Commençons par cette question qui aurait semblé inimaginable il y a quelques années, le président des Etats-Unis est-il sous le contrôle de la Russie?
Régis Genté: Je parlerais plutôt d'influence que de contrôle. Mais il faudrait préciser en quoi cette influence consiste.
Allez-y.
Les services secrets moscovites FSB, les successeurs du KGB, diraient que le président américain est «russo-compatible». Il ne nourrit pas un grand amour pour la démocratie libérale, il vénère les dirigeants autoritaires et ne croit, dans les relations internationales, qu'au rayonnement du pouvoir de grande puissances qui exercent leur contrôle, même par la force. Trump admire par exemple l'ancien président républicain américain Theodore Roosevelt pour son interprétation de la doctrine Monroe, qui désignait tout le continent américain comme étant sous l'influence des Etats-Unis.
De quoi parle-t-on exactement?
Il n'y a pas de preuves formelles, mais de nombreux indices montrent que Trump est ce qu'on appelle dans le jargon du KGB un «contact confidentiel». Son premier voyage en Russie, en 1987, a sans aucun doute été organisé par le KGB. Trump n'a probablement jamais été un agent, il n'a pas non plus été victime de chantage sexuel ou de quelque chose du genre. Mais le fait est qu'à son retour de Moscou, il a soudainement reproduit des arguments russes. Sa revendication selon laquelle les Européens devraient payer davantage pour l'Otan vient de là, même si, à l'époque, Ronald Reagan tenait déjà ce discours. En revanche, des rumeurs venues de Moscou selon lesquelles Trump serait un bon président ont été répandues aux Etats-Unis.
Peut-on parler d'un réelle connexion avec la Russie?
Absolument. En tant que magnat de l'immobilier, il est à l'époque courtisé par d'influents Russes qui investissaient de l'argent dans ses projets, achetaient des biens immobiliers à des prix exorbitants, tout en le construisant politiquement. Certains diplomates, des oligarques et même la mafia russe ont joué le jeu. Nombre de ces personnalités de haut rang font partie de la «mafia rouge», tout en étant impliquées dans la politique et les services secrets russes. Le ballet russe autour de Trump a contribué au fil des ans à mettre en place sa candidature à la présidence. Un partenaire commercial de Trump a écrit en 2015 dans un e-mail, ce qui a également donné le titre de mon livre:
Un an après cet e-mail, il a réellement remporté la campagne électorale...
Entre autres parce que les services secrets russes sont intervenus massivement durant la campagne à l'aide de cyberattaques et de fake news, comme nous le savons aujourd'hui.
Le président Trump a ensuite rencontré Vladimir Poutine à deux reprises, en 2017 à Hambourg et en 2018 à Helsinki. Comment qualifieriez-vous ces rencontres?
Elles ont été très particulières. Durant des entretiens qui ont duré plusieurs heures, le président américain, d'habitude si autoritaire, a perdu tout mordant. Il est devenu inoffensif comme un écolier devant son professeur. Les sentiments de Poutine à l'égard de son interlocuteur étaient beaucoup plus agressifs: il méprisait l'Américain et la décadence des Etats-Unis. Mais en même temps, il admirait et enviait la puissance économique des Etats-Unis. En bon homme du KGB, il avait appris durant ses cours de psychologie comment faire avaler des couleuvres à des gens comme Trump.
Qu'ont décidé les deux hommes à l'issu de ces rencontres?
On ne le sait pas. Contrairement à l'usage, les entretiens n'ont pas fait l'objet d'un procès-verbal, et la plupart du temps seul l'interprète de Poutine était présent. On ne sait pas de quoi ils ont parlé. On a vu qu'une chose: Trump a accordé plus de crédit à Poutine qui démentait toute intervention électorale qu'aux services secrets américains. Il a donné à Poutine ce qu'il voulait sans exiger de contrepartie. De manière générale, il traite le pays de Poutine comme un acteur de premier plan, bien que la Russie ne soit que la neuvième puissance économique mondiale. Mais tous deux veulent assurer de manière autoritaire l'influence régionale de leur grande puissance; les Etats-Unis en Amérique, la Russie dans l'espace postsoviétique.
Et les «petits» seront sacrifiés ?
Exactement. C'est ainsi que Trump se comporte avec Zelensky. Le clash à la Maison-Blanche était une mise en scène visant à discréditer et humilier le président ukrainien. Il voulait ainsi préparer l'opinion publique américaine à l'idée que les Etats-Unis ne souhaitent plus soutenir l'Ukraine. Le porte-parole du Kremlin a déclaré cette semaine que la Russie était totalement d'accord avec Trump en ce qui concerne la politique étrangère. C'est un rapprochement radical et extrêmement rapide. Ils ont en commun un mélange de populisme et d'oligarchie. Poutine aimerait détruire la démocratie américaine, indirectement aussi pour légitimer son propre régime.
Et Trump serait-il de la partie?
Durant son premier mandat, de nombreux hauts fonctionnaires américains défendaient encore les intérêts du pays. Il y avait en plus des «adults in the room» (adultes dans la pièce) qui faisaient partie des conservateurs classiques. Trump s'est totalement détaché d'eux. Il travaille de manière ciblée à la destruction de l'ensemble de l'administration américaine et a commencé à démanteler la CIA, le FBI et d'autres agences. Son objectif est de gouverner le pays non pas de manière démocratique, mais avec des partisans loyaux. Des membres de sa famille sont nommés à des postes importants. A Paris, le père de Jared Kushner devrait, par exemple, devenir ambassadeur.
On le voit bien, les deux travaillent main dans la main. La semaine dernière, Trump a demandé aux services américains de mettre fin aux enquêtes sur les hackers russes et les lanceurs de fake news. Poutine doit pouvoir diffuser sa propagande sans entrave aux Etats-Unis. Tout est dit.
Traduit de l'allemand par Joel Espi