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L'Ukraine risque de tout perdre

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L'Ukraine risque de tout perdre

La Maison-Blanche et l’Europe commencent à se détourner de l’Ukraine. Kiev se bat désormais avec «un bras attaché dans le dos» et cela pourrait tourner à la catastrophe.
27.01.2024, 15:4627.01.2024, 17:30
Daniel Mützel / t-online
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L'une des lois de notre conscience est que nous finissons par ne plus percevoir les stimuli répétitifs de notre environnement. Nous voyons successivement cinq clowns se trémousser dans la zone piétonne, le sixième ne nous intéresse déjà plus. Le cerveau ne laisse tout simplement plus passer le signal «clown». Il y a des choses plus importantes à considérer.

C'est d'autant plus vrai pour les mauvaises nouvelles. A partir d'un certain point, nous mettons la sourdine. Lorsque la force de l'habitude s'associe à la force du refoulement, le tri s'opère à plein régime: les choses qui hier encore nous concernaient de manière existentielle sont aujourd'hui reléguées au second plan.

Nous sommes maintenant habitués à des titres sombres en provenance d'Ukraine. Avec l'échec de la contre-attaque ukrainienne de 2023, le Kremlin a repris l'initiative. L'offensive hivernale des Russes met Kiev sous forte pression et épuise les réserves ukrainiennes, qui se raréfient.

L'Ukraine s'y oppose de toutes ses forces et tente d'empêcher les percées frontales des Russes à plusieurs endroits. Mais, comme l'a dit récemment le politologue Herfried Münkler, elle se défend avec «un bras attaché dans le dos». Il faisait allusion à l'interdiction imposée par l'Occident à l'Ukraine d'attaquer des bases militaires en Russie à partir desquelles elle serait bombardée.

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Au-delà de ces tabous opérationnels, Kiev se bat depuis deux ans avec un handicap: l'agresseur mobilise des ressources au gré de sa politique intérieure, tandis que l'agressé doit sans cesse quémander du ravitaillement auprès de ses partenaires occidentaux pour ne pas sombrer.

Cela fonctionne tantôt bien, tantôt mal. Actuellement, cela ne marche pas du tout. Si les hésitations de l'Occident persistent, l'armée ukrainienne pourrait être confrontée à une catastrophe.

Kiev rationne ses munitions

Une réunion secrète sur le soutien à l'Ukraine, qui s'est tenue récemment à la Maison-Blanche, montre à quel point la situation se complexifie pour les troupes ukrainiennes. Comme le rapporte la chaîne américaine NBC, deux conseillers principaux du président Joe Biden ont informé les républicains présents que la Russie pourrait «gagner la guerre en quelques semaines» ou en quelques mois si le Congrès continuait à bloquer un nouveau paquet d'aide à l'Ukraine.

Selon ce rapport, il ne reste plus que quelques semaines à l'Ukraine avant que les ressources critiques de l'artillerie et de la défense aérienne ne soient épuisées, avec des conséquences dramatiques pour la dynamique sur le champ de bataille.

Une menace tactique pour briser la résistance des républicains? Peut-être. Mais le fait que l'Ukraine doive depuis un certain temps rationner les munitions pour rester en état de combattre n'est un secret pour personne. Alors que les Russes tirent, selon les estimations, environ 10 000 obus par jour, les attaqués peuvent se défendre avec à peine 2000 coups. Dans certaines zones de combat, le rapport est même de 9 contre 1 en faveur de la Russie.

Le manque de munitions fait vaciller le front. Comme le rapporte le Washington Post, au sud de Zaporijia, des formations ukrainiennes ont dû annuler des attaques par manque de ravitaillement, dans le Donbass, certaines lignes de défense ne peuvent être tenues qu'avec la plus grande difficulté.

L'aile radicale «America First» des républicains prend l'Ukraine en otage de manière de plus en plus impitoyable afin de marquer des points en politique intérieure. Mais il serait commode d'imputer l'échec actuel de l'Occident aux seuls Etats-Unis.

En Europe aussi, le soutien à l'Ukraine faiblit

L'UE a également manqué à ses promesses de livraison. Sur le million d'obus d'artillerie promis d'ici mars, les Européens n'en ont livré que 300 000 environ. Et comme les promesses ne coûtent rien, Bruxelles vient de prolonger le délai jusqu'à la fin de l'année. D'ici là, de nombreux autres soldats ukrainiens mourront sous les obus russes.

Le système de sécurité européen est en ruine. L'Ukraine se défend avec un arsenal presque épuisé et au prix du sang contre un insatiable rouleau compresseur russe. Il est honteux qu'après deux ans de guerre et avec un produit intérieur brut de 16 billions d'euros, l'Europe ne soit pas capable de transformer son industrie pour faire face à une économie de 1,7 billion d'euros.

La Russie ne représente qu'un dixième de la puissance économique de l'Europe, et seulement un quinzième de celle des Etats-Unis - mais dans la course aux armements industriels qu'est devenue la guerre en Ukraine, le Kremlin peut jouer dans la cour des grands.

