Durant son premier mandat, Donald Trump utilisait deux boussoles pour s'aider à diriger la nation. D'abord, le cours de la Bourse. Ensuite, la télévision.
Entre 2017 et 2021, sensible aux fluctuations de Wall Street comme un capitaine à celui des marées, le président ajuste sa trajectoire en fonction des réactions des marchés à ses propres décisions.
Même cas de figure avec les chaînes d'info. Qu'il s'agisse de CNN, Fox News ou MSNBC, Donald Trump peut alors passer jusqu'à 5 heures par jour à écouter les nouvelles, allant jusqu'à faire taire son personnel et ses visiteurs pour pouvoir se concentrer sur ce qui est diffusé - ou brailler sur les écrans diffusant des reportages négatifs à son sujet.
Ça a bien changé. Alors que le 47e président est sur le point de fêter les 100 jours de son second mandat le moins prochain, la panique mondiale qu'il a provoquée semble le laisser indifférent. Qu'importe la dégringolade de Wall Street à la perspective de l'entrée en vigueur de ses tarifs douaniers. Encore moins la couverture médiatique frénétique sur les blessures irréparables qu'il menace d'infliger à l'économie américaine.
Après l'annonce cataclysmique de ses nouvelles taxes, la semaine dernière, les critiques se sont élevées de toutes parts contre Donald Trump. Des chefs d'entreprise aux analystes économiques les plus pointus, en passant par sa chaîne bien-aimée Fox News, qui a commencé à diffuser des reportages sur l'impact de la crise sur ses électeurs inquiets.
Sans parler de dissensions provoquées au sein même des alliés du président et autres adorateurs MAGA. Depuis des jours, ils défilent à la barre et dans les médias pour faire part de leurs réserves. Du sénateur texan Ted Cruz qui craint un «bain de sang» lors des élections de mi-mandat de 2026 à Bill Ackman, partisan de longue date et gestionnaire de fonds spéculatifs, qui prédit une «guerre nucléaire économique». Sans oublier Dave Portnoy, un important soutien pour la campagne de 2024, qui s'est déchaîné sur les tarifs douaniers lors d'une diffusion en direct lundi matin.
Même Elon Musk, le «first buddy», l'un des compères et soutiens les plus éminents du chef de l'Etat, a exprimé l'espoir d'une «situation sans tarifs douaniers» entre l'Europe et les Etats-Unis. Ajoutez à cela une prise de bec aussi épique que publique avec Peter Navarro, fervent défenseur des droits de douane, qu'il a qualifié de «vrai crétin», «plus bête qu'un sac de briques» ce mardi, sur X.
Pendant ce temps, à Washington, plusieurs législateurs républicains se sont ralliés à un projet de loi bipartisan qui obligerait le Congrès à approuver les droits de douane imposés par le milliardaire à ses partenaires commerciaux. Une première timide tentative pour tenter de faire barrage au bulldozer Trump.
Face au déluge de réactions outrées, la Maison-Blanche s'est jusqu'à présent montrée ferme, arguant, en substance, que le peuple américain a voté pour ça. «Le peuple américain a voté pour les droits de douane», nuance Jessica Riedl, chercheuse au Manhattan Institute, un institut conservateur, à Politico. «Mais si les électeurs n'ont pas voté pour quelque chose, c'est bien la chute de 19% du S&P 500. Et cela incite les électeurs à réévaluer les politiques, ainsi que le président, qui refuse de s'adapter à la réalité économique.»
Une réalité qui ne manquera pas d'empirer si le président continue sur sa lancée. Le hic? «Trump a été élu en partie pour réduire l'inflation et relancer l'économie», ajoute le sondeur républicain Whit Ayres, dans le même quotidien politique.
Ce qui fait craindre aux responsables de l'administration et à certains cercles de l’entourage du président que si Donald Trump refuse d’abandonner sa politique tarifaire, le pays fonce tout droit vers la récession économique - et, inévitablement, un abandon de son électorat. Ce qui pourrait compromettre les chances du Parti républicain aux élections de mi-mandat.
Mercredi, ils ont été soulagés. Le président annonçant à la surprise générale une suspension de 90 jours. Un revirement dramatique comme seul en est capable Donald Trump. dont la plupart des législateurs républicains n'avaient aucune idée 15 minutes avant la publication sur le réseau Truth Social.
Une publication écrite dans le Bureau ovale, assis aux côtés de deux collaborateurs seulement: son secrétaire au Trésor, Scott Bessent, et son, secrétaire au Commerce Howard Lutnick, selon le Wall Street Journal.
C’est qu’il semblait aussi peu disposé à changer d'avis sur ses tarifs douaniers que de troquer sa casquette rouge vif pour une chemise hawaïenne, Donald Trump. Lui qui comparait les droits de douane à un «remède» nécessaire au pays pour se remettre d'années de déséquilibres commerciaux, il a balayé les inquiétudes ces derniers jours d'un revers de main et d'une pique moqueuse.
Quitte à compromettre sa popularité en s'engageant dans un projet aussi risqué.
Il faut dire que, si le promoteur immobilier et opportuniste notoire a longtemps adopté une idéologie flexible et mouvante au gré des tendances du moment, les droits de douane étaient l'un de ses rares principes constants. Une croyance profondément enracinée au cœur de sa vision économique et qui remonterait, au moins, aux années 80.
Une conviction qui va de pair avec l'une de ses principales sources d'inspiration: l'ancien président William McKinley, incarnation vivante de «l'Âge d'or» américain du début du siècle dernier, comme Donald Trump ambitionne de retrouver.
Une conviction si solidement ancrée qu'il semblait impossible pour les membres de son équipe de lutter contre les «forces profondes» qui motivent l'ex-businessman. Au contraire d'il y a huit ans, peu de collaborateurs tentent désormais de le maîtriser ou de le faire changer d'avis. Ceux qui pensent différemment ont presque tous opté pour un silence résigné.
Fort de son retour historique à la Maison-Blanche, Donald Trump serait fermement convaincu que sa guerre commerciale est la meilleure chance de remodeler en profondeur l'économie américaine, au mépris des élites et des experts. «Cet homme était politiquement mort et a survécu à quatre affaires criminelles et à une tentative d'assassinat pour redevenir président. Il y croit vraiment et va faire les choses en grand», confie l'un de ses alliés extérieurs à The Atlantic. «Son seuil de résistance est élevé pour y parvenir.»
D'autant que, cette fois-ci, Donald Trump n'a plus rien à perdre. Et rien ne laisse supposer qu'il n'écoute l'opinion de personne d'autre que la sienne. Pour preuve, alors qu'il s'irritait régulièrement, lors du premier mandat, d'une couverture peu flatteuse dans le Wall Street Journal, celle de ce week-end l'affichait à l'arrière d'un véhicule, en tenue de golf, saluant de la main et parlant au téléphone, bouche bée.
Selon un responsable de la Maison-Blanche dans The Atlantic, Donald Trump ne s'est même pas plaint de la Une. Et il a continué de jouer au golf.