Claire* se doutait bien que le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche allait avoir des conséquences désagréables, mais pas à ce point, et encore moins sur sa vie professionnelle. «On s'attendait à des changements, mais personne n'aurait pu prédire la brutalité de ses actions», raconte-t-elle.
Cette Suissesse travaille pour une ONG ayant des bureaux à Genève. Comme beaucoup d'autres personnes actives dans ce milieu, elle est plongée dans l'incertitude depuis que le nouveau président américain a décidé de couper l'argent dont dépendent des milliers d'organisations humanitaires dans le monde. En effet, Washington finançait plus de 40% de l'aide internationale mondiale.
La jeune femme fait état d'une situation «tendue et complètement imprévisible», et qui impacte tout le monde, de manière plus ou moins directe. «C'est très frustrant. J'ai beaucoup de collègues qui dorment mal», illustre-t-elle. «Bizarrement, nous sommes beaucoup à nous réveiller entre 3 et 4 heures du matin tous les jours, alors que ça ne nous arrivait pas auparavant».
C'est, en effet, toute la Genève internationale qui est frappée de plein fouet par les décisions de Trump. Avec plus d'un quart des contributions totales, les Etats-Unis sont le premier donateur des organisations basées dans la cité de Calvin, laquelle abrite plus de 750 ONG, rappelle la Tribune de Genève. Cet écosystème emploie directement plus de 30 000 personnes.
Les problèmes ont commencé le 20 janvier, lorsque l'administration Trump ordonne la suspension de tous les programmes financés par les Etats-Unis pour une période de 90 jours. Des projets qui avaient déjà été approuvés et qui, pour la plupart, étaient déjà en cours, souligne Claire. «Du jour au lendemain, tout cela devait s’arrêter. C'est du jamais vu», s'insurge-t-elle.
D'autres indications, plus ou moins floues, suivent, jusqu'au coup de marteau final: le 10 mars, Washington annonce que 83% des programmes américains seront totalement supprimés.
Selon des estimations plus récentes, ce pourcentage serait encore plus élevé... ou pas. «Depuis quelques jours, il semblerait que certaines activités puissent reprendre», explique Claire.
Quoi qu'il en soit, la réaction des organisations n'a pas tardé. Beaucoup d'entre elles ont pris des mesures immédiates pour «stopper le saignement», paraphrase Claire. A savoir: couper tout ce qui peut l'être, comme des séminaires, des formations et des déplacements sur le terrain. De nombreuses personnes dont le projet était directement financé par les Etats-Unis ont perdu leur travail.
Certaines organisations, comme celles spécialisées dans l’analyse de données, ont dû couper jusqu'à la moitié de leurs effectifs, renseigne Claire. Autre exemple, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a licencié 20% de ses 1000 employés à Genève.
«Et cela, ce n'était que la première phase de réaction. Pour survivre, les organisations ont été obligées d'entreprendre d'importantes restructurations», complète Claire, qui dit redouter d'autres vagues de licenciements.
La jeune femme n'a, par ailleurs, pas été épargnée par ces mesures. «Je fais partie d'un processus RH qui va déterminer qui va garder son emploi et qui va le perdre», explique-t-elle. Et d'ajouter:
Dans ces conditions, attendre la décision finale n'est pas toujours facile. D'un côté, Claire essaie de réfléchir à ce qu'elle peut encore faire avant de devoir quitter son emploi, à comment être encore utile. «De l'autre, j'ai parfois de gros coups de mou, je suis démotivée», illustre-t-elle. «Je suis surtout très triste, car j'ai l'impression que beaucoup de travail qui a été accompli ces dernières années est à risque».
L'une des choses qui affectent davantage la jeune femme est de penser à l'impact que ces décisions vont avoir sur les personnes dans le besoin. «Les conséquences sur le terrain vont être tellement horribles que je me sens presque coupable de penser à ma situation personnelle», analyse-t-elle.
Bien sûr, elle reconnaît que cette situation la stresse et l'inquiète. «Mais je suis consciente que, dans le contexte global, je suis une privilégiée».
La suite s'annonce difficile. «Tous les autres grands bailleurs, qui, même ensemble, n'ont de loin pas le poids des Etats-Unis, ont également entamé des processus de coupe», informe Claire. La Suisse a diminué son budget d’aide au développement et à la coopération internationale, tout comme le Royaume-Uni, la France ou les Pays-Bas.
«C'est une période très sombre», commente la Suissesse, qui confie envisager une reconversion professionnelle. La Genève internationale, déjà extrêmement compétitive avant, le deviendra encore plus, prédit-elle.
«Je ne vais pas forcément pouvoir continuer de faire ce que j'aime, ce que j'ai toujours fait que et ce que j'ai étudié», conclut Claire. «Et cela me rend très triste, car j'aime mon travail, et j'y crois. Je pense qu'on a un vrai impact sur le terrain».
*Claire est un prénom d'emprunt