisémitisme à Jean-Luc Mélenchon, le leader de la gauche radicale insoumise, pour concentrer ses flèches sur l’«immigration», sans épargner l’islam mais sans non plus le déclarer incompatible avec la République.
A droite et chez certains macronistes, c’est du reste moins pour son racisme que pour son programme économique jugé désastreux que le RN a été combattu lors des élections législatives anticipées de juin et juillet derniers.
Bref, c’est au moment où le RN n’est plus tout à fait l’extrême droite (l’UDC des élections fédérales de 2023 n’avait rien à lui envier sur ce plan-là), que le parti de Marine Le Pen se voit en quelque sorte interdit. Certes, en termes de danger, du moins pour ses concurrents, il n’a jamais été aussi dangereux, car jamais si proche du pouvoir.
Il n’est pas impossible que les juges qui ont condamné Marine Le Pen à cinq ans d’inéligibilité, à sa «mort politique» disent ses soutiens, aient eu quelque part à l’esprit la possibilité de sa victoire à la présidentielle de 2027 et qu’ils aient ainsi cherché à éviter ce que d’aucuns tiennent pour un saut dans le vide si cette éventualité devenait réalité. Ce faisant, les juges du tribunal correctionnel de Paris auraient appliqué, en plus du droit, un principe de précaution démocratique.
On peut bien sûr considérer à ce stade que justice a été rendue, que l’Etat de droit, au moment où il est mis à mal par la plus grande démocratie du monde, sort renforcé du jugement prononcé contre la cheffe nationaliste et que reculer sur la loi aurait été un signal donné aux populistes de tout poil.
Sauf que la décision de justice frappant Marine Le Pen, si elle honore le droit, ne règle rien de la question démocratique en France. Peu, d’ailleurs, dans la classe politique, ont crié victoire à l'annonce du jugement. A droite plus qu'à gauche, La France insoumise faisant exception, les commentaires estiment qu'il s'agit là d'un mauvais service rendu à la démocratie.
Chacun comprend que le Rassemblement national va se victimiser et qu'il risque de se renforcer dans les mois prochains, sans qu'on puisse conclure à ses chances supplémentaires de gagner la présidentielle en 2027, privé qu'il serait de Marine Le Pen, sa «maman», à présent remplacée, pense-t-on, par la figure du «gendre», Jordan Bardella.
Mais chacun comprend surtout que les conditions qui font les intentions de vote élevées pour le RN n’ont pas disparu: le nombre de foyers vivant modestement depuis des décennies est toujours aussi haut; les craintes face aux changements de populations, encouragés par Jean-Luc Mélenchon qui pense y trouver un profit électoral, ne diminuent pas; le sentiment de «sombrer» est gros d’un besoin de sursaut, incarné ou qu’incarnait jusqu’ici Marine Le Pen.
Si le droit trouve son compte dans la décision des juges, c’est moins le cas de la démocratie, sauf si l'on considère que la démocratie doit parfois être bridée. Par où qu’on prenne le «problème français», on se rend compte qu’il n’y a pas de solution miracle. L'éléphant dans la pièce, si ce n'était pas clair jusqu'ici, c'est la paix civile.