Lorsque Donald Trump a pris ses fonctions de président des Etats-Unis en janvier 2017, il a hérité d'une situation économique idéale. Son prédécesseur avait longtemps dû gérer les conséquences de la crise financière de 2008, mais Barack Obama était finalement parvenu à remettre l'économie américaine sur une trajectoire de croissance durable.
Lorsque Trump est retourné à la Maison-Blanche en janvier dernier pour un second mandat, l'économie américaine affichait à nouveau des signes de robustesse. Les Etats-Unis avaient surmonté la pandémie bien mieux que le reste du monde, suscitant l'envie à l'international. A juste titre: l'inflation était presque maîtrisée, les marchés boursiers prospéraient et un atterrissage en douceur de l'économie était largement anticipé.
Trump aurait donc pu choisir l’option la plus évidente: récolter discrètement les fruits semés par Joe Biden, puis revendiquer le mérite de cette réussite. Mais au lieu de cela, le président américain a pris une toute autre direction: il a opté pour une guerre commerciale à l’échelle mondiale.
Et cette fois, il ne s'agit pas de simples menaces. Le 2 avril marquera le véritable lancement de cette guerre commerciale, avec la réintroduction des droits de douane punitifs contre le Canada et le Mexique, qui avaient été temporairement suspendus. Mais l’offensive de Washington ne s’arrête pas là: tous les partenaires commerciaux des Etats-Unis seront soumis à des «droits de douane réciproques». Concrètement, si un pays applique des taxes sur un produit américain, il se verra infliger des tarifs équivalents en retour.
Les droits de douane réciproques doivent remplacer ce que l’on appelle la «clause de la nation la plus favorisée». Ce principe, qui a façonné le commerce mondial ces dernières décennies, veut qu’un pays doit appliquer son tarif le plus bas à tous ses partenaires pour un bien ou un service donné. A l’inverse, le système des droits réciproques instaurerait une dynamique bien plus complexe, rendant le commerce international nettement plus difficile à gérer.
On craint donc que le chaos provoqué par Trump avec ses droits de douane punitifs ne s’aggrave encore davantage. Une question s’impose alors: quel est son objectif? A-t-il vraiment saisi que les droits de douane fonctionnent comme une taxe, dont le coût est supporté par les consommateurs américains? S’appuie-t-il toujours sur la «madman theory», cette stratégie selon laquelle un comportement imprévisible et déroutant peut semer l’incertitude à l’échelle mondiale et ainsi favoriser sa politique «America First»?
Jusqu’à présent, ce chaos nuit avant tout aux Etats-Unis. Ces dernières semaines, les marchés boursiers américains ont affiché des performances nettement inférieures à celles de l’Europe, voire de la Chine. Tout porte à croire que la baisse à Wall Street se poursuivra pendant un certain temps.
Paradoxalement, Trump pénalise avant tout ses propres électeurs avec ses mesures tarifaires. Une enquête approfondie du New York Times vient de révéler que les agriculteurs et les constructeurs automobiles seront les plus durement touchés. De son côté, The Economist a calculé que même le très populaire burger coûtera plus cher, les Etats-Unis important désormais une part non négligeable de sa consommation de bœuf.
La politique tarifaire de Trump peut être expliquée de plusieurs manières: soit il n’a pas compris les principes fondamentaux de l’avantage comparatif en économie, soit il préfère les ignorer délibérément, ou encore, personne dans son entourage n’ose lui en faire la remarque.
La théorie du chaos est défendue par plusieurs économistes de renom, mais elle semble trop simpliste. Trump et son entourage ont probablement un plan, et ce plan pourrait être le suivant:
En septembre 1985, l'Allemagne, le Japon, la France et les Etats-Unis ont signé un accord à l'hôtel Plaza de New York, stipulant que ces pays accepteraient une dévaluation ordonnée du dollar. L'objectif était de maintenir le dollar comme la monnaie de référence pour le commerce mondial, tout en évitant qu'il ne soit trop fort, ce qui rendrait les exportations américaines non compétitives sur le marché mondial.
Les économistes envisagent actuellement une nouvelle version de cet accord, qui ne se déroulerait pas à New York, mais en Floride, à la résidence de Trump, d'où son nom «Accord Mar-a-Lago». L'objectif reste inchangé: maintenir le dollar comme monnaie de référence mondiale tout en le rendant suffisamment faible pour stimuler l'industrie américaine et freiner les pays accusés de saturer le marché américain avec des produits à bas prix.
L'un des principaux instigateurs de ce plan est l'économiste Stephen Miran, qui est devenu le conseiller économique le plus influent de Donald Trump. Diplômé de Harvard, Miran est reconnu pour son intelligence et bénéficie du soutien de figures de proue au sein du gouvernement, telles que le ministre des Finances Scott Bessent.
Selon les plans de Miran, les pays du monde seraient répartis en trois groupes: dans le panier vert se trouvent les pays qui se soumettent aux Etats-Unis. Dans le panier jaune figurent ceux qui acceptent les accords au cas par cas, mais qui devront faire face à de lourdes négociations. Enfin, le panier rouge regroupe les pays récalcitrants, qui subiront l'impact total des droits de douane punitifs.
Ce qui semble simple sur le papier s'avère très difficile à mettre en œuvre dans la réalité. Gillian Tett, experte en économie pour le Financial Times, l'explique ainsi dans l'Ezra Klein Show du New York Times:
Et cela est déjà en cours. Le Canada et l'Europe ne sont pas prêts à suivre passivement les plans de Trump et ont déjà annoncé une série de droits de douane contre les Etats-Unis. Un conflit commercial mondial risque de prendre de l'ampleur.
Il faut également garder à l'esprit que la force de Trump ne réside pas dans la mise en œuvre d'un plan soigneusement calculé. Comme l'explique Gillian Tett:
Enfin, il convient de noter qu'au sein du camp de Trump, il existe des intérêts contradictoires. De manière générale, trois factions peuvent être distinguées: les populistes nationalistes dirigés par Steve Bannon, les techno-libertariens sous la direction d'Elon Musk et les républicains traditionnels menés par Mike Johnson:
Il est donc incertain que l'accord «Mar-a-Lago» de Miran aboutisse, ce qui n’est une bonne nouvelle ni pour les Américains ni pour le reste du monde.
Pour reprendre les mots de Gillian Tett:
Traduit et adapté par Noëline Flippe