Si l'Ukraine «libre» devait se désintégrer parce que l'Occident n'a pas été capable de redresser son industrie, ce serait un échec d'une ampleur historique.

Peut-être est-ce dû à une stratégie cynique, comme le pensent de plus en plus d'observateurs: à les écouter, l'Occident travaille secrètement à normaliser les relations avec la Russie. L'Otan ne donnerait donc à l'Ukraine que ce dont elle a besoin pour survivre, mais pas ce dont elle a besoin pour gagner.

Mais peut-être est-ce dû à un tout autre problème, théoriquement soluble: les moulins de l'approvisionnement européen en armement tournent encore beaucoup trop lentement.

Le chancelier allemand Olaf Scholz.
Le chancelier allemand Olaf Scholz.

De ce point de vue, l'Allemagne est un bon exemple. Le fait que le chancelier Olaf Scholz, en blouson d'aviateur, fasse l'éloge de «l'économie de la défense» allemande chez Airbus peut suggérer un changement de cap sur le plan rhétorique. Mais ce n'est pas suffisant. Les marchés publics allemands en sont toujours à l'ère d'avant-guerre, c'est-à-dire avant février 2022.

Mais pourquoi en est-il ainsi? Pourquoi l'Allemagne n'est-elle pas en mesure de passer rapidement des commandes supplémentaires?

Les problèmes sont nombreux, dont beaucoup sont d'origine interne:

  • Le problème central est la bureaucratie excessive: l'Allemagne ajoute des règles à la jungle de paragraphes de l'UE, qui insiste sur la passation de marchés européens. Depuis 2022, certains contrats peuvent être attribués plus rapidement en invoquant les intérêts de la sécurité allemande, mais les appels d'offres européens sont toujours considérés comme un frein.
  • Un ministère de la Défense hypertrophié, géré par 3000 fonctionnaires, qui fait participer beaucoup trop d'organismes aux marchés publics.
  • Des fonctionnaires, plus intéressés par la justesse juridique de la procédure que par la conclusion rapide d'un contrat. Une conséquence de l'instinct de conservation bureaucratique et de la peur d'être poursuivi en justice par des groupes d'armement.
  • La dépendance vis-à-vis des matières premières et des produits de base (comme le coton pour les obus d'artillerie), qui proviennent généralement de Chine et ne sont pas livrés en stocks suffisants.

L'été dernier, les experts ont recommandé d'alléger la «boucle parlementaire» afin de ne pas soumettre chaque petit contrat à l'examen des députés. Mais cela a été rejeté par les membres de la puissante commission budgétaire. C'est l'écueil d'une bureaucratie hypertrophiée: la démanteler ne signifie pas seulement supprimer des paragraphes, mais aussi retirer du pouvoir aux personnes qui veillent sur ces paragraphes. Personne n'aime perdre son influence. Ainsi, tout reste comme avant.

Il y a tout de même un homme qui a déclaré la guerre au marasme bureaucratique dans le domaine militaire: le ministre de la Défense Boris Pistorius. Il cherche absolument à montrer que les choses avancent grâce à lui.

Boris Pistorius
Le ministre de la Défense Boris Pistorius a déclaré la guerre à la bureaucratie militaire.

Le ministre doit toutefois faire attention à ne pas se laisser entraîner dans le «Blame Game» destructeur qui a une certaine tradition dans le domaine des marchés publics: c'est toujours la faute des autres. Boris Pistorius a en effet déclaré:

«Il est important d'admettre que nous pouvons commander plus rapidement, mais la deuxième étape est la suivante: l'industrie doit produire plus rapidement.»

Mais il est trop facile d'accuser les entreprises d'armement d'être seuls responsables du manque de capacités de production. L'industrie est aussi entravée par des problèmes de planification au sein de l'armée allemande.

Tout cela n'est évidemment d'aucune utilité pour l'Ukraine dans les semaines et les mois à venir. Pour éviter un scénario d'horreur, tout dépend avant tout, comme depuis le début de l'invasion, des Américains. Le paquet de 60 milliards, qui viendra ou ne viendra pas, ne pourrait pas remplacer l'Europe et encore moins l'Allemagne.

On a trop longtemps dormi, retardé, occulté. Si le nouveau président américain s'appelle Donald Trump à l'automne, un deuxième changement d'époque pourrait s'avérer nécessaire en Europe. Peut-être que l'inertie prendrait alors fin.

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Quel est le programme?

«Il ne reste plus qu'un type et une dame», a commenté Nikki Haley, l'adversaire de Trump, après l'élimination de Ron DeSantis de la course à l'investiture républicaine pour la présidentielle. Une dame - elle - et un type: Donald Trump.

Mais la «théorie de la victoire» de Haley voit plus loin que le New Hampshire. Dans cet Etat, elle n'avait pas besoin de triompher, mais seulement de se rapprocher le plus possible de Trump, ce qu'elle a fait. Pour ensuite marquer des points lors de la prochaine primaire - dans son Etat d'origine, la Caroline du Sud. Mais là aussi, les sondages ne sont pas très réjouissants pour elle (ni pour l'Ukraine).

(Traduit et adapté par Chiara Lecca)

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source: ap / dmitri lovetsky
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