Le New York Times est un «faux journal», le Washington Post est «fou et malhonnête». Plus globalement, la presse est «l'ennemie numéro un du peuple américain». Ça ne date pas d'hier, Donald Trump affectionne autant les médias qu'une large louche de légumes verts. Et principalement parce qu'ils ne seraient pas très gentils avec lui. Bien sûr, Trump sur X avec Tucker Carlson ou Trump dans un sombre podcast d'extrême droite, ça ne compte pas.
Dès qu'il s'agit d'un canal alternatif, de préférence en rogne contre l'establishment et pourvoyeur de ronrons dans le sens de ses poils jaunes, le candidat multiaccusé se montre généreux. Ce soir, 18 heures tapantes, il sera par exemple chez son ancienne ennemie Megyn Kelly, sur SiriusXM, une importante plateforme de podcasts.
Pour rappel, il y a sept ans, Kelly avait fait sensation en balançant à Trump ses quatre vérités sur ses attitudes misogynes. Le principal intéressé l'insultera ensuite régulièrement sur les réseaux sociaux.
Pour la petite histoire, après s'être longtemps illustrée sur Fox News, elle trébuchera sur une grosse polémique chez NBC, forçant la chaîne à déprogrammer son émission et la licencier, en 2019, pour avoir prétendu qu'une blackface à Halloween n'a «rien de raciste». Et puis voilà que début juillet, Megyn Kelly retourne sa veste et enterre la hache de guerre, louant le «charisme», «l'aura» et «la maîtrise» de Donald: «Je l'ai revu récemment, il n’aurait pas pu être plus gentil ou plus généreux». Soit.
En parlant de NBC, l'ancien président des Etats-Unis s'apprête à briser une très longue période de boycotts. Dimanche matin, il s'affichera dans l'émission politique Meet the press, face à la journaliste Kristen Welker. Autour de la table, on retrouvera également tout une grappe de ce qui était précisément «l'ennemi du peuple américain»: Carol Lee, rédactrice en chef de NBC News, la journaliste judiciaire Laura Jarrett et Peter Baker, le célèbre correspondant du New York Times à la Maison-Blanche.
Enregistrée jeudi dans son golf du New Jersey (tout comme le furent les émissions de Tucker Carlson et de Megyn Kelly), l'interview est déjà considérée comme un événement: le candidat républicain n'était plus apparu sur une chaîne de télévision traditionnelle depuis sa cuisante défaite en 2020 et le début de ses déboires judiciaires.
Pourquoi le milliardaire fume-t-il soudain le calumet de la paix avec un milieu dont il s'est longtemps méfié?
La campagne présidentielle et les nombreux procès qui l'attendent y sont sans doute pour beaucoup. Hurler quotidiennement sur Truth Social et inonder YouTube de vidéos incendiaires pourraient effectivement ne pas suffire à convaincre (endoctriner?) les Américains. On rappelle aussi que Trump a choisi de faire son grand retour sur X quelques secondes après la publication de son mugshot judiciaire. Trump is back, mais il n’a pas vraiment le choix.
Plusieurs éléments rendent cet événement historique. Non seulement Meet the press (à l'antenne depuis le 6 novembre 1947) est l'émission la plus endurante de toute l'histoire de la télévision, mais le premier programme à avoir cuisiné un président américain en exercice, en la personne de Gerald Ford, en 1975.
Dans son format initial, l'invité défiait plusieurs artilleurs politiques issus de la presse écrite, en direct et en public. Ce que s'apprête à faire Donald Trump est autrement moins courageux (de sa part comme celle de la chaîne), puisqu'il s'agira d'un court entretien cadré, enregistré et à huis clos, mené par Kristen Welker.
Welker, parlons-en. Démocrate dans le cœur et longtemps correspondante à la Maison-Blanche, cette journaliste de 47 ans fut la deuxième femme noire à modérer un débat présidentiel. Souvenez-vous, le 22 octobre 2020, Donald Trump et Joe Biden s'écharpaient notamment sur le Covid et le racisme, dans un duel final avant l'élection. Au centre, une Kristen Welker plutôt à l'aise et d'une fermeté très remarquée.
Tout le contraire de la confrontation précédente, arbitrée par le journaliste conservateur Chris Wallace, qui avait tourné à la joute puérile. La prestation de Kristen a été très vite saluée sur les réseaux sociaux, la désignant «grande gagnante du débat» et promise «à une prestigieuse carrière». Même Trump s'était senti contraint, au beau milieu de l'émission, de louer les talents de la journaliste. (Avant de la descendre sur Twitter dans la foulée, pas folle la bête.)
Il se trouve que Kristen Welker vient tout juste de reprendre les rênes de cette émission iconique et que Trump n'est autre que son tout premier invité. De quoi s'assurer une audience folle. Pour l’heure, rien n'a filtré quant à la teneur exacte de l'interview qui sera diffusée dimanche matin sur NBC News. La chaîne a malgré tout voulu prévenir d'éventuelles critiques, en publiant les raisons de la présence d'un candidat inculpé dans une émission aussi populaire:
La dernière apparition de Trump dans Meet the Press remonte au 23 juin 2019. Son mandat a d'ailleurs été la période la plus tendue entre le milliardaire et l'empire médiatique. En fouillant un peu, on a retrouvé l'un de ses vieux tweets de 2017, dans lequel il scalpait NBC pour ses prétendues «Fake News».
With all of the Fake News coming out of NBC and the Networks, at what point is it appropriate to challenge their License? Bad for country!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) October 11, 2017
Pourtant, les chaînes du groupe ont quasiment construit la notoriété de l'excentrique magnat de l'immobilier. Abondamment parodié dans l'émission Saturday Night Live depuis les années 80, Trump, bon joueur, fera notamment un immense cadeau à la société. En 2002, alors propriétaire des concours de beauté Miss Teen USA, Miss USA et Miss Universe, diffusés au début sur CBS, il décidera d'en «offrir» la retransmission à ses nouveaux amis de NBC.
Un geste qui lui sera rendu quelques années plus tard, en faisant de lui le héros de la première saison de la télé-réalité The Apprentice. Le pitch? Une dizaine de jeunes hommes d'affaires s'affrontent pour remporter une année de boulot avec Trump. Un hobby qui lui rapportera un million de dollars par épisode et finira de faire du milliardaire une star mondiale du business-entertainment.
Le 7 octobre 2016, un mois avant l'élection présidentielle, le Washington Post révélera l'une de ses phrases les plus tristement célèbres, issue d'une discussion graveleuse qu'il avait eue, en off, avec l'animateur Billy Bush. En septembre 2005, alors en chemin pour l'émission Access Hollywood, propriété de NBC, Donald Trump dira ceci: «Quand tu es une star, elles te laissent faire. Tu peux tout faire, comme les attraper par la chatte». Un scandale qui avait considérablement rétréci sa cote de popularité, mais qui ne l'empêchera pas de squatter la Maison-Blanche.
C'est ce qu'on appelle une relation d'amour-haine. Sept ans plus tard, le voilà de retour sur NBC et... une nouvelle fois à quelques jets de pierre d'une élection présidentielle.