Les tensions entre les deux Corées ne cessent de s’aggraver: le week-end dernier, l'état-major nord-coréen a accusé le gouvernement sud-coréen d'avoir envoyé des drones sans pilote avec des tracts de propagande au-dessus de la capitale Pyongyang.
Quelques jours plus tard seulement, le régime de Kim Jong-un a fait sauter toutes les liaisons routières intercoréennes:
Une réunion convoquée à la dernière minute mercredi à Séoul entre les vice-ministres des Affaires étrangères de la Corée du Sud, du Japon et des Etats-Unis pour se coordonner face à la menace nord-coréenne montre à quel point la situation est grave.
En effet, de plus en plus de spécialistes pensent que la rhétorique de Pyongyang n'est plus seulement l'habituelle fanfaronnade d'un régime paranoïaque, mais qu'il faut prendre Kim Jong-un au sérieux. Et c'est «effrayant», comme le confie un ex-général sud-coréen ayant demandé l'anonymat.
L'escalade se met en place depuis des mois: en décembre déjà, Kim Jong-un a déclaré la Corée du Sud «ennemi principal» et l'a également inscrit dans la constitution du pays. Il a ainsi irrévocablement abandonné l'objectif d’une réunification pacifique, vieux de plusieurs décennies.
Depuis le début de l'été, les deux parties utilisent par ailleurs presque quotidiennement des méthodes de guerre psychologique: alors que l'armée sud-coréenne a installé d'énormes haut-parleurs diffusant de la propagande le long de la zone démilitarisée, la Corée du Nord envoie des ballons de déchets par-dessus la frontière. De plus, elle a fortifié la bande frontalière entre les deux Etats avec plusieurs dizaines de milliers de mines terrestres depuis le début de l'année.
Pendant longtemps, la doctrine militaire de la Corée du Nord s'est résumée à une simple comparaison historique: ne pas devenir une seconde Libye. Le dictateur aurait pu connaître le sort sanglant de Mouammar Kadhafi en 2011 s'il avait abandonné son programme nucléaire en échange de fragiles promesses de sécurité. C'est exactement dans ce contexte qu'il faut comprendre l'arsenal nucléaire du régime de Kim Jong-un: une protection solide contre une invasion américaine.
Mais on observe depuis longtemps un retournement de situation par rapport à la pure doctrine d'autodéfense. La Corée du Nord dispose en effet depuis au moins une décennie de suffisamment d'ogives pour une dissuasion crédible. Et elle développe son arsenal à un rythme de plus en plus rapide.
Elle a également abandonné les missiles intercontinentaux pour se concentrer sur les missiles à courte portée et les armes nucléaires tactiques, des équipements militaires qui seraient particulièrement utiles en cas de guerre contre la Corée du Sud.
«Pour moi, il semble que la Corée du Nord se prépare à une guerre - probablement pas à court terme, mais dans les 5 à 10, voire 20 prochaines années», déclare l'un des plus grands experts de la Corée du Nord, basé à Séoul. En raison de la sensibilité du sujet, il requiert l'anonymat:
A priori, sa thèse paraît audacieuse, mais c'est un scénario réaliste à moyen terme. L'armée nord-coréenne dispose déjà de quatre, voire cinq types de missiles intercontinentaux qui seraient tous en mesure d'atteindre le continent américain. Le régime peut donc représenter une menace crédible en situation de crise.
Si les troupes de Kim Jong-un entraient à Séoul, le gouvernement américain serait confronté à un dilemme extrêmement délicat: Washington serait-il prêt à sauver la capitale sud-coréenne s'il devait pour cela sacrifier San Francisco dans une éventuelle attaque nucléaire?
A cela s'ajoute le fait que les capacités de politique étrangère des Etats-Unis sont limitées. L'ancien gendarme du monde qu'étaient les Etats-Unis est actuellement sollicité par la guerre en Ukraine, les guerres au Proche-Orient et la menace d'un conflit autour de Taiwan. On peut douter qu'il reste encore des ressources pour la Corée au vu des divers foyers de crise.
Traduit de l'allemand par Anne Castella